Pollution au soufre : si le capitaine est condamné, la compagnie Carnival devra payer

Actualité
le 9 Oct 2018
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Ce lundi se tenait à Marseille le procès inédit d'un capitaine de paquebot de croisière ayant utilisé un carburant non conforme aux normes environnementales. Alors que la compagnie Carnival, propriétaire du bateau, n'était pas pénalement visée dans cette affaire, la question de la responsabilité s'est retrouvée au centre des débats.

Pollution au soufre : si le capitaine est condamné, la compagnie Carnival devra payer
Pollution au soufre : si le capitaine est condamné, la compagnie Carnival devra payer

Pollution au soufre : si le capitaine est condamné, la compagnie Carnival devra payer

C’est un procès inédit qui s’est tenu ce lundi à Marseille avec une lourde amende requise à l’encontre d’un capitaine et sa compagnie pour avoir utilisé un fuel ne respectant pas les normes environnementales. Trop chargé en soufre, celui-ci est aussi moins onéreux. Une première en France, avec en toile de fond, un contexte marseillais particulier : si 1,75 million de croisiéristes sont attendus pour 2018 à Marseille, 4e place de croisière en Méditerranée, les habitants des quartiers bordant son port étouffent. L’issue de ce procès risque donc de résonner comme une jurisprudence aux multiples enjeux, tant pour les associations de défense de l’environnement que pour les armateurs.

“Vous croyez vraiment que pour économiser quelques milliers d’euros on prendrait le risque de nous retrouver devant vous et subir un préjudice d’image faramineux ? On a tout intérêt à respecter les normes non pas parce que nous sommes des défenseurs intégristes de l’environnement mais parce que ça rapporte”, a plaidé à la fin de ce procès de plus de cinq heures et comme une dernière chance Patrick Simon, avocat du capitaine et de la compagnie Carnival. Pour lui, le respect des normes et de l’environnement contribue à donner une image positive aux compagnies. Mais si le capitaine et la compagnie ont voulu mettre en avant l’ignorance des ces normes, le procureur lui, n’a pas fait de quartier et s’est montré très investi sur le sujet.

100 000 euros d’amende requis

“Il est un fait que la compagnie a souhaité économiser de l’argent au mépris des normes et des poumons de chacun. Or, les enjeux environnementaux et de santé publique doivent prévaloir sur ces économies” abondera-t-il avant de requérir une amende de 100 000 euros à l’encontre du capitaine, dont 80 000 à la charge de la compagnie. Et, comme les trois associations de défense de l’environnement parties civiles, la parution du jugement dans la presse. L’enjeu sanitaire vient de l’oxyde de soufre, qui constitue l’un des principaux polluants connus pour accélérer la formation des très nocives particules fines et ultra fines, mise en cause dans de nombreuses maladies respiratoires.

Tout débute donc le 29 mars dernier, lorsque, dans le port de Marseille, les inspecteurs du centre de sécurité des navires – rattaché à la direction interrégionale de la mer Méditerranée (Dirmed) – montent à bord de l’Azura, un géant de plus de 300 mètres de long, qui transporte plus de 3000 passagers. “Le navire est une propriété privée, et aucune autorisation n’a été demandée”, plaide d’entrée de jeu l’avocat du capitaine et de l’armateur allant même jusqu’à parler de visite aux allures de “perquisition”. Quoi qu’il en soit, une fois à bord, les inspecteurs n’ont pas été déçus. Alors qu’une ordonnance de 2015 fixe à 1,5 % la teneur maximale en soufre du carburant des navires en service régulier dans les ports français, les inspecteurs constatent que l’Azura utilise un carburant à 1,75 %.

La défense concentrée sur la forme

Pour faire barrage aux poursuites, les avocats de la défense sont allés jusqu’à contester la conformité constitutionnelle d’articles du code de l’environnement en question. Bertrand Coste a en effet avancé que l’ordonnance de 2015, ne s’appliquant pas aux porte-conteneurs, est “discriminante”. Ou encore que le terme de bateau au “service régulier” était trop floue pour y intégrer les paquebots de croisière.

Après plusieurs heures consacrées aux aspects juridiques de l’affaire, le débat s’est enfin recentré sur les faits avec l’entrée d’un témoin. Stéphane Rousseau, chef du centre de sécurité des navires de la Dirmed, a participé à l’inspection de l’Azura au printemps. “C’était une grande surprise de trouver une teneur en soufre à ce niveau alors que depuis deux ans on répète que lorsqu’on contrôle les navires de croisière, le taux de souffre doit être à 1,5 % maximum, s’est-il étonné dans un premier temps. Surtout avec la pression écologique et les questions de pollution de l’air actuelles.” Mais outre sa surprise, c’est un autre point crucial et seulement sous-entendu jusque là qu’a mis sur la table cet inspecteur : la responsabilité du capitaine du bateau, absent ce lundi.

La compagnie à l’abri pénalement

“Monsieur H. n’avait pas le choix, c’est la compagnie qui lui impose le carburant”, lance sans détour le témoin avant de nuancer : “Même si le capitaine a l’autorité suprême sur son navire, et donc qu’il peut refuser quelque chose s’il estime qu’il y a danger. La compagnie se retranchera dernière ça, mais il ne pouvait pas savoir. Les questions de carburant sont à 1000 lieues de ses tâches.” Ainsi, selon Stéphane Rousseau, si le capitaine connaissait l’existence du texte de loi restreignant à 1,5 % le taux de soufre dans le carburant, il pensait, ajoute-t-il, ne pas entrer dans la catégorie “service régulier.” “Et c’est exactement la discussion que j’ai eue avec lui en arrivant à bord. Il y a là toute la bonne foi du commandant. Par contre, la compagnie en a tout à fait conscience”, termine l’inspecteur.

Sauf que dans cette affaire, la compagnie Carnival, propriétaire exploitante du navire Azura, est à l’abri pénalement. En d’autre termes, celle-ci est citée dans la procédure mais ne peut être jugée que responsable pécuniaire. Un “détail” que certaines parties civiles regrettent amèrement. Trois associations de défense de l’environnement se sont en effet constituées partie civile : France nature environnement, Surfrider fondation et la Ligue de protection des oiseaux.

Pour l’avocat de cette dernière, la responsabilité du capitaine ne fait pas de doute, mais elle n’est pas suffisante. “L’intention du capitaine est acquise, on voit bien qu’il bascule entre différents carburants pour dépenser le moins possible selon où il se trouve, a ainsi plaidé Mathieu Victoria en faisant référence à l’utilisation des différents moteurs du paquebot Azura – le navire en dispose de six, chacun ne fonctionnant pas forcément avec le même carburant. Mais monsieur H. a commis cette infraction non dans son intérêt mais dans celui de son employeur.” La LPO demande 5000 euros au titre des préjudices au capitaine ainsi qu’à Carnival. FNE a de son côté réclamé 5000 euros au titre des préjudices et Surfrider 3000.

2 millions d’économie de carburant

Des sommes symboliques par rapport aux chiffres évoqués lors de ce procès au sujet des économies faites par les compagnies en fonction de leurs fuel. Tandis que les avocats de la compagnie mentionnent une économie de l’ordre de 9 dollars par tonne entre le fuel à 1,5 % et celui à plus de 1,6 %, l’inspecteur du centre de sécurité évoque lui des économies pouvant aller jusqu’à 200 dollars par tonne. “C’est comme un mobile”, juge la présidente. Le procureur quant à lui estime que la compagnie a économisé “21 600 euros sur un plein, 2 millions d’euros sur toute sa flotte”.

“C’est un dossier sensible, aux carrefours des enjeux économiques et environnementaux. Le marché de la croisière constitue des débouchés économiques importants pour le port, la ville et la compagnie. Mais générer une pollution importante de soufre et d’azote est de moins en moins accepté, argumente-il dans ses réquisitions. La ville de Marseille a été confrontée à des études d’Air PACA qui opère une veille sanitaire objective. Cela a été relayé par des responsables politiques et des riverains. Le respect des normes est plus qu’impératif.”

D’ici peu, les textes ne manqueront plus de clarté. En 2020, sur toutes les mers du monde et pour tous les navires, le taux de soufre dans le carburant sera limité à 0,5 %, a décidé l’organisation maritime internationale. Il sera peut-être même abaissé à 0,1 % en Méditerranée, si les discussions en cours entre les pays de son pourtour débouchent sur un accord pour la placer en zone d’émission spéciale de soufre (SECA). En attendant, Carnival et son capitaine ont rendez-vous le 26 novembre pour le rendu du jugement.

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