Aux Crottes, le projet Euroméditerranée contraint des habitants à quitter les lieux
Ancien quartier d'habitat ouvrier, le quartier des Crottes, dans le 15e arrondissement, est dans le périmètre du projet de requalification urbaine d'Euroméditerranée 2. Avec le début des travaux commencent les premières expropriations.
Photo : Violette Artaud
Ils sont une petite vingtaine rassemblés sur la place Emmanuelli, devant l’église copte. La bruine et le froid ne les ont pas découragés en cette matinée de novembre. Ces habitants des Crottes (15e), pour la plupart des propriétaires, sont venus dans l’espoir d’obtenir des informations sur le devenir de leur quartier. Ce dernier se situe dans le périmètre du gigantesque projet de rénovation urbaine d’Euroméditerranée. La deuxième phase, qui est en marche, inclut précisément le noyau villageois des Crottes dans un projet de nouveau quartier de logements et d’ateliers d’artisans appelé “Les Fabriques”. Ce jour-là, le directeur de la rénovation urbaine à Euroméditerranée, Guillaume Kolf est justement présent devant l’église copte, point de départ d’une “balade suivie d’un débat pour imaginer l’avenir du quartier”, comme l’indique le petit prospectus distribué quelques jours plus tôt dans les commerces alentours.
“Sébastien, le petit jeune, il est déjà parti”
“Comment vous imaginez cette place à l’avenir, que voudriez-vous que l’on améliore ?” entame Guillaume Kolf. La question semble étonner. “À nous, vous demandez ça ? C’est vous les pros, non ?”, lui répond-on d’emblée. Rapidement, les rôles s’inversent. Les habitants des Crottes eux aussi ont tout un tas de questions. “Vous allez détruire ?” , “Vous allez exproprier ?”, “Il y aura des solutions de relogement?”, “Si vous rénovez, les prix vont monter ?”… Guillaume Kolf et les représentants de l’association Arènes, spécialisée dans la concertation publique, tentent de les apaiser. “Non Euroméditerranée ne va pas arriver et tirer vers le haut les prix. Nous sommes là pour mettre en place un projet global, pas un projet d’exclusion”, espèrent-ils rassurer en proposant dans la foulée de débuter la balade.
Ces promesses, la présidente d’Euroméditerranée elle-même les avaient reprises à son compte lors d’une conférence de presse au début du mois. “Aucun habitant ne se trouve dans le périmètre du projet des Fabriques si ce n’est ceux des Crottes. Et ce quartier a une valeur patrimoniale. Il ne faut surtout pas le détruire et permettre à tous les habitants d’y rester”, avait assuré Laure-Agnès Caradec. Mais sur place, l’inquiétude monte. Dans la rue de Lyon, qui borde le noyau villageois des Crottes, on compte déjà des départs.
“Sébastien, le petit jeune, il a dû partir. Il venait d’acheter dans le quartier. Et je peux vous dire qu’il a galéré à se reloger”, raconte un propriétaire dans la rue en question. “Moi, ce sont mes voisins qui m’inquiètent. Ils ont 85 ans et ont leur a mis la pression pour qu’ils partent. Ils sont tout retournés”, complète Josiane qui redoute également d’être la prochaine sur la liste.
Accord à l’amiable et “harcèlement”
Son sentiment ne semble pas complètement injustifié. “Dans les Crottes même, une seule maison est concernée. Rue de Lyon par contre….”, débute Natacha Boisse, directrice de la communication et de la concertation pour Euroméditerranée, en finissant sa phrase par une grimace gênée. Pour le moment, l’institution publique ne cible officiellement que trois maisons dans cette rue. Au plus grand désespoir de leurs propriétaires, elles se situent précisément sur l’emplacement de la future passerelle de métro. C’est le cas de la maisonnette de Françoise et Jean-Louis Mori, les voisins de Josiane.
[aesop_gallery id=”179702″]
Ce couple de personnes âgées est fatigué par cette histoire. Ils n’ont pas voulu participer à la rencontre. Mais Françoise Mori a tout de même accordé quelques minutes au téléphone à Marsactu. “Quand j’ai appris que nous devions partir, j’ai cru qu’ils étaient tombés sur la tête. J’ai 82 ans et ça fait 82 ans que j’habite aux Crottes. Je voulais mourir ici, dans ma maison”, explique la veille femme qui, après avoir exprimé sa volonté de se battre jusqu’au bout, va finalement signer un accord à l’amiable avec Euroméditerranée. “Je n’en peux plus, mais ils le paieront un jour ou l’autre”, lâche-t-elle avant de raccrocher, au bord des larmes.
133 000 euros pour leur maison
“Cette histoire est derrière nous. Ils ont signé un accord à l’amiable”, coupe court Guillaume Kolf face aux interrogations des habitants sur le sujet. Dans le petit café où les membres de l’équipe de concertation offrent une collation pour “poursuivre le débat”, les voisins de monsieur et madame Mori sont dubitatifs. Josiane la première : “Ils ne voulaient pas partir. Mais depuis quelques jours, ils ne me donnent plus de nouvelles. Je crois que j’ai compris, ils ont craqué, c’est du harcèlement”, s’emporte leur voisine très vite rejointe par Claude, du collectif On se laisse pas faire. “Ils ont signé pour ne pas mourir d’angoisse”, ajoute celui anime* ce collectif afin de porter la voix des habitants qui s’opposent aux projets d’Euroméditerranée.
“Parfois, l’annonce est violente pour les personnes concernées. Pour certains, qui ont pris l’habitude de vivre dans le quartier, ça peut être un déchirement, concède le directeur de la rénovation urbaine à Euroméditerranée. Mais nous tâchons d’avoir un traitement humain avec un suivi. Et puis dans 50 % des cas, les gens sont contents de quitter leur logement qui est souvent dans un mauvais état”, poursuit-il. En échange de leur rez-de-chaussée de 68 mètres carrés avec jardin en prime, l’institution versera à monsieur et madame Mori 133 000 euros. Guillaume Kolf assure également qu’Euromediterranée propose toujours des solutions de relogement pour les locataires et parfois même pour les propriétaires. Après avoir passé 52 ans dans cette maison, le couple ne sait toujours pas où il terminera ses jours.
Valeur patrimoniale
Dans les plans d’Euroméditerranée, le quartier des Crottes a vocation à être réhabilité en créant de nouvelles voies, perpendiculaires au réseau existant. Pour cela, il va falloir détruire des maisons. Le projet bénéficie d’une déclaration d’utilité publique, ce qui permet de mettre en place des procédures d’expropriation lorsque les propriétaires se font trop pugnaces. Mais la déclaration d’utilité publique nécessite aussi une enquête publique durant laquelle les avis de différents services sont requis. Ainsi, l’architecte des bâtiments de France a souligné la valeur patrimoniale et sociale du quartiers des Crottes, “qui réside surtout dans l’habitat ouvrier et la structuration de murs anciens.” La présidente d’Euroméditerranée, Laure-Agnès Caradec confirme vouloir conserver “ces traces anciennes qui témoignent d’un certain Marseille. Il y a seulement des travaux de voirie à réaliser pour permettre aux habitants des Fabriques d’aller au parc des Aygalades”, a précisé Laure-Agnès Caradec.
Le projet prévoit également la rénovation du bâti existant en s’appuyant notamment sur une opération programmée d’amélioration de l’habitat qui permet de subventionner une partie des travaux en fonction du caractère social de la location à l’issue. “Nous allons octroyer des subventions aux propriétaires allant de 10 à 80 % de la somme investie”, explique à plusieurs reprises Guillaume Kolf aux habitants des Crottes.
“Vase clos” et “poche de misère”
Pierre Laffont écoute silencieusement le discours du directeur. Il n’habite pas précisément les Crottes mais vient de la Cabucelle, juste à côté. S’il est là, c’est en tant que membre de l’association Mouvement pour la paix qui œuvre notamment pour soutenir les démarches participatives et démocratiques. Prenant un peu de retard sur la balade, il en profite pour dire ce qu’il pense du projet et de la façon dont il est mené : “Ils construisent du neuf mais ils laissent des grosses poches de misère. Ils ont de l’argent et payent des associations pour faire de la concertation publique, mais au final, ils n’écoutent pas tellement et restent sur leur projet initial.”
Les habitants ont signifié à Euroméditerranée le risque de la démarche. Durant la “balade”, en marchant entre la place “où ça deale” et la décharge sauvage sous la passerelle “où des camions entiers se déversent”, ils l’auront dit simplement au directeur de la rénovation urbaine : “Mettez vraiment de l’humain et de l’écologie dans vos projets. Pas les intérêts financiers de quelques-uns, sinon vous allez directement à la confrontation.” Plus que quelques lampadaires, c’est ainsi que les habitants des Crottes envisagent l’avenir de leur quartier.
*Modification apportée le 3/09, tandis que Claude Hirsch fait vivre le collectif On se laisse pas faire Sarah Bourgeois en est la fondatrice en 2011lors de la première phase d’Euroméditerranée.
Commentaires
L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.
Vous avez un compte ?
Mot de passe oublié ?Ajouter un compte Facebook ?
Nouveau sur Marsactu ?
S'inscrire
Rénover le quartier des Crottes une évidence et une légitime attente.
Rappelons nous la rue de la République,mêmes arguments auprès des vieux habitants , et quel résultat.
Arguments poudre aux yeux comme d habitude
Négation de la réalité marseillaise, nous sommes une ville pauvre dans l immense majorité
Le gâteau est sûrement joli mais les principaux intéressés n y auront pas droit non pas par manque d intérêt mais par faute de moyens
Se connecter pour écrire un commentaire.
Marseille est une ville pauvre avec des populations pauvres. L’intérêt de tous les habitants et de la ville est d’attirer des populations riches et des activités. Sans exclure les autres. Les villes de banlieue (Cassis, Aix, Carry, Auriol, Pelissanne, …) doivent prendre leur part de pauvres.
Se connecter pour écrire un commentaire.