LA POLITIQUE DE L’ENVIRONNEMENT À MARSEILLE (3) : LA VILLE SALE

Billet de blog
le 5 Sep 2025
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J’ai déjà évoqué la question de la saleté de l’espace de la ville à Marseille. J’y reviens parce que je pense qu’il faut faire retrouver à la saleté urbaine et au projet rendre sa propreté à la ville leur signification politique.

Les poubelles débordent de déchets dans la gare Marseille Saint-Charles, le dimanche 15 septembre 2024. (Photo : ML)
Les poubelles débordent de déchets dans la gare Marseille Saint-Charles, le dimanche 15 septembre 2024. (Photo : ML)

Les poubelles débordent de déchets dans la gare Marseille Saint-Charles, le dimanche 15 septembre 2024. (Photo : ML)

La ville sale

Marseille est sale. Toutes les villes, certainement, le sont plus ou moins, cela tient en partie au nombre de personnes qui y vivent, mais je pense que Marseille atteint des sommets dans ce domaine. Il y a plusieurs saletés, à Marseille, qui montrent tous, chacun à sa manière, les différentes manières dont l’espace de la ville est ainsi ignoré, voire méprisé. Les papiers, les canettes et les cartons qui jonchent le sol manifestent un mépris pour l’espace public de la part de celles et de ceux qui ont ce geste de les jeter à terre. Les encombrants de chantiers et les détritus issus des travaux montrent plutôt, eux, que les travaux se font à Marseille dans l’indifférence, ou, encore une fois, le mépris, des entreprises qui se livrent aux chantiers ou, le plus souvent, des particuliers qui croient montrer leur supériorité en s’appropriant l’espace public. L’urine manifeste, plutôt, elle, uns forme d’exclusion de ceux qui s’y livrent : comme ils se sentent exclus de l’espace de la ville, cet espace n’est pas pour eux, c’est comme s’ils n’y vivaient pas. C’est ainsi que, dans tous ces cas de figure, dans sa saleté, Marseille manifeste une tension entre elle et celles et ceux qui y vivent. Habiter Marseille n’est pas une pratique sociale simple, il s’agit véritablement, de la manifestation d’une tension. Habiter Marseille, c’est ressentir plus ou le moins une sorte d’exclusion – au moins dans certains quartiers dans lesquels la ville n’a pas su retrouver ses habitantes et ses habitants.

 

« Les gestes simples qui font la différence »

Ces mots sont la dernière marotte de la métropole : elle les a placardés sur des affiches disposées un peu partout, depuis quelque temps, dans les rues. Je pense que voir ces mots m’a donné envie d’écrire ces lignes, car ils ont suscité, de ma part, une véritable indignation politique. C’est qu’en écrivant ces mots qu’elle croit poétiques, la métropole se décharge (quel beau mot, ici, soit dit en passant) de sa responsabilité de collectivité locale à l’égard des habitantes et des habitants. En effet, l’entretien des rues relève de la responsabilité de la métropole qui, dans ce domaine comme dans bien d’autres, ne remplit pas les missions que la loi lui donne. Cette inaction de la métropole a deux significations. La première est le dédain de l’espace public pour les pouvoirs de la métropole. L’espace public ne rapporte rien aux entreprises, donc cela ne sert à rien de s’en occuper. Une autre signification de ce dédain réside dans l’inégalité de traitement dans le domaine de l’entretien des rues entre les quartiers. Je l’ai déjà dit ici, mais c’est important de le rappeler : je vais à Périer toutes les semaines, et je me rends compte de la différence de propreté entre les rues de ce quartier et celles du quartier où j’habite. Et je n’habite pas dans un quartier figurant parmi les quartiers défavorisés. D’une part, cela veut dire que l’entretien des rues est un facteur de « différence », comme dit l’affiche, et de ségrégation sociale. D’autre part, l’entretien cesserait d’être une question politique, donc de pouvoir, pour devenir une question de responsabilité individuelle, c’est-à-dire une question morale. C’est bien cela que signifie la morale : le déplacement du devoir et de la responsabilité des institutions vers les individus. Mais encore, faut-il, pour que les habitantes et les habitants ressentent le devoir de contribuer à entretenir la ville, qu’ils aient sous les yeux, pour l’entretenir, une ville déjà entretenue et des paysages urbains agréables à regarder. Comme il s’agit d’une médiation, c’est encore une question d’œuf et de poule. 

 

Une véritable écologie urbaine

On a tendance à l’oublier, mais l’entretien de l’espace public est une question d’écologie. L’écologie politique désigne le domaine du politique qui porte sur l’espace habité, sur l’oikos. L’écologie institue une véritable médiation politique de l’espace en articulant une dimension singulière de l’espace, celle de l’habiter, des devoirs collectifs et des pratiques singulières, et une dimension collective, celle de la prévision, de l’élaboration des lois, mais aussi, ce qu’il ne faut pas oublier, celle de la politique et des actions menées entre notre nom par les pouvoirs qui nous gouvernent. La saleté fait partie des problèmes écologiques les plus aigus, parce qu’il s’agit d’une expérience de tous les jours. Même si tout le monde dira que ce n’est pas important (« Lamizet vient encore de nous casser les pieds avec ses petits questionnements obsessionnels »), en attendant, c’est en faisant tous les jours l’expérience de l’espace social que nous donnons un sens à la politique spatiale des pouvoirs et c’est ce qui distingue une politique de gauche de l’espace, fondée sur la solidarité et sur l’égalité, d’une politique de droite, visant à pérenniser les inégalités.

Rendre leur espace aux habitants

Finalement, c’est là le sens d’une politique de l’entretien de l’espace : il s’agit de rendre leur espace à celles et à ceux qui y vivent, de faire de l’espace public un espace dans lequel ils se retrouvent, auquel ils puissent donner du sens, un espace dont l’expérience leur donne une dignité qu’ils risquent de perdre si l’espace dans lequel ils vivent ne figure qu’un mépris pour eux. Rendre leur espace à celles et ceux qui y vivent est un impératif de la démocratie, car c’est la seule manière qui existe pour que le peuple, le démos, ne soit pas exclu de son propre espace, de l’espace qui est le sien, pour que la ville redevienne la cité de tous. On a trop tendance à concevoir l’architecture, l’urbanisme et la politique urbaine dans le seul moment de leur conception et de leur élaboration, ou dans le temps du patrimoine et de l’histoire. Mais ces conceptions de la ville s’inscrivent aussi, voire surtout, dans le temps présent du quotidien, dans le temps ordinaire des expériences singulières de l’habiter. C’est pourquoi la métropole doit concevoir une véritable politique de l’entretien des rues et des espaces publics et la mettre effectivement en œuvre, dans la réalité de l’exercice de son pouvoir. C’est une question de crédibilité des pouvoirs et de signification réelle de l’espace. C’est pourquoi ne nous trompons pas : en raison de la dégradation de l’environnement dans lequel nous vivons, nous sommes dans une véritable urgence.

Commentaires

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  1. Pascal L Pascal L

    Merci pour ce billet M. Lamizet.

    On a remarqué cela dans les cours d’école : plus la cour est propre moins les enfants jettent de papier à terre et inversement. Comme si, dès le plus jeune âge, une sorte de comportement s’installait : si le lieu semble respecté alors je le respecte, si il est à l’abandon, je ne fais pas d’effort.

    Les bons intendants d’établissements scolaires connaissent ce phénomène et font tout pour que le cercle vicieux ne s’enclenche pas.

    Mais il faut aussi que des alternatives soient présentes : corbeilles ou poubelles non débordantes.

    Pour avoir vécu à Nancy, je peux faire la comparaison : Marseille : 5 déchetteries pour 900 000 habitants, Grand Nancy : 9 pour 500 000.

    Dans ma rue à Marseille, le nettoyage était quasi journalier jusqu’à il y a une douzaine d’années. La fréquence a été lentement divisée par 2 puis par 3 jusqu’à il y a environ 3 ans, ce qui correspond à la dernière année de délégation à Derichebourrg. On se disait, il ne font plus rien parce qu’ils ont perdu le marché mais de ce temps et depuis la délégation à Nicollin nous n’avons eu que un à deux nettoyages par an, lorsqu’un riverain écrit pour se plaindre ou lors d’une des très rares visites d’élus. Le reste du temps ce sont quelques uns des habitants qui retroussent les manches. Et heureusement, parfois il pleut très fort.

    Alors c’est vrai que “ça énerve un peu” de constater que seuls quelques endroits fréquentés par les touristes sont correctement et régulièrement nettoyés.

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    • LN LN

      Pas que pour les touristes…
      Chemin de la Bonneaude dans le 9ème, traverse insignifiante et à sens unique. 3 fois par semaine un camion aspirateur/balayeur suivi de près par celui du jet d’eau/Karcher le nettoie très tôt. Je pense qu’il doit il y avoir qq de “bien placé” à la Métropole qui a sa villa dans le secteur car jute au dessus, le chemin J Aiguier n’est jamais nettoyé (sauf en cas de pluie car en pente)

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    • Pascal L Pascal L

      Votre information est intéressante : quand j’ai signalé par courrier à Mme Vassal l’absence de nettoyage, le responsable de l’ “Amélioration du Cadre de Vie” me répond à sa place :
      “Le stationnement récurrent de véhicules sur cette rue étroite (…) ne permet pas des missions de propreté mécanisée qui ne peuvent pas toujours être réalisées, comme prévu, 3 fois par semaine.

      Donc les 3 fois par semaine de nettoyage mécanisé, il semble que ce soit “contractuel” et ça devrait être partout mais ce “directeur” nous explique que si ce n’est pas possible dans notre rue (on n’en a pas 3 fois par an !), c’est la faute des riverains !

      Sauf que dans notre rue, s’il y a parfois des véhicules garés, ce n’est pas tout le temps et ce n’est que dans les 10 derniers mètres, les 200 m qui précèdent (c’est une impasse) sont quasiment toujours accessibles mais jamais nettoyés.

      En revanche la société délégataire encaisse l’argent d’un service qui n’est pas rendu. : “je prend le fric et je ne fait rien”. On a du mal à ne pas penser à une complicité, car en théorie, qui paie contrôle

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    • Pascal L Pascal L

      Et j’ajoute que la présidente de notre CIQ a demandé à la métropole la copie du programme de nettoyage de notre quartier (en gros les obligations du délégataire prévues par le marché), on attend toujours.

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