D’apologie du terrorisme à simple outrage, l’étrange mort en prison de Bilal Elabdani

Actualité
le 25 Août 2017
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Le 10 août dernier, Bilal Elabdani a mis fin à ses jours en prison. Détenu en préventive, il devait répondre de faits d'outrage à agent et rébellion. Mis en garde à vue pour apologie du terrorisme, cette prévention n'a pas été retenu devant le tribunal. Ses parents veulent surtout comprendre pourquoi ses troubles psychiatriques n'ont jamais été pris en compte.

Les Baumettes en 2017.  source : wikimedia commons.
Les Baumettes en 2017. source : wikimedia commons.

Les Baumettes en 2017. source : wikimedia commons.

Il était venu voir la mer à Marseille, il a fini aux Baumettes et a perdu la vie. Mohamed Elabdani et son ex-femme Nadia n’arrivent toujours pas à comprendre ce qui est arrivé à leur fils Bilal, 20 ans, qui se serait donné la mort dans sa cellule, le 10 août dernier, comme l’a rapporté La Provence. “Nous nous sommes rendus à Marseille deux fois, nous avons été interrogés par la police et nous n’avons toujours pas vu notre fils, explique le père, originaire de Vienne, en Isère. Depuis 14 jours maintenant, on ne nous restitue pas le corps et nous n’arrivons pas à savoir ce qui s’est passé pour qu’il finisse par mourir en prison.”

Effondrée, la mère ne parvient pas à réaliser la disparition de ce fils qu’elle décrit comme “fragile mais doux”. “Il fallait juste le laisser tranquille, ne pas le toucher, ne pas l’embêter. Je ne sais ce qui s’est passé avec les policiers”, ajoute-t-elle sans pouvoir dire plus, rendue muette par la douleur.

En début de semaine, la famille Elabdani a mandaté son avocat Jérôme Pouillaude pour qu’il porte plainte pour “homicide involontaire” et permettre d’éclaircir les zones d’ombres qui persistent dans les circonstances qui entourent le suicide de Bilal. Parallèlement, comme c’est toujours le cas lors d’un décès en détention le parquet de Marseille a diligenté une enquête pour “recherche des causes de la mort”. “Mais dans le cadre de ce type d’enquête, nous n’avons pas accès au dossier et le parquet ne communique aucun élément”, souligne Jérôme Pouillaude.

Suivi psychiatrique et certificats médicaux

Mohamed et Nadia Elabdani souhaitent surtout comprendre pour quelles raisons les troubles psychiatriques dont leur fils souffrait depuis de longues années n’ont pas été pris en compte. Un psychiatre l’a jugé apte au régime de la garde à vue. Ses antécédents médicaux n’ont pas davantage pesé en comparution immédiate et lors de sa mise en détention provisoire à la prison des Baumettes. Or, les certificats médicaux faisant preuve de ces troubles et de son statut d’adulte handicapé ont été transmis par la famille dès la garde à vue par l’entremise de la police judiciaire de Lyon. “J’ai eu une enquêtrice sociale de la police de Marseille durant la garde à vue, précise Mohamed Elabdani. J’ai là encore rappelé qu’il était suivi par un psychiatre, qu’il avait fait des séjours en hôpital psychiatrique et subi neuf tentatives de suicide. J’ai même demandé à ce qu’elle me prévienne s’ils prolongeaient la garde à vue ou s’ils le déféraient devant un tribunal”. Il recevra bien un texto lui annonçant la comparution immédiate. La machine judiciaire est lancée.

Aujourd’hui encore, l’itinéraire de Bilal Elabdani peine à émerger du brouillard. Jeune homme fragile, diagnostiqué bipolaire et dépressif sans que les médecins soient certains d’avoir parfaitement cerné la pathologie dont il souffrait, il était suivi de près par ses parents après une longue période difficile ponctuée d’hospitalisations et de longues dépressions. “Après un séjour au Maroc, il allait mieux, assure son père. Et c’est pour ça qu’il a voulu partir à Marseille, tout seul. Pour nous prouver son autonomie.”

Itinéraire vers la mer

Le 6 août, il prend donc le train depuis Vienne, en cachette de ses parents. Le père l’apprend par son second fils et appelle aussitôt Bilal pour lui proposer de le rejoindre. Ce dernier le dissuade et lui dit qu’il rentre bientôt, prêt à écourter son séjour contre la promesse de vacances à deux avec son père.

À Marseille, il réside à l’hôtel. Pendant 24 heures, Mohamed Elabdani n’a plus de nouvelles jusqu’à un nouvel appel de son fils, lundi 7 août qui lui apprend qu’il est mis en garde à vue. Sur les circonstances et le lieu même de son arrestation, Mohamed Elabdani ne sait rien. Son fils lui parle d’une somme d’argent jetée à terre et d’apologie du terrorisme. “L’enquêtrice sociale m’a dit qu’il avait dit ‘allahou akhbar’ mais c’est pas de l’apologie du terrorisme de dire cela”, souligne-t-il. Ce délit figure bien parmi les motifs de l’arrestation aux côtés des mentions d’outrage à agent, rébellion et dégradation. D’après le parquet, ce sont d’ailleurs des grafittis réalisés par Bilal qui justifient à la fois les chefs de dégradation et d’apologie du terrorisme.

La piste avortée d’une radicalisation

Les enquêteurs de la police judiciaire vont d’ailleurs élargir leur recherche. Le mardi 8 août, Mohamed Elabdani reçoit un coup de téléphone de la police judiciaire de Lyon qui l’informe de leur intention de perquisitionner son domicile. “J’étais en déplacement sur un chantier à Albertville et je ne pouvais pas me déplacer mais j’ai indiqué que mon ex-femme et mon fils avaient les clefs de mon appartement”, reprend Mohamed Elabdani. Aux dires de ces derniers tel qu’ils le lui rapportent, les enquêteurs cherchent des armes ou des éléments indiquant une radicalisation. “Mon fils n’est pas religieux, il prie pour s’en remettre à Dieu quand il va vraiment mal”. Quoi qu’il en soit, les enquêteurs repartent avec tous les éléments sur le suivi psychiatrique de Bilal.

Ces faits d’apologie n’ont pas été retenus par le parquet lors de son déferrement en comparution immédiate, le mercredi 9 août. Au rôle, le parquet retient les faits présumés de “menace de mort, outrage à une personne dépositaire de l’autorité publique et “dégradation ou détérioration d’un bien”. Ces derniers faits se sont déroulés a priori dans ou à proximité de l’hôtel du Vieux-Port où séjournait le jeune homme puisque l’établissement est cité en victime. “Il y a là pour moi une première difficulté, souligne Jérôme Pouillaude. La garde à a vue est renouvelée une fois a priori pour des faits d’apologie qui ne tiennent pas mais on le déferre quand même en comparution immédiate pour des préventions qui me paraissent un peu légères et alors même que son état de santé nécessiterait plutôt un placement en psychiatrie”. Circonstance aggravante, selon Me Pouillaude, Bilal refuse de se faire assister par l’avocat de permanence. C’est donc seul qu’il se serait présenté en comparution immédiate devant le juge.

Expertise psychiatrique demandée

“Ce dernier a jugé son état suffisamment alarmant pour demander le renvoi du procès et dans l’attente que soit diligenté une expertise psychiatrique”, souligne Jérôme Pouillaude. Prenant acte du renvoi au 12 septembre, le parquet requiert le placement en détention provisoire du jeune homme. Une mesure classique compte tenu de l’éloignement du domicile habituel du prévenu et le risque qu’il se soustraie ainsi au contrôle judiciaire. Bilal Elabdani avait également un casier judiciaire pour des coups et blessures commis lorsqu’il était mineur. Mais là encore, souligne l’avocat, “les troubles psychiatriques de Bilal Elabdani auraient dû être pris en compte. Compte tenu des nombreuses tentatives de suicide commises par le passé, il n’aurait pas dû aller en prison”.

À 22 heures, selon le père, il passe les grilles des Baumettes. Nos confrères de France 3 ont interrogé la directrice adjointe du centre de détention. Selon elle, Bilal Elabdani aurait subi une visite médicale et un suivi psychiatrique est mis en place. Il est placé dans une cellule individuelle comme c’est cas pour tout nouvel arrivant et le personnel pénitentiaire le surveille toutes les heures. Cela n’empêche pas ce dernier de retrouver le jeune homme a priori pendu “entre 18 heures et 20 heures”, selon le père.

Une fois le décès annoncé, la famille se précipite à Marseille pour tenter d’en savoir plus et récupérer le corps de son fils. Baladés de l’Evêché au commissariat du 8e, ils finissent par être entendus séparément, comme lors d’une audition. Ils en sortent sans réponse, avec l’immense détresse d’avoir perdu un fils sans comprendre pourquoi. Depuis les questions s’amoncèlent : où sont passés les certificats ? Ont-il été transmis aux médecins qui ont examinés Bilal ? Pourquoi a-t-il été déferré en comparution immédiate pour des faits mineurs ? Avant d’avoir ces réponses, ils veulent le corps de leur fils pour démarrer leur deuil.

Actualisation le 25 août à 13 h 21 : précision des préventions inscrites au rôle lors de la comparution immédiate et de la date du renvoi.

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Commentaires

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  1. Germanicus33 Germanicus33

    Vraiment triste, un manque d’humanité évident de l’administration qui n’a tenu aucun compte des conclusions du juge !

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  2. zamzam zamzam

    Triste !

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