Pourquoi la révolte des femmes de chambre fait tache d’huile

Décryptage
le 4 Nov 2016
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Le Blu Radisson est le cinquième hôtel marseillais concerné par une grève des femmes de chambre cette année. En cinq points, Marsactu essaie de comprendre les raisons de cette extension de la lutte.

Une cliente photographie le piquet de grève devant l
Une cliente photographie le piquet de grève devant l'hôtel Blu Radisson sur le vieux-port. (Photo : B.G.)

Une cliente photographie le piquet de grève devant l'hôtel Blu Radisson sur le vieux-port. (Photo : B.G.)

Marseille, son Vieux-Port, sa bonne mère et ses femmes de chambre en colère. L’image va finir par faire partie du folklore locale. Ce jeudi matin, quai de Rive-Neuve, certains touristes qui sortent de l’hôtel Radisson Blu s’arrêtent pour immortaliser d’un cliché le piquet de grève qui tintamarre sans discontinuer depuis quatre jours. Tania Da Silva en a la voix cassée. Cela fait sept ans qu’elle travaille pour Acqua, la société de nettoyage sous-traitante qui les emploie. Comme ailleurs, ces femmes de chambre et équipiers en colère réclament une revalorisation salariale, le paiement d’un treizième mois et le passage d’un paiement à la tâche déguisé au salaire horaire.

Depuis le début de l’année, c’est le cinquième hôtel qui est ainsi touché par un mouvement social des personnels en charge du nettoyage, femmes de chambre et équipiers en charge des parties communes et des vitres. Pourquoi une telle flambée sociale dans un secteur plutôt réputé pour son faible taux de syndicalisation ? Tentative d’explication en cinq points.

L’effet tache d’huile

Femme de chambre au Radisson, Tania Da Silva et ses collègues ont tout suivi des combats des “copines” de l’hôtel Massalia, du B & B de la Joliette, de l’Appart’City et de l’Intercontinental. La victoire de ces dernières leur a donné des ailes. “Cela faisait longtemps que j’essayais de les motiver pour faire grève mais elles avaient peur, explique-t-elle. Quand on a vu que ça payait, cela les a décidées à se lancer.” Elles ont également attendu que l’hôtel soit complet, histoire d’avoir un moyen de pression supplémentaire.

Enfin, la presse en général – et Marsactu ne fait pas exception – est friande du contraste qu’offre ce type de conflit sociaux : des salariées sous-payées et précaires, des manquements au code du travail se cachent derrière la vitrine du tourisme et de l’hôtellerie de luxe. “Cet effet médiatique est un peu gênant, reconnaît Alain Paulin, le président de l’UMIH 13, le syndicat hôtelier. Cela donne une mauvaise image de notre profession qui est pourtant créatrice d’emplois. Bien entendu, c’est utilisé par les syndicats.”

La CNT-SO, syndicat spécialisé

Dans les quatre cas marseillais, les piquets de grève sont colorés des mêmes drapeaux rouge et noir aux poings liés. C’est l’emblème de la Confédération nationale du travail – solidarité ouvrière. Ce syndicat libertaire est né de la scission au sein du mouvement historique de l’arnacho-syndicalisme. Dès 2011, des tensions apparaissent au sein du mouvement autour de la nécessité ou pas de salarier un permanent du syndicat du nettoyage de la CNT pour jouer le rôle de conseiller juridique d’adhérents souvent démunis.

Ces tensions débouchent en 2012 sur une scission entre deux CNT, la CNT-F, fidèle au militantisme “sans bureaucratie” et la CNT-SO qui revendique une orientation plus pragmatique auprès des salariés les plus précaires. En 2013, lors de son premier congrès, la CNT-SO adopte une motion qui fait le choix de “privilégier l’intervention dans les secteurs les plus précarisés : bâtiment, commerce, hôtellerie, nettoyage, restauration”. À Marseille, cela passe par la distribution de tracts auprès des femmes de chambre, le soutien individuel et l’adhésion ponctuelle avant de passer aux actions collectives.

“Pour être clair, nous consacrons peu de temps à la formation de nos adhérents à l’idéologie de notre mouvement, sourit Camille El Mhamdi, militante au sein de la CNT-SO. Mais nous sommes tous d’accord là-dessus : notre volonté est de sortir de l’entre-soi et laisser de côté l’idéologie pour être aux côtés de ceux qui en ont besoin.” Pour l’heure, leur démarche fonctionne surtout dans les chaînes hôtelières et plus ponctuellement dans le nettoyage des bureaux. “C’est vrai que nous avons moins de visibilité sur les petits hôtels, voire même les chaînes de moindre standing, poursuit-elle. On doit y trouver les mêmes abus, voire pire.”

Paiement à la tâche ou à l’heure ?

Le cœur des revendications des femmes de chambre concerne le paiement dit à la tâche. La plupart d’entre elles sont en contrat à temps partiel. Au B & B, à l’Intercontinental ou au Radisson, elles travaillent cinq heures quotidiennes payées 9,94 euros brut de l’heure. Ça, c’est pour la fiche de paie. Mais leur temps de travail effectif varie en fonction du nombre de chambres réelles qu’elles ont à nettoyer. Au B & B de la Joliette, à Appart’City ou au Massalia Hôtel, les heures de travail réelles n’étaient comptabilisées que sur une feuille volante remplie par la gouvernante qui surveille le travail des femmes de chambre. C’est d’ailleurs la première revendication sur laquelle les grévistes obtiennent satisfaction.

Dans le cas de l’Intercontinental ou du Radisson, le cas est plus complexe. Ces deux hôtels du Vieux-Port possèdent une pointeuse. Les heures de travail sont donc comptabilisées par une machine, censée être objective. Dans la réalité, le système est le même. “Je commence tous les matins à 9 heures et je suis censée finir à 14 heures mais cela dépasse toujours en fonction du nombre de chambres. Cela peut-être 12, 14 ou 15 par jour, explique Tania Da Silva. Généralement, je ne sors jamais avant 15 ou 16 heures.”

Ces heures dites complémentaires sont bien comptabilisées mais aux dires des employées, elles sont rarement payées. Pourtant le site de la société Acqua précise à la page “responsabilité partagée” : “Le code du travail est scrupuleusement respecté. Les droits et les devoirs de tous les intervenants sont mis en exergue dans la pratique même de leur métier.” Toujours en négociations, la directrice des ressources humaines n’a pas souhaité commenter le conflit en cours mais d’après la CNT-SO, la question des décalages entre les heures travaillées et les heures payées a été le premier point de conflit levé. En revanche, d’après les employées, la direction n’a concédé pour l’instant qu’une augmentation de “3 centimes” par heure.

Une sous-traitance généralisée

Pour le président du syndicat hôtelier des Bouches-du-Rhône, Alain Paulin, ce système découle directement du contrat de sous-traitance. “La plupart du temps, nous signons un contrat avec un nombre précis de chambres à nettoyer et un coût à la chambre, explique-t-il. Il est donc normal qu’il répercute ce coût à la chambre sur son personnel.” Mais le contrat qui lie deux sociétés pour une prestation précise n’est pas de même nature que celui qui lie une société avec ses employés. Si les tâches peuvent être clairement identifiées, la personne est payée pour un nombre d’heures travaillées et non pas pour un nombre de chambres nettoyées.

Cette sous-traitance du nettoyage des chambres est de plus en plus répandue dans l’hôtellerie. Dans une étude de 2007, le Centre d’études et recherche sur les qualifications (Céreq) estime que “plus d’un tiers des établissements hôteliers s’appuient sur la sous-traitance pour l’activité de nettoyage des chambres”. “Ce ne sont pas les grands groupes qui ont commencé, explique Alain Paulin. Ce sont même les indépendants pour des raisons de saisonnalité et de seuil de personnel.” En externalisant le nettoyage des chambres, l’hôtelier évite ainsi d’atteindre les 50 salariés, ce qui l’obligerait à organiser l’élection de délégués du personnel et la mise en place d’un comité d’entreprise. À Marseille en tout cas, la pratique concerne également les grands groupes.

Une précarité bien ancrée

Cette situation contribue à renforcer la précarité des personnels hôteliers et, en particulier, les femmes de chambre et équipiers qui relèvent de la catégorie “salariés à bas salaires”. Si les équipiers arrivent à gagner l’équivalent du SMIC mensuel, les femmes de chambre restent coincées entre 800 et 900 euros net. “Entre 40 et 70 % des femmes de chambre sont des immigrées”, constate l’étude du Céreq qui porte sur le Royaume-Uni, le Danemark et la France.

À Marseille, dans les cinq hôtels, les femmes de chambre sont majoritairement des jeunes femmes, noires, d’origine étrangère, principalement comoriennes et cap-verdiennes. “Ils profitent que nous sommes étrangers et que nous ne connaissons pas nos droits pour nous exploiter“, estime Fabricio Barbosa d’origine brésilienne. Un point de vue partagée par toutes les femmes de chambre interrogées.

C’est un métier où il ne fait pas bon vieillir. Celles qui gagnent de l’expérience obtiennent parfois un poste de gouvernante et ce sont elles qui doivent alors imposer les cadences et contrôler le travail. Si elles restent femmes de chambre, la situation peut se compliquer avec les troubles musculo-squelettiques liées aux lourdes charges et aux tâches répétitives. Salariée d’Acqua depuis 8 ans, Laurence Fiedmann a 20 ans de métier derrière elle, à Paris et Marseille, “toujours payée au lance-pierre”. Depuis quelques temps, elle souffre d’un genou et a dû prendre un congé maladie d’un mois. “La médecine du travail m’a autorisée à reprendre mais en limitant le nombre de chambres à quatre, explique-t-elle. Il est possible que je doive à nouveau être opérée et j’ai peur qu’il ne me reprenne pas.”

Elle dit ça dans un souffle et reprend sa place devant le piquet où elle tape sur une casserole. Elle espère sans le dire trop fort que le mouvement ne dure pas.

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Commentaires

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  1. laurent laurent

    Certains esprits bien-pensants aimeraient mettre un coup de balai sur cette grogne légitime, mais que c’est beau de voir ces femmes soudées et défendre leurs intérêts face aux groupes hôteliers qui brassent des millions,elles qu’on entend jamais et corvéables à merci.

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  2. VitroPhil VitroPhil

    Merci à Marsactu de suivre ces conflits sociaux et en particulier pour cet article qui donne une vue précise du problème.

    Une petite critique sur le titre en forme de question : si on a lu les articles précédent il n’est pas nécessaire de lire celui-ci pour être en mesure de répondre à la question.

    Les information sur le syndicat CNT-SO aident à mieux cerner cette organisation méconnue mais efficace sur ce dossier.

    La problématique dans le monde du nettoyage des bureaux est assez semblable voir pire avec les horaires décalés et parfois un isolement plus important.
    Là aussi une mobilisation (sans doute plus difficile ) pourrait faire avancé les choses.

    La sous traitance rime trop souvent avec maltraitance. Autant le principe est utile pour des fonctions technique ne nécessitant pas d’intervention continue, autant dans le cadre de main d’oeuvre importante et peu qualifié cela ne sert qu’a exclure cette main d’oeuvre du reste du personnel avec des objectifs plus ou moins avoué :
    – Réduire les coûts fixes
    – Échapper à certain seuils comme la barre des 50/300 salariés.
    – Exclure de la participation et de l’intéressement si l’entreprise se porte bien.
    – Voir une certaine homogénéité du personnel ?

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