Indignation autour d’un hommage à Charles Maurras dans un couvent dominicain
Pour les 150 ans de la naissance du penseur et écrivain Charles Maurras, l'Action française organise un colloque dans une salle du couvent dominicain de Marseille. La célébration du théoricien de l'antisémitisme français dans un lieu qui a aidé à protéger des juifs pendant la guerre suscite l'indignation.
Le couvent des Dominicains, rue Edmond-Rostand, auquel est rattaché le centre Cormier qui accueille le colloque pour les 150 ans de la naissance de Maurras. (Image Nicolas Georges)
“La nouvelle de l’organisation le 21 avril prochain, dans des locaux de l’ordre des Dominicains de Marseille, d’un « week-end d’hommage à Charles Maurras » par la Fédération royaliste provençale et l’Action française Provence me choque peut-être encore plus que d’autres citoyens”… C’est par ces mots que démarre une tribune publiée mercredi dans nos colonnes par Jean-José Mesguen, petit-fils d’une résistante. Ce samedi, un colloque organisé par l’Action française, dans le cadre d’un “week-end hommage à Charles Maurras” se tiendra en effet dans le centre Cormier, salle polyvalente du couvent dominicain, rue Edmond-Rostand, à Marseille.
L’avocat Jean-Pierre Mignard, s’est lui aussi ému sur les réseaux sociaux de ce mélange des genres. Ancien candidat socialiste aux législatives de 2012, il est par ailleurs impliqué dans la communauté catholique, et notamment administrateur du magazine Témoignage chrétien. “L’église de France a tourné la page de toute espèce de lien de complaisance vis-à-vis de la pensée maurassienne, explique-t-il à Marsactu. Il faut que le centre Cormier s’explique. En tant que catholique, je ne peux que m’interroger, cela dépasse mon entendement. Il leur appartient de clarifier le sens de cette réunion qui se tient dans leurs murs. S’il s’agit bien d’un hommage, cela implique forcément du respect et de la déférence pour Maurras”. Une polémique locale qui n’est pas sans rappeler le débat national qui a suivi la décision finalement annulé de commémorer officiellement l’anniversaire de la naissance du penseur martégal.
Pour Jean-José Mesguen, l’auteur de la tribune, cet hommage a un écho particulièrement douloureux. Le philosophe, théoricien de l’antisémitisme et fondateur de l’Action française reçoit un hommage de ses partisans dans un couvent qui a joué un rôle exactement contraire pendant la guerre.
Un lieu marqué par la Résistance
“Je suis horrifié, confie Christian Bruschi, dont l’histoire familiale fait aussi écho à cette actualité. C’est en rupture avec ce que les dominicains avaient fait pendant la guerre. Ma mère, qui était juive, avait été protégée par les dominicains de ce couvent. Il y en a eu parmi eux de très dévoués. Ce contraste est frappant. Le couvent n’est peut-être plus ce qu’il était, mais de là à héberger un colloque sur Maurras, j’en suis stupéfait”.
Durant l’occupation, le couvent a en effet été marqué par l’action résistante de frères comme Joseph-Marie Perrin, qui organisa la fuite de personnes recherchées par les nazis et a depuis été distingué comme Juste parmi les Nations. “On va y rendre hommage à celui qui en voulait explicitement à l’existence des Juifs”, résume ainsi dans sa tribune Jean-José Mesguen.
Contacté, les responsables du centre Cormier n’ont pas donné suite à nos sollicitations. “Ce n’est pas un week-end [de commémoration] c’est un colloque”, nous a-t-on seulement précisé par téléphone. Le centre Cormier met en avant la journée d’étude “Charles Maurras, l’homme de la politique” sur son site internet, assorti de la liste des intervenants. Parmi eux des professeurs de droits, journalistes, tous habitués des hommages à Maurras, et militants de l’Action française pour la majorité.
Les organisateurs relient bien l’événement à la commémoration de l’anniversaire de Charles Maurras au sein du “week-end hommage”, tant sur les réseaux sociaux que sur leur site internet. Contactée, l’Action française confirme que le colloque fait partie de la commémoration, et que le centre Cormier en a été prévenu. “Nos indignés ont une vision réductrice de l’histoire et de sa complexité”, répond par écrit Gérard Pol, en charge du site LafauteaRousseau, émanation de l’Action française.
“Il ne s’agit pas d’universitaires, mais de l’Action française”
“J’ai moi-même dû étudier la pensée maurassienne au cours de mes études, développe Christian Bruschi. Qu’on fasse des colloques à l’université sur Maurras oui, mais là il ne s’agit pas d’universitaires mais de l’Action française.” Le programme et le lieu de la seconde journée de commémorations n’est en revanche pas publié en ligne.
Le Mouvement des jeunes socialistes des Bouches-du-Rhône s’est d’ores et déjà fendu d’un communiqué dénonçant une “menace pour l’ordre public” et appellent le ministre de l’Intérieur à interdire la tenue des commémorations qui, à leurs yeux font resurgir “le souvenir d’un clergé qui soutenait la persécution antisémite en France durant la Seconde Guerre Mondiale”.
Actualisation jeudi 19 avril à 11h : ajout de la réponse des organisateurs
Actualisation vendredi 20 avril : le centre Cormier renonce à accueillir l’événement
Commentaires
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quel dommage ! j’ai participé à des débats avec JPMignard chez les dominicains
et je n’avais jamais perçu une pensée antisémite .
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Cette vision à sens unique est fatigante à force de devenir systématique. Maurras était antisémite, certes … N’était-il que cela ? Non, évidemment.
Le fait qu’il ait été antisémite discrédite-t-il l’ensemble de sa pensée ? Bien sûr que non, sauf dans une époque qui procède par amalgames et raccourcis pour éviter de penser et de réfléchir.
Doit-on s’interdire de prononcer son nom sous peine d’être immédiatement condamné? Le ridicule a ses limites, mais l’ignorance et la bêtise humaine semblent n’en pas avoir.
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La réponse à votre commentaire est dans l’avant-dernier paragraphe. On peut penser et réfléchir sur les écrits d’un intellectuel très marqué politiquement, mais lui consacrer un “hommage” c’est autre chose, c’est organiser un événement politique, ici à l’extrême-droite. L’extrême droite et l’Action française ne sont pas interdits de réunions et d’organiser des événements politiques, dans le respect de l’ordre public. Mais le fait qu’une institution religieuse s’associe à une manifestation de l’extrême-droite suscite légitimement des réactions de nature politique.
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Je crois que Happy a bien résumé la situation : personne parmi mes interlocuteurs ne m’a parlé d’interdire toutes les réunions de l’Action française ou les colloques sur Maurras. Mais ils ne comprennent pas le choix de cette institution en particulier, par rapport à ses valeurs et son histoire, d’accueillir une telle commémoration dans ses murs et d’en faire la promotion.
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“Le fait qu’il ait été antisémite discrédite-t-il l’ensemble de sa pensée ?”
Mais oui! Faire crédit c’est accorder sa confiance. Peut-on faire confiance à un homme qui en appelle au meurtre expéditif et brutal d’un autre au nom de sa race ou de sa religion ou de ses opinions politiques ? Je force le trait? Mais non! Voici ce que Maurras soutenait publiquement à propos de Léon Blum en Avril 1935 : ” « Ce Juif allemand naturalisé, ou fils de naturalisé […] n’est pas à traiter comme une personne naturelle. C’est un monstre de la République démocratique.Détritus humain, à traiter comme tel […] C’est un homme à fusiller, mais dans le dos. » De Blum il dira encore : « C’est en tant que Juif qu’il faut voir, concevoir, entendre, combattre et abattre le Blum ». Ce n’est pas une figure de rhétorique, un emportement de tribun.
En Octobre 1935 il veut être explicite et très concret :”Vous avez quelque part un pistolet automatique, un revolver, ou même un couteau de cuisine ? Cette arme, quelle qu’elle soit, devra servir contre les assassins de la paix dont vous avez la liste.” En Février 1936 Blum, 64 ans, est lynché et laissé en sang pour mort par des agresseurs de l’Action Française, sans doute des lecteurs de Maurras. Celui qui va signer quelques années plus tard un papier dans le Petit Marseillais pour saluer la “divine surprise ” que représente l’arrivée de Pétain au pouvoir.
C’est à lui que vous voulez rendre hommage?
Quel crédit, quelle confiance pouvez-vous accorder à une telle pensée ?
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A mes yeux, recevoir un colloque Maurras au Couvent des Dominicains, c’est une grave faute, un manque terrible de mémoire par rapport au Père Perrin et à la philosophe Simone Weil, per mettez-moi de vous faire parvenir à ce propos deux liens vers un article ainsi qu’un film de huit minutes que j’ai pu réaliser à propos de Simone Weil à Marseille, http://www.galerie-alain-paire.com/index.php?option=com_content&view=article&id=323:simone-weil-a-marseille-8-rue-des-catalans-qlecart-et-la-presenceq&catid=7&Itemid=109 / https://vimeo.com/234698501
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Et pourquoi pas un hommage à Eichmann ?
Un sinistre individu qui a eu une” pensée” aussi ….il y a des pensées et des intellectualismes qu’il vaut mieux aborder avec intelligence, ce qui n’est pas le cas les membres d’Action Française et des partisans de l’extrême droite en général .
Maurras et ses suppôts sont à condamner fortement surtout dans une période ou l’oubli semble gagner l’opinion publique ….
Sans la pression médiatique, le centre Cormier aurait bien volontiers été accueillant pour ces crapules : ne pas oublier non plus que de nombreux catholiques, dont le pape Pie XII entre autre, ont aidé des nazis à fuir en Amérique de Sud à la fin de la guerre et ne voyaient pas d’un regard aussi horrifié que cela l’extermination des Juifs : après tout ce sont eux les responsables de la crucifixion de JC !!!
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Je ne sais pas si les Dominicains, dans leur intention initiale d’accueillir cet “hommage” à Maurras, exprimaient une étrange naïveté ou une volonté délibérée. Mais si la deuxième hypothèse est exacte, il faudrait y voir l’effet, dans leur ordre aussi, du glissement de l’Eglise catholique vers la droite, voire l’extrême-droite, que dénonce Henri Tincq dans son dernier livre :
http://www.lepoint.fr/societe/henri-tincq-une-partie-de-l-eglise-se-droitise-voire-s-extreme-droitise-01-04-2018-2207154_23.php
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