[Au bord de l’étang] À Saint-Chamas, la Petite Camargue, ses oiseaux rares et ses chasseurs

Reportage
le 25 Août 2016
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Il forme une tache bleue au centre de la carte du département, au cœur de la métropole naissante. Et pourtant ses habitants ne retiennent de l'ancienne mer de Berre que les usines polluantes qui ponctuent son horizon. Cet été, Marsactu fait le tour de l'étang de Berre. Pour cet épisode, nous vous emmenons en Petite Camargue, à Saint-Chamas, petit écrin sauvage partagé entre chasseurs et espèces rares.

[Au bord de l’étang] À Saint-Chamas, la Petite Camargue, ses oiseaux rares et ses chasseurs
[Au bord de l’étang] À Saint-Chamas, la Petite Camargue, ses oiseaux rares et ses chasseurs

[Au bord de l’étang] À Saint-Chamas, la Petite Camargue, ses oiseaux rares et ses chasseurs

“Je me suis attrapé avec un promeneur qui était tout en vert. Je lui ai dit que s’il voulait pas qu’on lui tire dessus il fallait qu’il mette une casquette orange fluo.” Le logo du conservatoire des espaces naturels (CEN) sur la voiture blanche de Benedicte Meffre, notre guide pour la matinée, a attiré un chasseur qui s’apprêtait à quitter le parking aménagé à l’entrée de la Petite Camargue. Il arrête sa Renault Express, épagneul breton sur le siège passager, à hauteur de la chargée de mission de l’organisme. À peine contée son altercation matinale avec un promeneur en ces premiers jours de chasse, le conducteur se remet au volant et repart, sans que l’on puisse avoir le temps d’engager plus la discussion.

À quelques pas, une barrière verte empêche théoriquement le passage des véhicules, mais rien n’indique au passant, dans le petit espace qui la précède, qu’il se trouve dans un site naturel protégé. Il y est simplement écrit au feutre noir : “Axé reglementer” (sic). Certains, comme le chasseur en question quelques instants avant l’arrivée de Benedicte Meffre, ouvrent cette barrière pour y pénétrer plus avant avec leur véhicule.

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La Petite Camargue se situe sur la rive Nord de l’étang de Berre.

Situé après la centrale EDF sur la route en provenance de La Fare-les-Oliviers, ce site n’est pas facile d’accès. De fait, il est fréquenté principalement par des chasseurs et des naturalistes. Dans un virage, la route décroche du rivage de l’étang de Berre pour rejoindre Saint-Chamas. Avec la voie de chemin de fer et l’étang, elle délimite cette péninsule sauvage qui s’appelle la Petite Camargue.

L’espace de 90 hectares est traversé par la Touloubre, qui, de sa source au sud de Venelles, traverse le département vers l’ouest pour aller se jeter dans l’étang de Berre. La rive gauche a été rachetée en 1998 à EDF par le conservatoire du littoral alors qu’émergeait un projet de marina sur le site. La rive droite est propriété de la commune de Saint-Chamas. Les deux parcelles sont gérées par le conservatoire des espaces naturels.

Une des plages de la petite Camargue, côté centrale

Une des plages de la petite Camargue, côté centrale EDF.

Ce matin-là, nous avons rendez-vous avec ce dernier pour une balade commentée de ce site et de ses enjeux. Si celui de la chasse vient à notre rencontre en descendant d’un Express, les relations se sont en fait apaisées, assure Benedicte Meffre. “Les chasseurs n’ont le droit d’être sur le site que jusqu’à 10 h, explique-t-elle. Nous avons signé cette année une convention avec la société de chasse de Saint-Chamas qui restreint les jours et horaires de pratique afin de les concilier avec les autres usages du site.” Et d’évoquer les difficultés de dialogue bien plus problématiques avec les précédents responsables. Les panneaux du site naturel, laissés volontairement dans les herbes hautes, portent encore les traces de plomb de ces années de conflit. Rien de tel depuis. “Une battue aux sangliers a même été organisée début 2016. C’est une logique donnant-donnant, étaye la jeune femme. Dans la roselière, les sangliers, s’ils sont trop nombreux, peuvent détruire les nids.”

La roselière en attente de sentier balisé

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Les roseaux, justement, occupent un bon tiers de l’espace. Pour avoir une vue plongeante sur les oiseaux qui les fréquentent, il faut traverser une oliveraie non exploitée depuis cinq ans. “C’est une activité historique sur le site, nous cherchons aujourd’hui un exploitant qui respecterait les contraintes liées à la localisation en zone protégée.” L’oliveraie souffre d’ailleurs des nombreux déchets venant de la route qui polluent ensuite l’eau.

Ce jour-là, dans la mare située au centre de la roselière, les hérons cendrés barbotent paisiblement. Quelques passereaux entrent et sortent des hautes tiges à toute vitesse. En août, la nidification est terminée. “Nous espérons le retour du butor étoilé, le plus gros des hérons qui nichait dans le secteur de l’étang de Berre jusque dans les années 80”. Parmi les habitués des lieux, Bénédicte Meffre cite les rousserolles turdoïdes, les rousserolles effarvates, le busard des roseaux, un “rapace que l’on trouve aussi en Camargue”. Les flamants roses fréquentent aussi parfois le site. “Pendant l’hiver, ce ne sont plus les mêmes oiseaux. Pour eux, le principal dérangement ce sont les chiens. Quand Monsieur Tout le monde promène son chien en liberté par exemple.” En 2017, le conservatoire des espaces naturels espère créer un vrai sentier balisé sur le site, absent aujourd’hui, et aménager un petit parking avec des panneaux explicatifs. “Les gens qui sont familiers des lieux, notamment les naturalistes, connaissent déjà le chemin mais nous voulons le valoriser avec une balade qui se fera en 2 h à 2 h 30. Le site a été un peu en stand-by pendant 10 ans notamment du fait blocage avec les chasseurs. Aujourd’hui cela va de mieux en mieux”. La chargée de mission partage son temps entre cet espace naturel et d’autres. “Pour ce site, il doit y avoir l’équivalent d’un demi-temps plein.”

La sansouïre, un concentré de Camargue

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Une fois passée la Touloubre, étonnement haute en ce mois d’août très sec, nous voici aux “Palous”. Le paysage change alors du tout au tout : se donne à voir une petite étendue de sansouïre, “une végétation halophile, c’est-à-dire qui supporte les milieux salés. La principale espèce que l’on trouve ici est la saladelle”, expose la chargée de mission. Pour cet espace appartenant à la ville que l’on peut apercevoir au loin, un plan de gestion doit être élaboré prochainement. “C’est un petit bijou très fragile, défend Bénédicte Meffre. Sur une toute petite surface on trouve un concentré des milieux qui caractérisent la Camargue. Ici on peut observer au même endroit un coucou, un flamant, un busard et une perdrix, c’est exceptionnel.” Exceptionnel mais pas encore protégé du piétinement et des ornières, comme en témoigne le large chemin de terre battue qui porte des traces de passage de chevaux, de vélos, de motocross et de voitures.

Sur la plage abandonnée

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La sansouïre est bordée par les étonnantes plages blanches “du cordon coquiller, explique Bénédicte Meffre. Du sable formé avec des restes de coquillages. Ici, on voit bien l’érosion de l’étang avec un trait de côte qui a reculé d’une centaine de mètres. Dans l’eau, la petite île que l’on peut voir est par exemple un ancien cabanon de chasse”. Une mouette rieuse guette du haut d’un petit poteau, loin derrière le grillage qui empêche l’accès à ce bout de rivage. “Pendant le printemps et l’été nous mettons cette partie en défens car les sternes naines nichent sur la plage.” Le grillage doit prochainement être enlevé. Alors que l’eau de l’étang est translucide à cet endroit, le reste de la plage n’est toutefois pas prisé des baigneurs. Un peu plus loin, un pêcheur profite du calme. La pointe passée, l’eau se fait beaucoup moins attirante, chargée d’algues et de limons.

Huttes et canards en plastique

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La rive est ponctuée de petites cabanes camouflées, fermées ce jour-là. Ces huttes, utilisées pour guetter et tirer les canards, sont gérées par l’association de chasse maritime de l’étang de Berre. Il y en a 99 selon le Gipreb, le syndicat mixte de réhabilitation de l’étang de Berre. “Comme ils sont sur le domaine public maritime, ils sont propriétaires des murs mais pas du terrain”, explique Bénédicte Meffre. Sur l’étang, des canards en plastique, utilisés comme leurre, et des hérons cohabitent de loin.

Vaches à rapaces

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Une autre espèce inattendue s’est fait sa place en Petite Camargue, la vache Aubrac. “Il y avait sur le nord du site un éleveur de moutons. Quand il est parti, avec les années, le milieu a pu se régénérer, mais il s’est aussi fermé ce qui n’est pas bon pour les rapaces qui chassent dans les pâturages. Nous avons donc passé un appel d’offres pour trouver un nouvel exploitant. Il s’est installé au printemps avec une vingtaine de bêtes. Une dizaine de génisses devraient passer l’hiver ici. C’est une année test pour voir l’impact des animaux”, poursuit-elle, se félicitant déjà de la disparition d’une partie des hautes herbes. Dans le pré où paissent les vaches rousses, une ruine est encore debout. “Nous avons décidé de la laisser car elle abrite des hirondelles rousselines.” Une autre ruine doit être détruite sous peu. “La politique du conservatoire est de restaurer le milieu naturel dès que le bâti est sans utilité et dangereux”, argumente-t-elle.

Mais l’urgence est encore ailleurs. “Notre préoccupation principale pour ce site c’est le dépôt de déchets en très grosse quantité, déplore Bénédicte Meffre. Nous avons eu récemment l’équivalent de deux camions bennes de tout-venant déversé dans la roselière. Et cinq ou six côté garrigue. Sans parler des dépôts d’amiante dont les coûts d’enlèvement sont exorbitants. Or notre budget est constant donc notre marge de manœuvre très réduite. On se retrouve parfois à devoir laisser les déchets car on a pas les moyens de les faire enlever”. Et la spécialiste en manque de temps et de moyens de clore sa visite de terrain trop rare. Redoutant les incivilités et autres dégâts qu’elle pourrait constater lors de sa prochaine venue.


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