Un requin dans le Vieux-Port

Un requin dans le Vieux-Port

La météo ne s’annonçant pas terrible terrible ce week-end, on vous propose de vous plonger dans un bon polar d’espionnage, dont le personnage principal a souvent trainé ses guêtres sur la Canebière. Un savoureux chapitre – « Un requin dans le Vieux-Port » – est d’ailleurs consacré à ses aventures marseillaises. Mais attention le bouquin sent un peu la TNT, évitez de le lire plus tard en terrasse, on ne sait jamais.

Il s’appelle « L’espion du président« , est publié chez Robert Laffont,  coûte 19 € TTC, et se lit en trois petites heures. Et il est donc consacré à la vie et à l’oeuvre de Bernard Squarcini, Le Squale pour les intimes, le grand patron de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, le « FBI » à la française comme l’appelle son grand ami Sarko). Les auteurs s’y sont mis à trois pour écrire cette bio de 284 pages, des journalistes plutôt capés : Olivia Recassens et Christophe Labbé – spécialistes police et justice au Point – et Didier Hassoux du Canard Enchaîné. Ce dernier étant aussi très spécialisé dans notre bouillabaisse locale, ayant beaucoup écrit sur les eaux troubles du Guérinigate, où l’on croise d’ailleurs régulièrement l’aileron de notre héros du jour.

Plainte pour diffamation illico

Cabine téléphonique, messages codés, rendez-vous dos au mur dans les cafés, les journalistes ont eux aussi du jouer les 007, pour enquêter sur le maître espion français. Le Squale les a rencontrés à plusieurs reprises lors de truculents déjeuners dans les meilleurs adresses corses de Paris. A la fin du dernier repas, quand il a compris que « L’espion du président » serait loin de la bio de Balladur par Claire Chazal, il a lâché à un des trois journaleux un très audiardien « fais ton bouquin. Si il est bon je te paie un coup à boire, sinon je te pète le nez… »

Vu les premières réactions de Squarcini, qui a demandé le lendemain de la sortie du livre à son avocat Patrick Maisonneuve – le même que JNG – de porter plainte pour diffamation, on semble plus se diriger vers une distribution de bourre-pif que d’une tournée générale de Cap Corse. « Je ne suis l’espion de personne« , s’est défendu le patron de la DCRI dans un communiqué. Et c’est vrai que Recassens, Labbé et Hassoux y sont allés au bazooka.

D’après leur enquête, basée sur de nombreux témoignages le plus souvent anonymes d’anciens et d’actuels membres du renseignement, mais aussi d’ennemis affichés de Squarcini comme son ex-patron aux RG, Yves Bertrand,  le Squale serait en réalité totalement vassalisé par Sarkozy, ne pouvant rien lui refuser. Y compris des missions qui semblent bien éloignées de l’objet social de la DCRI, comme par exemple la protection des affaires sentimentales du Président.

Fadettes et corsitude

Plus gênant encore l’espionnage de journalistes et de politiques se serait développé de manière industrielle au 8e étage de la DCRI, où siègent les boss. Des révélations qui tombent on ne peut plus mal au moment où le Squale vient d’être mis en examen dans l’affaire des fadettes. D’ailleurs Jean-Pierre Mignard, néo-politique-marseillais et avocat de Médiapart vient également de porter plainte car leur client, selon les auteurs du livre, aurait été écouté par les équipes de Squarcini, très inquiet par leurs papiers sur Karachi. Chaud, chaud, chaud.

Plusieurs chapitres (Touche pas à mes Corses, Nanard et les cagoulés, La brise avant la tempête) sont également consacrés à la Corse, domaine réservé du Squale, l’homme dont un des plus hauts faits d’armes est l’arrestation d’ Yvan Colonna. C’est depuis ce jour de gloire qu’il est devenu membre de la firme, le premier cercle du candidat Sarkozy lors de la présidentielle de 2007. Pour ce petit-fils de berger, tout ce qui se passe sur son île ne semble devoir lui échapper. Brise de mer contre Petit Bar, affaire SMS, Cercle Wagram…. le Squale surveille tout ça comme le figatelli sur le feu, au risque d’être parfois un peu borderline.

Les auteurs citent d’ailleurs Christian Lothion, autre grand flic patron lui de la PJ : « C’est la corsitude de Bernard qui le fait fonctionner ainsi. Il ne faut pas y voir malice. C’est dans ses gènes. Il ne peut s’empêcher de vouloir connaitre tout ce qui a trait de près ou de loin, à l’île et, en bas, on sait que l’on peut compter sur lui. Bernard aime rendre service. Malheureusement il ne sait pas dire non« .

Chasse à la grive avec JNG et Alex

Mais un des épisodes les plus savoureux du livre est donc le chapitre marseillais du Squale. Une ville dont il a été préfet de Police jusqu’en 2007, où il a notamment sympathisé avec les Guérini’s brothers, et dont il connaît apparemment beaucoup, beaucoup de lourds secrets. Ce chapitre « Un requin dans le vieux-port » démarre par une pagnolesque partie de chasse à la grive où JNG reçoit dans une propriété du CG dans les Alpilles, en compagnie de son frère Alexandre, ses amis Squarcini et Christian Frémont (à l’époque préfet de Région et aujourd’hui directeur de cabinet du président de la République). On est en 2006, et on est encore très loin du démarrage du Guérinigate mais la scène n’en reste pas moins bien amusante : « Bernard c’est mon ami, jure depuis Guérini. Jean-Noël je l’apprécie assure Squarcini« .

Les auteurs reviennent également sur les rélations tendues entre le Squale et le juge Duchaîne, pas d’ailleurs liées qu’à l’affaire Guérini mais aussi aux dossiers corses où les deux hommes se sont souvent croisés, notamment quand le juge d’instruction fait arrêter et met en garde à vue le jeune espoir politique corse Jean-Christophe Angelini, dans l’affaire de la SMS,  juste au sortir d’ un déjeuner chez Maxim’s avec Squarcini. Un incident qui obligera Squarce – son autre petit nom – à passer quelques coups de téléphone aux proches d’Angelini pour expliquer qu’il n’était évidemment pour rien dans ce coup là. Deux ou trois autres belles anecdotes marseillaises concluent ce chapitre qu’on vous laisse découvrir.

Bon on ne ne sait pas si tout est vrai (Bernard si tu nous écoutes…), mais même si ce n’est pas le cas, ca se lit quand même comme un excellent roman, et on vous le recommande sans modération. « Boire frais et rester calme » comme le dirait le Squale cité en ouverture de « L’espion du président ».

En parlant de fadettes : Le Monde va déposer plainte contre le procureur de Marseille, sur Marsactu

Les bonnes feuilles : la partie de chasse à la grive sur Atlantico.fr,

La réaction du Squale : « je ne suis l’espion de personne » sur lepoint.fr

DCRI : le PS dénonce des « barbouzeries » : quand « L’espion du président » s’invite à l’Assemblée