“La culture rap et slam est bien vivante dans les quartiers, pourquoi pas l’opéra ?”

Reportage
le 11 Mai 2017
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Ce vendredi, la scène nationale du Merlan accueille l'opéra .22, une œuvre lyrique créée par plus de 150 habitants des quartiers Nord, des écoliers aux retraités. Ultime répétition avant l'aboutissement d'une aventure collective de deux ans.

“La culture rap et slam est bien vivante dans les quartiers, pourquoi pas l’opéra ?”
“La culture rap et slam est bien vivante dans les quartiers, pourquoi pas l’opéra ?”

“La culture rap et slam est bien vivante dans les quartiers, pourquoi pas l’opéra ?”

Les robots se rangent les uns derrière les autres. Ils se suivent avec des gestes mécaniques. Dans un coin, les répétirieurs et les apprentis attendent leur tour. Cela semble étrange, normal, nous sommes en 2143. C’est le cadre de l’opéra .22 que enfants des écoles Busserine (14e) et Saint-Henri Rabelais (16e) répètent ce dimanche au Merlan. Ce vendredi, ils joueront pour la première fois ce spectacle à quelques mètres seulement, sur la grande scène du Théâtre du Merlan, avec une chorale amateur et des pensionnaires des maisons de retraite alentour. L’accueil de l’opéra .22 par la scène nationale donne une envergure sans précédent à cette création participative et intergénérationnelle.

Ils vont se produire sur une vraie scène, avec des professionnels, c’est une belle découverte culturelle pour eux“, se réjouit Olivier Dracius, professeur de CE1 et directeur de l’école Busserine. Les enfants ne semblent pas mesurer l’ampleur de ce qu’ils ont fait, pourtant certains appréhendent déjà de monter sur scène. À l’abri du regard des adultes, ils partagent quelques astuces. “Il faut peut-être essayer les chewing-gum, il paraît que ça déstresse“, lance Badis. Pour Sofiane, rien ne presse, “il nous reste encore la répétition de demain, jeudi et puis vendredi”

Après deux heures de répétition, ces derniers commencent à se dissiper, ils réclament une pause. Avant, ils devront chanter quelques chansons devant les plus grands. Marianne Suner,  dernière sa partition les dirigent, “Un, deux, trois, et…”. Cette dernière est compositrice, chanteuse et cheffe de chœur. Avec son association Vivier opéra cité (VOC), elle est à l’origine de ce projet qui court depuis 2015 et mêle enfants, adolescents et adultes de tous âges.

“Un enfant bariolé”

En cette matinée de long week-end, les écoliers ne sont pas tout à fait au point pour les chorégraphie, ils semblent plus à l’aise avec les chansons, “Ti ti li li ti ti ti, demande au computer…” Le computer, c’est un élément central du scénario. L’histoire se passe en 2143, dans une société où tout est formaté et contrôlé. “Le Système 22, système d’organisation planétaire a permis d’éradiquer la misère, les guerres et d’adapter la vie des terriens à l’équilibre écologique et climatique de leur planète”, explique le dossier de presse. Cet univers va être chamboulé par la naissance d’un enfant “bariolé”. S’en suit une réflexion philosophique sur le droit à la différence.

L’opéra .22 est une aventure hors du commun. Le début de l’histoire a été inventé par les six adolescents de la Troupe chantante, un groupe de soliste créée et dirigée par l’équipe du VOC, il y deux ans. Le reste a été écrit par tout le monde. Tout le monde, c’est-à-dire les enfants de deux écoles, les adultes de la chorale “On n’est pas là pour” et les retraités du centre social Del Rio de La Viste. C’est l’écrivain Fanny Blondel qui a supervisé ce travail d’écriture : “On n’a pas fait passer les idées d’un groupe à un autre. Ils ont parlé de leur vécu, de ce qu’ils voyaient. J’ai fait un mélange à partir de ce qui ressortait le plus souvent.” Habituellement, les différents groupes répètent séparément, mais à seulement quelques jours de la représentation, les participants ont décidé de répéter tous ensemble cet après-midi.

 

Les enfants des écoles, les choristes d’On est pas là pour en répétition avec Marianne Suner.

“Je pensais que je n’étais pas fait pour le chant”

C’est au tour de Mourad, soliste de la Troupe chantante, de donner le signal aux enfants, il avance, seul, au centre de la pièce et commence à chanter, “Pourquoi, le pourquoi du comment…”. Après une fausse note, il grimace. À 12 ans, la voix du garçon commence à muer. Marianne Suner l’avertit :”je t’interdis de muer avant le soir de la représentation”. Il rit. Mourad, elle l’appelle sa “pépite“, le jeune garçon est en classe de sixième au collège de la Castellane (16e). 

A la pause déjeuner, alors que les enfants et leurs aînés sont allés pique-niquer au parc Font-Obscure tout proche, Mourad propose de raconter son “histoire”, assis sur les marches du théâtre. “J’ai rencontré Marianne quand j’étais en CM1, elle trouvait que j’avais une belle voix… Ça m’arrivait de chanter à la maison. A l’été 2015, j’ai participé à un stage, on a appris à chanter, on faisait de la musique. Maintenant je fais partie de la Troupe chantante. Je ne pensais pas faire du chant…” Il s’arrête pour aller chercher Marianne Suner. “Elle expliquera mieux que moi”, promet-il. La cheffe de chœur raconte volontiers comment elle l’a pris sous son aile.

“Je me suis investie pour qu’il assiste à tous les cours et les répétitions. Nous allons même le chercher à la Castellane parce que la cité est difficilement accessible en bus”, explique-t-elle. Son parcours personnel la pousse à cette attention. Elle a elle-même vécu dans une cité et a vu avec ses “yeux d’enfants” qu’on pouvait y faire des choses extraordinaires. “J’ai grandi dans le 93 [Seine Saint-Denis, ndlr], à Bagnolet, où le compositeur Georges Aperghis était basé. J’allais au conservatoire prendre des cours et je le voyais faire des choses folles, cela m’a donné envie de devenir compositrice. Il m’a donné cette volonté de faire de la musique avant-garde dans les cités“, affirme-t-elle.

De la musique savante pour tous

“La culture rap et slam est bien vivante dans les quartiers, alors pourquoi pas l’opéra ?” Marianne Suner ne se pose plus la question et milite pour que la culture dite “savante” ne soit plus réservée aux populations aisées. “Il faut qu’elle appartienne à tout le monde et que tout un chacun puisse la saisir, y compris les jeunes des quartiers. Ce sont des personnes qui pour certains vivent dans des conditions extrêmement dures. Ces jeunes sont hors cadre, ce sont des enfants qui n’ont pas été formatés à donner la réponse que l’on attend d’eux et c’est d’une richesse extraordinaire, ça donne des choses inouïes.

Elle en est sûre, le petit Mourad est voué à devenir artiste. Lui n’aspirait pas à être soliste dans une troupe. “J’imaginais… Je pensais que le chant ce n’était pas fait pour moi“, répond-il timidement. Marianne Suner réagit sans attendre : “Mourad c’est un musicien mais il ne le savait pas. Il fait toujours de la belle musique, avec sa voix, à la guitare, au piano, tout ce qu’il touche ça fait de la musique.” Pour le grand soir, Mourad a décidé d’oublier qu’il s’agissait de la scène nationale du Théâtre du Merlan et que près de 400 personnes lui feront face. ll fera comme pour n’importe quelle répétition, il chantera avec le cœur.

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Commentaires

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  1. Vince Vince

    Belle initiative ! il en faut encore 🙂

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