Le maudit marché de la rénovation du Panier

Actualité
le 11 Avr 2017
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Les salariés d'une PME spécialisée dans la rénovation de bâti ancien ont fait le siège du groupe SNI qu'ils accusent d'avoir mis leur boîte au bord de la liquidation. Derrière ce conflit, se profile le chantier sans fin des anciens taudis du Panier.

Le maudit marché de la rénovation du Panier
Le maudit marché de la rénovation du Panier

Le maudit marché de la rénovation du Panier

Pour une fois, les banderoles n’ont pas été réalisées à la va-vite. Les photos sont signées d’un photographe professionnel, Jérôme Cabanel, spécialisé dans les images de chantier. Les ouvriers y posent fièrement sous l’appellation officielle “Les rénovateurs du Panier”. Ce lundi matin, les salariés de la société Méditerranéenne de travaux (MDT) font le siège de la SNI, plus connue à Marseille par sa filiale le Nouveau logis provençal. C’est avec cette dernière que MDT a signé en 2015 un contrat pour rénover huit immeubles très dégradés au cœur du Panier, en vue de réaliser 30 logements sociaux au cœur du quartier historique.

Il s’agit de la deuxième tranche d’un chantier sur lequel flotte le drapeau de l’agence nationale de rénovation urbaine et les logos des collectivités locales qui le financent. Un chantier d’autant plus symbolique qu’il s’agit pour partie du patrimoine d’un des célèbres marchands de sommeil du quartier, Papa Sanchez. Au début des années 2000, vivaient rue du Poirier, montée Saint-Esprit ou rue de l’Abadie, des familles très précaires, dans des conditions de réelle indignité. À la montée des Accoules, les anciens du quartier se souviennent encore de Pierrot, libraire au grand cœur qui venait en aide aux nombreux enfants qui préféraient la rue aux intérieurs vétustes. Voilà pour le cadre et l’objectif forcément vertueux : des taudis transformés en logements sociaux.

Devant le siège du groupe SNI. (image : Marine Martin)

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L’envers du décor paraît moins reluisant. Deux ans plus tard, MDT est exsangue et ses salariés accusent la SNI, filiale du groupe public Caisse des dépôts, d’être “leurs fossoyeurs”. “Nous sommes en cessation de paiements. Le groupe SNI me doit au bas mot 850 000 euros, constate Marc Dani, le patron de MDT. J’ai pu payer mes 18 salariés en mars en partie seulement. J’ai été obligé de vendre un véhicule pour faire face au restant.” Pour le patron, sa boîte part tout droit au tribunal de commerce “où ils nous mettront direct en liquidation”.

Le chantier des taudis

Le différend qui oppose le grand groupe immobilier et la PME du BTP est de ceux qui sont rarement exposés au grand jour. Le plus souvent, cela se gère par courrier d’avocats et bras de fer feutrés sans jamais être mis sur la place publique. Sauf que les salariés de MDT ne l’entendent pas de cette oreille et l’ont fait savoir au groupe SNI. “Notre patron nous a mis au courant de la situation de l’entreprise il y a quelques jours, explique Nicolas Tadros un des salariés. Mais nous avons vécu ce chantier au jour le jour.”

“Tout a commencé quand nous avons découvert l’intérieur des bâtiments, poursuit le salarié. Il nous a fallu trois mois pour mettre l’immeuble au propre. Et nous nous sommes aperçus que nous n’avions pas les études techniques nécessaires pour commencer les travaux”. Le salarié en tient pour preuve la découverte d’un puits à un endroit où ils souhaitaient installer une nouvelle fondation pour un mur porteur. Ailleurs, ce sont des caves non répertoriées qui ont été mises à jour. Sans compter les tonnes de gravats et d’encombrants qu’il a fallu extraire pour découvrir les structures du bâti.

Le chantier arrêté, montée des Accoules. (image Benoît Gilles)

Absence d’études

Sans ces études que la PME estime indispensables, les chantiers, notamment celui de la Montée des Accoules mais aussi rue du Poirier, n’ont pas pu avancer. “Je me suis retrouvé à devoir payer mes gars à balayer plutôt qu’à bosser, soupire Marc Dani. Et ne dites pas que j’envoie mes salariés en première ligne. Cela fait des mois que je me bats pour faire entendre raison au groupe SNI et au maître d’œuvre, l’agence de l’architecte Philippe Donjerkovic.”

Ce dernier se refuse à commenter le différend en cours, se bornant à souligner une différence d’approche avec Marc Dani : “Depuis le début, la société a remis en cause les études que nous avions réalisées et a changé le mode opératoire de traitement des immeubles. C’est cette variante qui les met aujourd’hui en difficulté.”

En face, le chef d’entreprise balaie l’argument. “Bien sûr que nous avions un désaccord sur les structures porteuses mais ce n’est pas ça qui nous a mis dans la difficulté, s’emporte-t-il. Nous ne pouvions pas avancer sur ces chantiers sans avoir au minimum les études géotechniques. Cela veut dire savoir ce qu’il y a sous les immeubles. Or, ça nous ne les avions pas. Nous avons visité les huit lots en deux heures de temps sans pouvoir se rendre compte de ce qu’il y avait derrière. Or, quand vous découvrez un puits ou une cave, vous pouvez difficilement appuyer un chantier dessus.”

“L’expérience de ce type de chantier”

Du côté du maître d’ouvrage, le groupe SNI, le directeur Pierre Fournon plaide la bonne foi : “Nous avons choisi cette entreprise parce qu’elle disait avoir l’expérience de ce type de chantier. Beaucoup de temps s’est écoulé en discussion entre la notification du chantier et la signature du contrat pour un marché à prix global et forfaitaire.” En clair, dans ce type de procédure, le patron s’engage sur un montant global qui comprend l’ensemble des prestations qu’il doit réaliser.

Or, pour ce dernier, cela ne peut fonctionner qu’en ayant une vision claire du chantier dans lequel il s’engage, ce qui ne pouvait être possible qu’après avoir déblayé le plus gros. “Je ne comprends pas bien cet argument, réplique Pierre Fournon, pour le groupe SNI. Il y a eu de multiples visites et ils ont signé en sachant qu’il s’agissait d’endroits techniquement compliqués”.

Quant aux problèmes financier rencontrés par l’entreprise, “Nous leur avons proposé de présenter leurs factures tous les 15 jours pour leur permettre d’avoir de la trésorerie”, insiste le directeur, qui dit avoir tout fait pour leur faciliter les choses.

Ce mardi, les salariés et le patron seront reçus au siège de l’antenne sud-est de la SNI pour une ultime réunion de conciliation. Marc Dani ne se fait guère d’illusion. Pour lui, au-delà des aspects techniques, son histoire raconte la difficulté de dialogue entre un grand groupe et une PME locale. Celles-là même que les différents candidats à la présidentielle souhaitent voir accéder plus facilement aux marchés publics.

Benoît Gilles avec Marine Martin

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Commentaires

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  1. barbapapa barbapapa

    Impossible de lire la 3e photo sans avoir le vertige ! Le 1er plan est une bâche sérigraphiée ?

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    • yannick l yannick l

      oui
      C’est visible à la montée des accoules

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  2. Benoît Gilles Benoît Gilles

    Bonjour
    il s’agit d’une commande faite par le groupe SNI au photographe Jérôme Cabanel qui, depuis 15 ans, s’est fait une spécialité des chantiers du BTP. Les images sont effectivement exposées sur les bâches de protection des échafaudages, Montée des Accoules. Aujourd’hui, ce travail photographique valorisant a un goût amer pour les salariés de la PME qui doit se déclarer en cessation de paiement en fin de semaine.

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  3. LaPlaine _ LaPlaine _

    Lorsque j’avais vu ces bâches sérigraphiées j’avais éprouvé une certaine fierté pour tous ces hommes qui bâtissent, rénovent, embellissent le quotidien d’autres hommes, cela faisait chaud au cœur cette reconnaissance. Beaucoup d’amertume effectivement aujourd’hui à la lecture de cet article.

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