Les pizzas de Marie-Louise
Depuis plus de 20 ans, Malika Moine croque la vie en dépeignant l'actualité plus ou moins brûlante de Marseille et d'ailleurs. Au long cours, elle s'intéresse aussi aux lieux où l'on boit, mange et danse parfois. Pour Marsactu, elle va à la rencontre des gens dans leur cuisine. Elle en fait des histoires de goût tout en couleurs.
Les pizzas de Marie-Louise
Marie-Louise et moi avons toutes deux grandi aux alentours d’Apt. À l’époque, d’une paire d’années mon ainée, elle partit faire une école hôtelière ailleurs pour y apprendre le service. Nous nous sommes loupées. Ce n’est que bien plus tard, à l’anniversaire d’une amie commune que nous nous sommes rencontrées, puis revues fortuitement dans une calanque, et de temps à autre à Marseille où elle habite avec sa petite famille. Quand, la dernière fois, je lui ai parlé de cette chronique, elle a été enchantée par l’idée, et des étoiles pleins les yeux -de celles qui ne trompent pas sur la gourmandise, elle m’a invité à venir croquer ses pizzas.
Arrivée vers 17h dans une petite résidence aux alentours du Théâtre Sylvain, j’assiste à la confection de la pâte. C’est vendredi et “c’est un rituel”, le vendredi est le jour de la pizza et la pizza, “c’est un partage, c’est de l’amour” d’autant plus que “Marseille est la capitale de la pizza !” ajoute Marie-Louise.
Elle me raconte : “Mes parents, harkis, sont arrivés d’Algérie en 62 via Marseille, dans un camp à St Maurice l’Ardoise dans le Gard, avant d’être accueillis à Apt. Il n’y a pas de « bons » et de « mauvais » harkis, mais des réalités différentes : mon père était pour l’indépendance de l’Algérie mais il était dans le mouvement de Messali Hadj et à un moment, il y a eu tant de discordes qu’il s’est retrouvé du côté français pour sauver sa peau… Quand j’étais petite, je croyais que « Harkis », c’était une origine, je voyais bien qu’il y avait une différence entre les Algériens émigrés et nous, quelque chose n’allait pas…”. Et elle rapporte que c’est le médecin qui a aidé sa mère à la mettre au monde qui a choisi son prénom, Marie-Louise.
Mais à la maison, sa maman faisait de la cuisine algérienne et tout en pétrissant la pâte, Marie-Louise me parle de la levure de boulanger qu’elle a utilisée et avec laquelle sa maman faisait les matlohor (qui signifie “ça monte”), les chichis algériens, et aussi “les crêpes aux milles troues que tu manges avec du beurre et du miel, c’est extraordinaire ! Elle utilisait de la semoule, et ne faisait jamais de pizzas. Mais quand on allait au marché d’Apt, on achetait la pizza, anchois ou fromage sur la place du Marché Couvert – pour reconnaître un bon pizzaïole, il faut goûter sa pizza aux anchois, c’est le test ! Ado, j’avais ma pièce de 10 francs pour acheter une part au fromage. Sa pâte et sa sauce tomate étaient vraiment uniques, j’ai jamais retrouvé ces goûts, et jamais essayé de les refaire. Dans mon premier boulot pour payer mes études, j’ai travaillé dans une pizzeria. Plus tard, les vendredis et les samedis, je faisais les pizzas pour l’apéro dans un café que tenaient mes frères à Rustrel : fromage, anchois, mozza, chèvre, orientale ou encore aux cèpes et à la crème avec de la marjolaine et et du bon fromage râpé… il paraît qu’elles étaient bonnes !”
Après avoir travaillé dans l’animation et fait différents boulots, Marie-Louise a travaillé au Plie (Plan local d’Insertion de l’Emploi) à Marseille. Elle évoque avec émotion les rencontres avec des personnes en rupture de toutes les communautés, les succès remportés pour les mettre en relation et les faire embaucher par des entreprises. “J’ai croisé pleins de vies et ce que j’aimais c’était pouvoir leur redonner une étincelle, avec bienveillance mais sans complaisance”. Aujourd’hui au chômage, elle est devenue membre active d’un réseau, “Femmes 3000” et elle travaille sur la reconnaissance de la précarité menstruelle des femmes et notamment des femmes qui vivent dans la rue. Sa générosité dans la vie se retrouve dans sa cuisine.
Sur l’étagère, à côté du thym, du laurier et de la harissa, se trouvent des bocaux de colombo et de graines à roussir pour assaisonner le poisson : Olivier, le compagnon de Marie-Louise, est d’origine guadeloupéenne. Marie-Louise évoque les fêtes passées avec les cousins en dégustant le jambon de Noël arrivé tout droit de Guada, mariné avec un bouquet antillais et du citron vert, et les accras qu’elle prépare, sans oublier le shrubb, rhum de Noël qu’elle fait mariner dès fin août avec de l’écorce d’orange et du sucre.
Pendant que la pâte lève, Marie Louise sort l’apéro : des vraies cacahuètes, des chips d’Allauch, et des olives pour accompagner merveilleusement une petite bière et un verre de blanc… en attendant la pizza à l’anchois…
Les olives, c’est Marie-Louise qui les a préparées : elle a fait mariner des olives grecques avec de la harissa, de l’huile d’olive, de l’ail, des cébettes et du thym du Luberon. Elle réalise soudain que son papa les faisait déjà ainsi, lui qui était aussi “réputé pour préparer et faire cuire d’excellent méchouis d’agneaux avec une farce à base de pois chiches, de champignons, d’ail, d’oignons, de harissa et de cumin… “
La pizza à l’anchois est délicieuse, pas de doute, j’en salive encore en écrivant ces mots, j’ai affaire à une excellente pizzaiole… Tout en écoutant Antony Joseph, un musicien de la Barbade, notre hôte continue à préparer les pizzas et à raconter : “Transmettre à mes garçons, c’est très important car cuisiner c’est une liberté et je veux leur apprendre à mettre la main à la pâte plutôt que d’acheter des trucs industriels. Quand les temps étaient durs, je faisais tout moi-même, les sablés à la confiture, le riz au lait… Sélim, m’a dit « Maman, en ce moment, c’est la fête ! »”.
Pour nous aussi, c’est la fête et les pizzas se succèdent, délicieuses. Voici leurs recettes :
Pour cinq belles pizzas :
La pâte :
– 1/2 cube de levure de boulanger
– 50 cl d’eau
– 1 kg de farine
“Je laisse fondre 10 minutes la levure de boulanger dans l’eau pour que ça puisse travailler. Puis, je pétris la pâte et je la laisse lever une heure. Pendant ce temps, je m’occupe de la sauce tomate”.
La sauce tomate :
– 1 litre et demi de coulis de tomates fraiches
– 2 belles gousses d’ail haché
– 1 cuillère à soupe de sucre
– du sel et du poivre
– une rasade d’huile d’olive
“Si c’était la saison, j’aurais pris des tomates fraiches mais c’est un super coulis italien, et mélangé avec l’assaisonnement, il est délicieux !” Je le goûte et confirme, j’en boirais volontiers un verre ou deux…
et…
– Pour la pizza à l’anchois : des filets d’anchois à l’huile d’olive
– Pour la pizza au fromage : du bon emmental râpé
– Pour la pizza à la mozzarella : du pesto : ail, basilic et huile d’olive, et une bonne mozzarella
– Pour la pizza d’inspiration catalane : du fromage basque et en sortant du four, du jambon de sérano, de la roquette et des olives
– Pour la pizza orientale : des merguez braisées, des poivrons rouges et verts grillés, du fromage râpé.
Pour ne pas que la pâte colle, je mets de l’huile d’olive sur la tôle et je ne devrais pas mais je pique ma pâte avec une fourchette…
Marie-Louise et Olivier citent L’Eloge de Rien, un livre anonyme publié aux éditions Allia : “Qui vit content de rien possède toutes choses”. Toutefois, ce soir, ce n’est pas pour un rien, que nous sommes contents, nous nous sommes régalés…
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Il est bientôt midi et demi Cet article est une excellente mise en bouche Miam j’ai faim
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