De nouveaux acteurs poussent les anciens gérants des maisons pour tous vers la sortie
La nouvelle répartition des associations responsables des 27 Maisons pour tous marseillaises a été validée lundi. Deux nouvelles structures se taillent une belle part du gâteau, tandis que plusieurs anciennes associations - la Ligue de l'enseignement, les Centres de culture ouvrière – tombent purement et simplement de la carte. De nombreux observateurs pointent des choix "politiques".
Le centre social - Maison pour tous de Saint-Mauront ( Photo : Violette Artaud )
Elles incarnent l’action sociale de la municipalité dans les quartiers. Réparties dans tous les secteurs de la ville, les maisons pour tous offrent à la fois des loisirs, de l’animation, des services aux citoyens. Gérées dans le cadre de délégation de service public, les 27 MPT marseillaises se sont longtemps inscrites dans le cadre de l’éducation populaire et des grandes fédérations qui lui ont donné corps, Léo-Lagrange, le Centre de culture ouvrière, la fédération des amis de l’instruction laïque et plus récemment l’IFAC. Chaque renouvellement de ces conventions donne lieu à une ardente concurrence entre ces associations, confrontées par ailleurs à la baisse générale des subventions publiques. Signées pour six ans, elles représentent plusieurs millions d’euros de financements, une manne non négligeable en ces temps difficiles pour le monde associatif.
Or, après plusieurs reports, le dernier renouvellement de DSP, voté ce lundi en conseil municipal a donné lieu à un jeu inédit de chamboule-tout. Désormais quatre associations se répartissent 21 établissements, là où elles étaient six auparavant. La seule fédération historique a conserver la gestion de MPT est Léo-Lagrange. Plus récemment arrivé, l’IFAC limite ses pertes. En revanche, quatre autres associations sortent du jeu au profit de nouveaux acteurs, aux profils étonnants, Episec et Synergie Family qui se partagent la gestion de neuf maisons pour tous.
De nouveaux venus, quasi inconnus
Hasard ou coïncidence, aucune des deux n’a candidaté l’une contre l’autre, leur permettant ainsi une entrée sur le “marché” particulièrement étendue. “Nous sommes ravis que de nouveaux candidats puissent participer à la gestion des Maisons pour tous, j’espère qu’ils rempliront le cahier des charges”, s’est de son côté réjouie Sylvie Carrega, l’adjointe au maire (LR) en charge de l’action sociale.
Le premier, Episec, avait jusqu’ici la gestion d’un centre social à Val Plan depuis plus de 30 ans et d’une crèche d’insertion. Il récupère quatre Maisons pour tous. “On ne les connaît pas du tout”, admet un salarié d’une des associations recalées. “Ils ne sont pas sortis de nulle part, mais ils sont débutants”, complète Jacques Abehssera, directeur général du Centre de culture ouvrière (CCO), qui gérait jusqu’ici trois établissements. D’autres connaissent leur implantation sur le centre social Val plan. Joël Desroches, le directeur général, définit les spécificités du projet d’Episec : “Inscrire les habitants dans les projets et proposer des choses modernes, dans l’air du temps, avec de l’innovation, la transformation de notre travail social”. Tous les établissement dont Episec aura la charge sont d’ailleurs agréés en tant que centre sociaux. Acteur de terrain de longue date, l’associatif dit “très bien connaître le territoire marseillais”, et avoir voulu, en postulant “tenter le challenge” d’aller au-delà des secteurs où il était déjà implanté. “On ne pensait pas avoir la confiance de la Ville à ce point”, reconnaît Joël Desroches qui prépare actuellement les conditions “d’une passation saine et sereine”.
Pour comparer la situation avant et après le 1er juin 2018, cliquer et déplacer la barre grise. (Infographie Julien Vinzent)
Aux côtés d’Episec, Synergie family obtient cinq Maisons pour tous alors qu’elle ne gérait jusqu’ici aucune structure d’accueil. L’association à la vitrine plus soignée, en ligne et sur les réseaux sociaux, était à l’origine portée sur les activités sportives et a posé un premier pied sur le marché de l’action sociale par le biais des activités périscolaires gérées par la Ville, en 2014. “On est arrivés sur cette DSP avec beaucoup d’humilité, explique Laurent Choukroun, président et fondateur de l’association. Moi-même j’ai travaillé à l’IFAC, j’ai fait mon BAFA chez Léo-Lagrange.” Mais Synergie family se veut une association d’une nouvelle époque. “On se demande comment innover sur le social à Marseille, à l’époque de la digitalisation des entreprises, et où il faut chercher et penser de nouveaux modèles économiques et sociaux”. Cette mise en avant de l’innovation ne dépasse pas ces éléments de langage.
L’association, qui se présente étonnamment comme une “start-up” est passée, en trois ans, de 3 salariés à 70 équivalents temps plein, ainsi que “250 collaborateurs”. Elle assume par ailleurs une rupture avec les valeurs de l’éducation populaire portées par les fédérations comme Léo-Lagrange, la Ligue de l’enseignement ou les CCO. “On a énormément de respect pour ça, mais là où ils sont des militants politiques, nous, nous croyons simplement dans la possibilité de chacun de se réaliser, de s’épanouir. Notre point de départ, c’est l’individu”, déroule Laurent Choukroun.
Question de valeurs
Trop politisées, les associations d’éducation populaire ? Le reproche semble suranné pour beaucoup. “Oui bien sûr, si on remonte aux années 80, voire 70, on peut dire que Léo-Lagrange, était lié au parti socialiste, mais aujourd’hui ça n’a plus de sens”, nuance Florence Masse, conseillère municipale PS. “Bien sûr, on peut nous dire que nous sommes étiquetés”, pose Jacques Abehssera au CCO, historiquement classé à gauche. “Mais en revanche, nous sommes indépendants du politique”, plaide-t-il. Interrogé, Laurent Choukroun estime, lui, sa structure “ni de droite, ni de gauche”.
Après un tour sur le site internet de Synergie family, un salarié d’une de ces fédérations s’interroge franchement sur le caractère sport et loisirs de leur offre. “L’animation Club Med, je ne suis pas sûr que ce soit véritablement adapté à tous les publics. Il va falloir expliquer ça aux gens qui viennent pour la banque alimentaire. Je serais curieux de connaître leur projet pour l’accompagnement à la parentalité”, raille-t-il. Globalement “dépités”, de nombreux acteurs de l’éducation populaire voient dans cette nouvelle donne un reniement des valeurs fondatrices d’émancipation au profit d’une logique financière, où “le social devient une marchandise”.
Une proximité affichée avec la majorité municipale
Mais le principal reproche formulé à l’encontre de ces nouveaux venus est leur proximité avec la majorité municipale. Joël Desroches faisait partie du comité de soutien de Richard Miron, adjoint aux sports, alors candidat LR aux législatives, et figurait à ce titre sur des visuels de campagne. S’il assume ce soutien à l’élu “le plus présent” du secteur où l’association est implantée, le 13e arrondissement, Joël Desroches se défend d’avoir bénéficié de bienveillance en retour. “En tant que techniciens du social, on a simplement proposé des idées. Les élus politiques qui ont envie de faire changer les choses, on ne peut qu’être à leurs côtés”, estime-t-il, en précisant qu’il a collaboré par le passé avec des élus de tous bords, en dehors du Front national. Mais il veut voir dans la nouvelle répartition choisie par la Ville, la volonté d’un “vrai renouvellement”. Il pointe aussi la “technicité” et la “neutralité” de la procédure de DSP réalisée par la Ville, appuyée par un cabinet spécialisé.
Synergie Family affiche plus encore sa sympathie pour la droite locale. En 2017, Laurent Choukroun et son associé affichaient notamment leur soutien à Guy Teissier (LR). Aujourd’hui, ils réalisent des prestations pour l’office départemental HLM 13 habitat, présidé par le bras droit du même Guy Teissier, Lionel Royer-Perreaut. Dans le cadre du projet Make the choice, qui vise à “coacher” 100 jeunes autour d’un projet professionnel, l’association travaille aussi en partenariat avec l’union patronale UPE 13. Mais Laurent Choukroun refuse le procès en connivence : “Ça nous dérange d’être réduits à ça. On ne veut pas être caricaturés, il y a 250 personnes qui mettent du cœur à l’ouvrage, je ne veux pas qu’on sous-entende que c’est lié à ça”.
https://twitter.com/laurent1178/status/875104090837143554
“Le poids du politique dans nos métiers on le connaît, mais à ce niveau-là, c’est caricatural, déplore le salarié d’une fédération de l’éducation populaire. Être sur les listes du comité de soutien, ça aide”. Jusque dans les rangs de la majorité, l’impression semble partagée. Une élue confiait dès l’automne à Marsactu sa crainte de voir l’aspect politique l’emporter sur les missions sociales de ces structures. La Ville aurait-elle été tentée, alors qu’approchent les municipales, de placer davantage d’alliés politiques dans ses structures sociales en prise directe avec les citoyens ? “Les plus politisés là dedans, ça reste l’IFAC, tranche la socialiste Florence Masse. Qu’il y ait des affinités, ça ne me dérange pas. Mais encore faut-il que le travail soit fait. Dans certains quartiers, la situation pourrait être dramatique”.
Malheur aux sortants
Cette arrivée écrasante de deux nouveaux acteurs inconnus au bataillon passe d’autant plus mal qu’elle s’accompagne de la disparition de plusieurs associations historiques dans la gestion des Maisons pour tous. Placées en redressement judiciaire, les AIL 13 (Ligue de l’enseignement), qui géraient deux établissements, tombent de la carte. Dans la même situation juridique, l’association du centre social de la Rouguière n’a pas pu postuler pour le nouvel établissement bâti juste à côté de celui dont elle avait la gestion.
Autre sortant d’ampleur, pourtant pas en délicatesse avec le tribunal de commerce comme ses autres confrères, le CCO. Alors qu’il avait, de longue date, la gestion des Maisons pour tous de la Pauline, (10e arrondissement), du Grand Saint-Antoine (15e arrondissement), ainsi que du centre social des Hauts de Mazargues (9e arrondissement) récemment labelisé Maison pour tous, la Ville n’a reconduit aucune de ces conventions. “On perd tout, on ne garde aucune équipe”, résume le directeur général Jacques Abehssera, qui se dit “triste, et un peu en colère”. L’adjointe à l’action sociale, Sylvie Carrega, assume ce choix devant le conseil municipal : “effectivement ses candidatures [du CCO] n’ont pas été retenues tout simplement parce qu’elles ne cadraient pas avec l’enveloppe budgétaire et que lors des négociations, il ne s’est pas mis à la hauteur de ce que la Ville proposait… et d’autres problèmes aussi”.
Tombés de la carte
Du côté du CCO on évoque des échanges avec la Ville plutôt compliqués, lors desquels certains documents financiers ont été soupçonnés d’être “insincères”. “On a présenté de nouveaux documents à leur demande, mais nous avons tout de même de l’expérience, on sait faire normalement”, se défend Jacques Abehssera. Selon plusieurs sources, la question des “frais de siège” demandés par la structure aurait particulièrement posé question. Ces frais de siège rassemblent les coûts administratifs de gestion de la structure, et non pas ceux inhérents à chaque MPT. “Alors qu’ils ont simplement demandé la même chose que les fois précédentes”, déplore un observateur. Pour l’élu socialiste Roland Cazzola, qui a exprimé le point de vue de l’opposition sur le sujet lors du conseil municipal, “le CCO a eu le tort d’oser répondre au juste prix”, face à des concurrents inscrits selon lui “dans une logique de profit”.
Sylvie Carrega a tout de même profité du conseil municipal pour inviter le CCO à postuler pour les délégations des six Maisons pour tous qui n’ont pas trouvé preneurs et dont la convention est prolongée jusqu’en mars 2019. Une proposition accueillie avec scepticisme. Il est forcément plus difficile de bâtir un projet de zéro pour des équipements actuellement gérés par d’autres structures, que de poursuivre un projet déjà en place, comme c’était le cas pour les trois Maisons pour tous gérées par le CCO. Comme beaucoup de professionnels de l’action sociale, Jacques Abehssera a “le sentiment que les choses ont été redistribuées de façon politique”. “On s’interroge bien sûr sur notre projet, admet-il, mais cette colère que l’on ressent va nous aider à avancer”, poursuit-il. Il espère pour l’heure établir un dialogue avec les repreneurs, devant les interrogations des salariés, qui sont rattachés à l’équipement et auront donc un nouvel employeur en juin prochain.
L’IFAC, survivant et toujours puissant
Autre victime de ce renouvellement, l’IFAC Provence. Cette antenne autonome de l’IFAC, association historiquement classée à droite, a connu des derniers mois particulièrement mouvementés, avec des dettes à hauteur de 1,8 million d’euros et un placement en redressement judiciaire. De par ce fait elle ne peut plus concourir à des marchés publics et ne gérera plus aucune Maison pour tous. Mais si la Ville les lui ôte, c’est pour mieux les confier à l’IFAC national qui récupère sept structures. Elle confirme ainsi les craintes des salariés de l’IFAC Provence sur leur vampirisation par l’IFAC national et dénoncent un climat délétère en interne.
“La candidature nationale était tout à fait recevable, et sans lien avec le problème local”, balaye Sylvie Carrega lors du conseil municipal. “On est face à un délégataire dont on ne sait pas très bien qui il est entre les instances nationales et locales. Ce sont les mêmes qui ont mené au désastre de l’IFAC Provence”, déplore Florence Masse, opposante socialiste. Face aux reproches de l’opposition Jean-Claude Gaudin n’a eu qu’une réponse – politique – en conseil municipal : “On l’a compris que vous détestez l’IFAC”, a-t-il lancé depuis la tribune. Contactée, l’IFAC Provence n’a pas souhaité apporter de précision sur cette situation.
Une nouvelle ère pour l’action sociale ?
Au-delà des étiquettes de telle ou telle association se pose la question des moyens donnés par la Ville pour mener les missions des Maisons pour tous. L’opposition socialiste au conseil municipal dénonce un cahier des charges low cost. “Les finances sont revues à la baisse et il n’est exigé que la présence de cinq salariés pour faire tourner la structure du lundi au samedi”, déplore Florence Masse. Là où les anciens acteurs ont proposé dans leurs candidatures des budgets proches des anciens, les nouveaux arrivants ont eu la possibilité d’avoir des propositions moins coûteuses financièrement. Face à ces restrictions budgétaires, le groupe socialiste demande un contrôle indépendant de la gestion des Maisons pour tous, ce à quoi l’élue à l’action sociale a répondu que les services de la Ville effectuaient eux-mêmes des contrôles réguliers. Elle insiste : “Nous ne faisons pas les choses n’importe comment”.
Commentaires
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ah bon!!! Encore faudrait-il savoir si la Ligue de l’enseignement et les Centres de culture ouvrière ne bénéficiaient-elles pas d’une rente de situation au droit de cette gestion, rente octroyée qui plus est par les réseaux defferro-gueriniste et pimentée au gout du jour par l’improbable couple Mennucci/Ghali
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Bonjour Lisa, vous ne rapportez pas quels étaient les critères de sélection des candidats ? Difficile d’écarter le soupçon de critères “politiques”, comme les acteurs en concurrence s’en font réciproquement le reproche. Mais on pourrait déjà juger si les critères “officiels” étaient crédibles. Bon, sans vouloir faire de procès systématique à la Ville de Marseille, le précédent de l’attribution des TAP à des structures surgies de nulle part (et qui y sont retourné très vite) ne plaide pas en sa faveur.
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Ici comme ailleurs dans cette ville, la cooptation, le népotisme et la concussion règnent en seuls maîtres.
Dans le 3ème arrondissement, on hallucine de constater avec quelle “hauteur” sont accueillies les familles. Quelques années de changement permettront peut-être de dégager les rentières et les rentiers de l’animation sociale. Si le bien-être des usagers ne semble pas plus présent dans les gestions faudra recommencer le lessivage en …. 2024 !!!
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