Malika Moine vous présente
Histoire d'atelier

[Histoire d’atelier] Les œuvres en trois dimensions d’Alain Gilles

Chronique
le 8 Mai 2025
0

Après s'être invitée dans les cuisines des Marseillais, la dessinatrice Malika Moine part à la découverte des ateliers d'artistes. Pour Marsactu, elle et ses crayons se glissent dans les coulisses de la création, afin de raconter des lieux qui en disent parfois autant que leurs occupants.

L
L'atelier d'Alain Gilles. (illustration : Malika Moine)

L'atelier d'Alain Gilles. (illustration : Malika Moine)

Un matin, je reçois un message chaleureux et enthousiaste d’un inconnu qui m’invite à chroniquer un atelier. Il s’agit d’un lecteur assidu de Marsactu, Alain Gilles [le père de notre corédacteur en chef, Benoît Gilles, ndlr], qui crée des bas-reliefs et des sculptures dans son atelier à Istres. La belle idée ! Sortir de Marseille et découvrir un travail, une personne, un endroit, un monde, une histoire nouvelle…

Gagner Istres en transports en commun n’est pas si simple. Certes, les bus pour Martigues sont assez nombreux, mais une fois là-bas, il faut avoir le chic de la correspondance et les nombreux arrêts entre les deux cités rendent le trajet plus long qu’il ne devrait. Alain propose gentiment de venir me chercher à Martigues. Ni l’un ni l’autre ne nous posons la question : “comment seras-tu habillé ?” Pour ma part, je suis désormais habituée à fonctionner avec ce petit appareil qui nous relie sans cesse les uns aux autres : le smartphone.

Alain Gilles. (Photo : MM)

Mais voilà, lorsque j’arrive à destination, je descends du bus comme tout le monde, avant l’arrêt, sur la grande place. Je zieute autour de moi, en quête d’un monsieur qui regarderait lui-même autour de lui. Je vois dégun. J’attends quelques minutes, tourne un peu, m’avance vers le parking des voitures, personne. J’appelle la maison d’Alain, car j’ai seulement ce numéro, et je tombe sur son épouse, affolée, qui ne comprend pas : “Il est parti bien en avance, qu’est-ce qui a pu arriver ?!?

L’angoisse monte de part et d’autre… Elle tempête : “Depuis le temps que je lui dis de prendre un téléphone portable…” J’ai une pensée pour mon papa qui lui non plus n’en voulait pas, ce qui a également causé parfois des montées d’adrénaline semblables à celle que l’on vit là. Chaque minute au téléphone avec Marie-Noëlle semble une éternité, jusqu’à ce qu’elle s’exclame : “Il arrive ! Il est là !” Je vois un bus en partance pour Martigues, il pleuviote.

Épuisée par un week-end éreintant, je vais pour dire “Tant pis, on remettra ça, je rentre à Marseille…”, mais Marie-Noëlle me précède : “Il repart tout de suite, je lui donne mon téléphone portable ! Il a une barbichette, n’est pas très grand…” Je me mets sous l’abribus et attends un peu pour guetter un homme à barbichette… Soudain, un monsieur arrive avec une grande barbe blanche, des moustaches et le sourire… “Quelle drôle de conception de la barbichette !”, pensé-je en m’approchant… “Je suis Malika“, lui dis-je… “Très bien, mais je ne suis pas celui que vous cherchez”, me répond le monsieur. Je me retourne, et vois venir vers moi un homme à barbichette… On rigole tous les trois… Nous voilà en route pour Istres !

“Migrants”, d’Alain Gilles. (Photo : MM)

Je découvre en cheminant dans la maison jusqu’à l’atelier le travail d’Alain, des rondes-bosses — sculptures en trois dimensions — et des bas-reliefs en bois. “Au Moyen-Age, on ne distinguait pas l’un de l’autre, on appelait ça des « Ymages ».” Je m’étonne devant la diversité des matériaux. “Je les glane ici et là : pierres, écorces, bois, fer…”, m’explique Alain. Sur des fonds d’ocre, de sable ou de bois, une femme nue traverse les époques, les thèmes et les inspirations, #MeToo, la guerre, les migrants, des poèmes de Prévert, des chansons de Ferré…

L’atelier est tout petit et bien rempli. Sur les murs, des couvertures de Charlie, des dessins humoristiques… Dans la quiétude et la profondeur des œuvres d’Alain, je ne perçois pas tout de suite l’inspiration satirique. L’atelier est à domicile, mais il n’en a pas moins une histoire. “Quand on a acheté la maison, j’ai fait l’atelier dans la cuisine d’été et le garage servait d’entrepôt. Ensuite, je l’ai déplacé dans cette moitié de garage. Avant, on était dans un immeuble. Je travaillais alors dans un atelier collectif organisé dans un centre social. J’ai animé des ateliers de sculpture pendant un an pour les ados et deux, trois ans pour les adultes, mais ces derniers ne venaient pas régulièrement...”

Bas-reliefs

Comme à chaque fois que je me trouve dans un petit atelier, je me questionne sur le rapport entre sa taille et celles des œuvres. “Pour les rondes-bosses, ça peut aller, mais dans les tableaux, les bas-reliefs, il faut donner l’illusion des trois dimensions, je réalise des plus petits formats que lorsque je travaillais dans la cuisine d’été. En plus, les petits tableaux sont plus faciles à placer dans une maison…”

Et les outils, alors ?” Alain me raconte : “Il faut beaucoup plus d’outils pour le bois que pour la pierre. Ils doivent être bien affûtés — ce que je fais difficilement avec une pierre à huile, car il y a toujours le problème de l’angle d’affûtage…” Il m’énumère tout en expliquant : “Il y a les gouges, pour le bois et la pierre. Elles sont plus ou moins creuses, cambrées pour désépaissir ; les fermoirs qu’il faut aiguiser des deux côtés, avec un affûtage plus pointu pour les bois tendres — mais je travaille surtout les bois durs ou mi-durs comme le hêtre ou l’érable… Le buis, le bois le plus dur, est aussi le plus beau !”

Les outils d’Alain Gilles. (Illustration : Malika Moine)

Des étoiles dans les yeux, Alain parle de son art avec cette envie de transmettre, de partager sa passion. “Si on pousse l’outil, on a besoin de se retenir pour ne pas faire d’éclat contraint. C’est parfois difficile de travailler une pièce, car les outils ne passent pas partout… et le bois a un sens.” Alain me montre une sculpture noire. “C’est de l’érable sur lequel j’ai passé du vernis mélangé à du graphite.” Il poursuit : “Il y a aussi le néron, un fermoir à biseaux, et des outils de menuiserie comme les ciseaux à bois, les burins avec une forme en V pour faire des rainures… Je ne peux oublier la mailloche en bois ou en métal, sorte de maillet circulaire pour dégrossir aussi bien le bois que la pierre. Mais j’utilise aussi la scie électrique qui a remplacé l’herminette, une espèce de houe, mais le labeur était très long et fatigant. Les fermoirs râpes, petites râpes coudées, servent aux finitions…”

Ce qui est ôté, est ôté !

Je suis fascinée par le travail de taille directe qui ne supporte pas l’erreur. Ce qui est ôté, est ôté ! Alain précise : “Il faut tout faire en même temps : sur un visage, l’œil, le nez, l’autre œil… Sur la pierre, je trace au feutre et sur le bois au crayon. À chaque fois que j’enlève de la matière, je retrace à nouveau…” L’artiste artisan sort un classeur dans lequel il a noté chaque étape, avec les photos correspondantes, du travail sur une stéatite de 33,2 kg. La sculpture, après 41 h 45 de travail, pèse 7,4 kg. Elle ressemble aux sculptures classiques, avec la sensibilité qui n’appartient qu’à Alain…

“Sables mouvants”, d’Alain Gilles. (Photo : MM)

Dans ces conditions, ce temps passé, comment vendre son travail ? “À une époque, quand je vendais une pièce, j’achetais des machines, une scie circulaire, une raboteuse dégauchisseuse, une scie à ruban… Je ne compte pas mes heures, je ne vends pas cher, mais ça me permet de faire des cadres. La dernière fois que j’ai exposé, j’ai donné 500 euros à Marsactu, une autre fois, le bénéfice a été envoyé à X Fragile France, une association dédiée aux enfants atteints de la maladie X Fragile…” C’est qu’Alain a presque 80 ans, ce que je n’avais pas soupçonné avant qu’il ne me le dise, tant la passion préserve la jeunesse…

Marie-Noëlle lui glisse, malicieuse : “À la prochaine vente, tu t’achètes un téléphone !”

Vous pouvez voir le beau travail d’Alain Gilles sur Facebook et voir l’expo permanente chez lui en attendant une de ses prochaines expositions dans un lieu dédié…

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire