Dro Kilndjian (Marsatac) : “Pour continuer à exister, il faut pouvoir passer un cap”
Après 19 ans de nomadisme, le festival Marsatac s'implante à Chanot en ce début d'été. Son directeur artistique, Dro Kilndjian, revient sur la mémoire de l'exposition coloniale, les ambitions de l'événement et sa transformation en festival d'été.
La reformation de la Fonky Family est à l'affiche de Marsatac, ce vendredi. Photo : Florian Galle
19 ans de nomadisme, d’éclats, de coups de gueule, avec quelques découvertes et deux ou trois plantades. Marsatac s’implante à Chanot pour espérer y durer et poursuivre son développement. Car le festival de hip-hop, musiques électro et toutes tendances qui nourrit l’air du temps, a aussi décidé de changer de saison.
Festival de fin d’été et de rentrée marseillaise jusqu’ici, il s’inscrit désormais dans le début de calendrier des festivals estivaux. Un changement de tempo qui vise gros : s’inscrire sur le circuit européen du tourisme culturel. Directeur artistique de l’événement depuis ses débuts à l’Espace Julien, Dro Kilndjian passe en revue ces questions. En commençant sur l’implantation du festival dans le lieu même de la première exposition coloniale…
Sur Marsactu, une chercheuse, Marlène de Saussure, s’interroge sur l’implantation d’un festival hip-hop sur le lieu de l’exposition coloniale de 1906. Est-ce un élément que vous avez pris en compte ?
Nous n’y avons jamais pensé avant d’y aller. Après coup, forcément cette dimension du lieu a ressurgi. Il y a là un fait historique et une drôle d’évolution du lieu et de ses usages au fil du siècle. Mais faire un lien entre le hip-hop comme phénomène post-colonial et ce lieu me laisse sceptique. Le hip-hop est avant tout un phénomène culturel noir-américain fondé par les descendants des esclaves. Cela n’a pas de rapport avec la colonisation de la manière dont nous l’entendons. En Europe, le hip-hop a été revisité par la seconde et troisième génération nées de parents immigrés, dont certains venus des anciennes colonies. Mais, aujourd’hui, ce n’est pas que ça. Nous accueillons la Fonky Family dont certains membres sont effectivement issus de ces générations mais aussi Vald qui n’a rien à voir avec cette histoire ou Tommy Cash qui est Estonien. Et si on regarde les textes de la Fonky Family, ils sont rarement sur une forme de revendication politique ou historique mais plus sociale.
Enfin, avant d’être un lieu d’exposition coloniale, le lieu était un champ de manœuvre militaire. Faut-il aussi le prendre en compte ? Le lieu a évolué en même temps que la société. Maintenant cela raconte surtout que la ville n’a pas gardé beaucoup de trace de cette période. Mais je ne sais pas si Bordeaux a beaucoup de trace de son rôle dans le commerce des esclaves. Quoi qu’il en soit, le parc Chanot a aussi une histoire culturelle méconnue en accueillant de grands concerts comme Gainsbourg et les Wailers, Magma en 1972, Bowie en 1978, The Cure dans les années 80. C’est à ce fil que l’on se raccroche.
Votre ancrage à Chanot signifie donc la fin du nomadisme ?
Nous l’espérons. Après 9 lieux en 19 ans, nous avons l’envie de nous poser un peu. Cette première prise en main doit nous permettre de capitaliser et de nous installer pendant une période de 3 à 5 ans. Cela dépend de cette première édition et de la suivante qui coïncidera avec nos 20 ans. Le parc Chanot permet également de penser notre propre expansion sur d’autres halls que les trois que nous investissons ce week-end.
Comment allez vous gérer les espaces extérieurs d’un lieu qui n’a pas une identité très forte ?
L’entrée se fait par le boulevard Rabatau et débouche sur les trois halls occupés par le festival en dessinant une place de village au centre d’un U. Ce sera le lieu d’installations visuelles et lumineuses qui déborderont sur les façades. Nous comptons également utiliser le stade Vélodrome comme un arrière-fond sur lequel nous allons faire des projections. Les tests sont prévus pour ce jeudi. C’est certain que l’espace est moins marqué, plus neutre que d’autres lieux que nous avons investis auparavant. C’est à nous de lui donner un peu d’âme. Cela fait partie du pari.
Ce déménagement coïncide également avec un changement de date. De festival de rentrée, vous devenez un festival d’été. Pourquoi ?
Longtemps, Marsatac était le festival de fin de saison estival et ça nous allait bien comme ça. Désormais on se positionne en amorce de la saison des festivals. Cela relève de plusieurs idées. D’abord, la transformation de la ville en destination touristique. Quand nous étions un événement de la ville, voire de la région, ce n’était pas important. Si nous nous positionnons à l’échelle nationale, voire internationale, cela devient différent. C’est la même chose pour les artistes. En été, on peut faire venir des gens qui ne sont plus en Europe à la rentrée. Cela permettait d’avoir une programmation décalée.
Est-ce lié au partenariat que vous inaugurez avec Live Nation, une des grosses structures internationales qui font tourner des artistes dans le monde entier ?
Non. C’est la première édition où ils s’inscrivent en coproduction et il n’y a pas d’engagement ferme et définitif avec eux. Et ils n’ont pas d’exigence particulière. En revanche, cela nous permet de faire venir des artistes internationaux qu’on n’aurait peut-être pas réussi à faire venir tout seuls comme les Sud-Africains de Die Antwoord. Mais ce type de partenariat est inévitable. C’est le cas de tous les grands festivals en Europe.
Mais n’y a-t-il pas un risque d’uniformisation comme pour les grosses agences de joueurs comme Doyen sports dans le football ?
Cela fait un peu ça. La tendance est à la concentration dans ce secteur où les tournées des artistes vont se concentrer entre les mains de quelques acteurs. Les petites structures associatives, locales, vont avoir du mal à passer le cap. Nous sommes inscrits dans cette démarche où, pour continuer à exister, il faut pouvoir passer un cap.
Cela veut dire que Marsatac a l’ambition de jouer dans la cour des grands ?
Nous avons toujours eu cette ambition de développement, de massifier la fréquentation tout en gardant cette originalité dans la programmation. C’est ce que nous faisons cette année avec quelques grands noms comme Die Antwoord mais aussi des artistes locaux et des découvertes.
La tenue d’un festival Deezer, gratuit au Dock des suds ce samedi ne vous inquiète pas ?
Tant pis pour eux. Quand on arrive quelque part, on regarde ce qu’il y a. Cela ne change rien pour nous. C’est un coup de promotion, pas destiné à durer. Nous sommes là depuis longtemps.
Mais la structure qui porte Marsatac, l’association Orane n’est pas passée loin de la cessation de paiements…
Nous n’avons jamais été dans cette situation mais c’est vrai que nous avons traversé des périodes assez difficiles juste après 2013. Il a fallu faire des efforts financiers dans la gestion des coûts. La fréquentation est restée stable mais tous les financements des partenaires publics se sont rétractés que cela soit la Région, le Département, la Ville. C’est la tendance générale pour ce type d’événements. La part de financement public a tendance à se réduire au profit des partenariats privés et des ressources issues de la fréquentation. Nous sommes aujourd’hui à 30 % de fonds publics alors que certains années nous sommes allés jusqu’à 45 %. Cela ne veut pas dire que cela ne progresse pas en volume, mais le pourcentage, lui, a tendance à se réduire.
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