Migrants et refugiés
L’AQUARIUS À MARSEILLE ?
Le débat est ouvert, en ce moment, sur l’accueil à Marseille du bateau transportant des réfugiés de Syrie vers les pays d’Europe où ils essaient de changer de monde, de quitter le monde de la guerre pour celui de sociétés plus apaisées. Réfléchissons un peu à ce projet qui touche Marseille.
L’Aquarius et la guerre
C’est de cela qu’il faut parler, d’abord, c’est à cela qu’il faut commencer par réfléchir. Ce n’est pas pour faire du tourisme que les migrants syriens ont embarqué sur l’Aquarius, ce n’est pas pour se promener, c’est pour changer de monde, c’est pour aller dans un autre monde que celui de la guerre, parce qu’on ne peut pas vivre dans un espace de guerre, parce que la guerre est un monde dans lequel on ne peut pas habiter. Habiter, c’est avoir un quotidien, avoir des voisins, des hommes et des femmes avec qui on peut vivre, partager des idées, échanger des mots. Habiter, c’est s’approprier un espace et, en même temps, une culture, la culture et l’identité qui vont avec cet espace en lui donnant une signification. Mais la guerre, justement, c’est la violence entre des pays ou entre des peuples et l’absence de signification qui se manifeste par l’absence d’échanges et de paroles entre ces pays ou entre ces peuples. Si l’Aquariusa pris la mer, c’est pour donner à ceux qui ne veulent plus vivre dans un monde de guerre, ou, tout simplement, qui ne peuvent plus y vivre, un espace dans lequel ils pourront retrouver la vie, des lieux dans lesquels ils pourront de nouveau habiter. L’Aquariusmanifeste, aujourd’hui, ce que l’on peut appeler la résistance à la guerre. Il ne s’agit même plus de se demander si, entre les adversaires, l’un a raison et l’autre tort, parce que, finalement, quand le conflit en vient à la guerre, c’est que les adversaires ont tous tort et que tous sont les victimes de choix politiques qui leur échappent.
Significations contemporaines de la migrance
Au-delà, c’est la migrance qu’il nus faut interroger, aujourd’hui. Il est important de relever ce changement de mot, car les mots sont importants car ils donnent ses significations à la politique. Avant, on a parlé d’émigrationet d’émigrés, puis on a parlé d’immigréset d’immigration : c’était seulement un changement de point de vue, mais les mots désignaient seulement un changement d’espace de vie. Pour des raisons politiques, parce qu’ils étaient persécutés dans le pays où ils étaient nés et où ils habitaient, puis pour des raisons économiques, parce que leur pays était devenu trop pauvre pour offrir du travail à tous ses habitants, les hommes et les femmes ont changé de pays. C’est ainsi qu’est née ce que l’on peut appeler une économie politique de l’immigration et que cette économie politique n’a, en réalité, été qu’un symptôme d’une crise plus profonde, plus dure aussi : il s’agit de ce que l’on s’est mis à appeler la mondialisation. L’internationalisation des capitaux et des entreprises a donné naissance à des entreprises qui n’en étaient plus, mais qui avaient changé de dimension pour devenir des grands groupes internationaux. Cela a eu trois incidences majeures : la première a été l’éloignement des centres d’exécution des lieux de travail, au cours duquel les décideurs et les pouvoirs sont devenus de plus en plus invisibles ; la deuxième incidence a été l’aggravation des inégalités entre les pays du Nord et ceux du Sud – sans, d’ailleurs, que l’on sache très bien si la Méditerranée et l’espace méditerranéen sont au Nord ou au Sud – sans doute sont-ils tantôt d’un côté tantôt de l’autre selon les activités et selon les domaines ; la troisième incidence de la mondialisation a été l’aggravation des conflits et de la violence des affrontements entre les pays, accompagnée, justement, de l’engagement de la migrance, de cette errance de peuples sans habitation, sans société, sans espace de vie. C’est cela que signifie aujourd’hui la migrance : l’errance de populations qui n’ont plus de lieu d’ancrage.
Marseille et l’accueil
Alors, dans ces conditions, ce sont les ports qui sont, comme ils l’ont toujours été, les villes de la migrance. Au moment où Marseille, comme d’autres ports, doit s’ouvrir à l’accueil des migrants venus de la Méditerranée, sans doute est-il important de se rappeler ce qui est devenu le mythe fondateur de la ville. Un mythe, ce n’est pas une histoire que l’on raconte aux enfants, ce n’est pas un récit faux, illusoire ou mensonger : un mythe, c’est un récit qui donne une forme à l’imaginaire politique qui contribue à fonder une culture et une société. Ni un peuple ni une personne ne peuvent vivre sans imaginaire, parce que l’imaginaire est une part de notre identité. Or le mythe qui raconte la fondation de Marseille nous dit bien que la ville a justement été fondée par des migrants, par des personnages venus d’ailleurs, par des étrangers qui ont cessé de l’être en habitant pleinement la ville, en lui donnant l’élan qui lui a permis de croître et de se développer. Et puis il faut arrêter de toujours désigner l’autre commele coupable, de toujours rejeter l’étranger parce qu’il n’est pas comme nous. Comme l’a écrit récemment P. Marinez, secrétaire général de la C.G.T., ce n’est pas l’immigration qui est à l’origine des crises du travail et du chômage : « Les vagues migratoires aussi font partie intégrante de notre histoire. Elles ont construit, façonné la richesse de notre réalité culturelle et contribué au développement économique de notre pays depuis des siècles. Nous ne faisons pas face à une invasion de migrants et notre pays doit accueillir humainement et dignement ceux qui fuient leurs pays. Cela se nomme la fraternité », écrit-il, dans Le Mondedu 27 septembre dernier. Comme les fondateurs de la ville venus de Phocée, il ya quelque chose comme 2600 ans, les migrants d’aujourd’hui peuvent contribuer à la croissance de la ville en l’habitant, en y travaillant, en lui apportant leurs idées, leurs savoirs, leurs paroles, en venant enrichir la ville par la multiplicité des cultures qui s’y rencontrent. C’est pour cela que Marseille va accueillir l’Aquarius.
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