Vincent Geisser : “Ne pas faire de quelques figures du terrorisme les emblèmes d’une génération sacrifiée”
Sociologue et politologue, Vincent Geisser revient sur les attentats de Paris et les décisions prises par le chef de l'État et le gouvernement dans la lutte contre le terrorisme. Pour lui, plus que les mosquées, la délinquance violente et armée est un des chemins possibles qui y mènent.
Soirée hommage aux victimes des attentats parisiens. photo : Lisa Castelly
En 2011, Françoise Lorcerie et Vincent Geisser, ont mené une étude commune sur les Marseillais musulmans dans le cadre d’un projet européen baptisé “At home in Europe” pour le compte des fondations américaines Open Society. Sociologue et politiste[1], Vincent Geisser est spécialiste des sociétés arabes et particulièrement de la Tunisie, “son deuxième pays”. Il connaît particulièrement bien le terrain marseillais pour y avoir suivi les organisations musulmanes et la gestion publique de l’islam. Pour Marsactu, il revient sur les attentats de Paris et les décisions prises à la fois par le chef de l’État et le gouvernement.
Dans votre étude sur les Marseillais musulmans, vous faisiez état d’une tension permanente dans le débat national entre l’unité républicaine et ce groupe de Français ou Marseillais identifiés comme musulmans sans cesse renvoyés à une forme d’altérité. Comment les évènements de Paris éclairent cette tension d’un jour nouveau ?
On ne peut pas faire de raisonnement global. Aujourd’hui, si on regarde les réactions individuelles et collectives – c’est-à-dire les associations, les mosquées, les acteurs musulmans déclarés ou ceux qui se déclarent comme tels – 90% révèlent l’affirmation d’un nationalisme français. Ces derniers jours, j’ai été très surpris de voir fleurir les drapeaux tricolores sur un réseau social où j’ai 4 000 abonnés. Nous sommes plus dans une affirmation d’amour de la France que le contraire. À l’inverse de l’après Charlie où les gens avaient été émus, choqués, mais ne s’identifiaient pas à Charlie Hebdo parce qu’il était parfois perçu comme allant trop loin dans sa critique des musulmans. Même si ce n’était pas forcément vrai, c’était perçu comme tel.
Là, l’horreur des évènements de Paris, le caractère sanglant, dramatique, touchant tout le monde et notamment des jeunes, a fait que beaucoup d’individus et de collectifs musulmans ont eu besoin d’aller au-delà de la simple compassion et d’affirmer leur ancrage en France. En cela, si on devait dater cette manifestation d’amour pour la France, nous serions à l’an 1 de cet acte d’amour. Non pas qu’elle soit nouvelle, les gens nés et éduqués en France se sentent Français même s’ils ont des critiques sur les formes de racisme qui peuvent exister ici et là. Là, cela relève du besoin, de la nécessité individuelle et collective d’affirmer sa francité face à l’horreur du djihadisme.
Les commanditaires de ce type d’attentats utilisent le fait que la France soit un des premiers pays musulmans d’Europe, où l’islam est visible, installé, implanté. Ce n’est pas parce qu’il y a des musulmans en France qu’il y a des attentats c’est parce que les stratèges terroristes utilisent la présence d’une forte communauté musulmane pour instrumentaliser un certain nombre de jeunes dans l’espoir de créer une guerre communautaire. Si on compare avec un pays comme la Tunisie, la France, la Belgique, la Grande-Bretagne, ces jeunes instrumentalisés ne représentent que 0,0001% de la jeunesse. Il ne faut pas en tirer de grandes leçons sociologiques sur la crise d’intégration dans les banlieues. Dans celles-ci, la violence s’exprime en brûlant des biens matériels ou des symboles du pouvoir : le centre social, un local associatif, une voiture de police ou celle de son voisin… C’est d’ailleurs une violence de milieux populaires historiquement assise depuis plusieurs siècles. Attention de ne pas faire de ces quelques figures du terrorisme les emblèmes d’une génération sacrifiée. J’entends ce discours chez deux types de personnes : ceux qui ont un discours sécuritaire extrême et beaucoup de sociologues très gentils qui disent que c’est un peu la faute de la France qui a laissé tomber les banlieues. La crise des banlieues, les discriminations, les difficultés économiques ne se traduisent pas par la production de terrorisme. C’est faire insulte aux jeunes de banlieue que de considérer que s’ils sont victimes de discrimination, ils deviennent des terroristes.
À Marseille, la violence liée au trafic de drogue touche directement les personnes. Peut-on faire un lien entre ces deux violences ?
Je ferai effectivement un lien plus fort. Si on se base sur ce que disent les juges anti-terroristes et les services de sécurité, c’est que le milieu de délinquance et du banditisme sont des milieux de recrutement privilégié du terrorisme. Il est plus légitime de réfléchir sur les passages de la délinquance au terrorisme que de la crise des banlieues vers le terrorisme. En cela, ce qui se passe à Marseille peut être inquiétant non pas du point de vue des mosquées mais de celui d’une partie de la jeunesse qui utilise les armes et peut abattre d’une rafale d’arme automatique des enfants de 15 ans. Pour faire ce qu’ont fait les frères Kouachi, Mohamed Merah, ou aujourd’hui les groupes terroristes de Paris, c’est l’usage de la violence, la maîtrise des armes et la déshumanisation qui permet de tuer froidement. Ce sont des choses qui s’acquièrent. Et, malheureusement, la délinquance violente avec armes peut être plus propice au passage au terrorisme que les mosquées.
Demander à un imam de lutter contre le terrorisme, c’est comme demander à une esthéticienne d’opérer à coeur ouvert. Ce n’est pas le même métier.
Même si là encore la simplification sociale, territoriale ou religieuse est inopérante. Elle conduit à une impasse explicative. Quand on m’invitait à venir dans les cellules de déradicalisation, les imams me demandaient ce qu’ils pouvaient faire. Demander à un imam de lutter contre le terrorisme, c’est comme demander à une esthéticienne d’opérer à cœur ouvert. Ce n’est pas le même métier. Ces jeunes, ils les verront une ou deux fois dans leur mosquée comme un commerçant dans son magasin. Car, par définition, ces jeunes rompent avec le milieu des mosquées ordinaires. Comme le disait un ami, si on veut repérer des jeunes en radicalisation, il faut mieux aller en salle de muscu’ qu’à la mosquée, même s’il ne faut déresponsabiliser celles-ci. La trajectoire de ceux qui en viennent à décapiter, tuer froidement, mitrailler, assassiner est un parcours de violence et d’apprentissage de celle-ci. J’en ai discuté avec un militaire à Beyrouth, ancien officier de renseignement en Afghanistan. il était en charge d’interroger les jeunes Français pris parmi les Talibans. Il me disait que le problème de cette jeunesse n’est pas l’islam mais leur vraie religion qui est la violence. Il y a une infime partie de la jeunesse française qui a une fascination pour la violence, telle qu’ils sont capables de se déshumaniser pour aller assassiner des gens qui pourraient être leurs frères.
Vous allez donc à l’encontre des propos du ministre de l’Intérieur qui annonce vouloir fermer les mosquées où est prêché un islam radical et qui seraient des antichambres au terrorisme ?
Politiquement, c’est une mesure à vocation symbolique destinée à rassurer les gens en désignant des responsables. Oui, il y a des mosquées fondamentalistes où des propos répréhensibles sont proférés mais en terme de production de terrorisme, sur le court terme et le moyen terme, ils se trompent. Pour nuancer, une partie de mes collègues sociologues vous diront qu’un certain nombre de discours radicaux favorisent le passage au djihadisme car ils véhiculent une forme d’indulgence sur le mode “nous sommes les damnés de la terre”. Il y a une explication en terme de réseau religieux mais elle est minoritaire. Je pense notamment à ce fils de gendarme, dont le grand-père était pour l’Algérie française. Il a brûlé son passeport et est parti en Syrie après s’être converti et avoir été repéré par un réseau religieux. Il y a toutes sortes de profils différents mais il y a souvent une trace pénale de délinquance et de parcours de violence.
Aujourd’hui, le gouvernement a un discours politique qui vise à avoir une réponse cohérente en désignant des responsables dans le but de rassurer les gens, y compris les musulmans. Le gouvernement est pris dans un souci de sécurisation de l’espace public totalement légitime et dans un souci de sécurisation politique et symbolique. Du coup, il devient caricatural. La privation de nationalité est une façon de ne pas assumer que notre pays a parmi ses ressortissants des terroristes. Qu’ils soient d’origine marocaine, tunisienne ou algérienne, ce sont des petits Français. Il faut assumer que notre propre pays produit du terrorisme. Imaginez ce qu’ils feront en Tunisie où il y a eu des attentats, où il y a eu une décapitation il y a quelques jours. Vont-ils priver ces Tunisiens de leur nationalité ?
On revient sur cette méfiance à l’égard de Français musulmans qu’on soupçonne d’une double allégeance…
C’est là où nous sommes dans l’ambiguïté. Le président Hollande a été plutôt dans une réaction nuancée. Comme la quasi-totalité de la classe politique, il a dit qu’il ne fallait pas faire d’amalgame entre ces actions terroristes et l’islam de France. Mais, d’autre part, ils sont dans une logique de désignation de responsables qui contribue à réaffirmer un principe de responsabilité collective. Il y a un premier registre de discours qui consiste à dire que les musulmans de France sont les premières victimes du terrorisme mais qui est contredit, ou en partie annulé, par un second registre de discours qui consiste à avoir une explication trop religieuse ou culturaliste de cette violence. La preuve, c’est que des jeunes qui n’ont pas eu un brin d’éducation religieuse se retrouvent aujourd’hui terroristes. Comment une société démocratique, ouverte et tolérante peut fabriquer des terroristes qui sont devenus musulmans en six semaines ? Il y a une vraie interrogation sur notre société qui ne relève pas d’une catégorie particulière de celle-ci.
Les discours politiques sont plutôt dans un registre d’apaisement et de nuance mais pour affirmer une logique de réassurance nationale, on fait également l’amalgame en désignant des cibles qui redeviennent des cibles communautaires : non, les musulmans ne sont pas coupables mais ils sont un peu responsables. Quand Manuel Valls, après Charlie, dit que les banlieues sont des ghettos et qu’il y a une situation d’apartheid, il dit une chose fausse. Mais surtout il fait un lien mécanique entre la misère sociale, le chômage et le terrorisme. Le vivier du terrorisme n’est pas la crise de l’islam ou celle des banlieues mais la crise de la société française dans ces facettes multiples. Celle-ci permet à un jeune juif de Lunel de partir au djihad avec un fils de gendarme ou à un fils d’immigré de se transformer en terroriste.
Faire le lien avec un crise sociale vient justifier le recours à la violence. Après tout, quand les combattants de l’apartheid commettaient des attentats, ils étaient légitimes dans leur lutte politique…
C’est ce qu’exprimait Manuel Valls en parlant d’apartheid alors même qu’il était dans une posture d’homme politique de gauche. Là, il a tort. Le terrorisme, c’est des réseaux de recruteurs, des stratèges et une capacité à manipuler des armes. Non pas seulement techniquement mais en allant à une terrasse de café, voir des gens mourir sous ses balles et continuer à tirer. Cela ne s’improvise pas, cela suppose un conditionnement psychologique. Cela suppose aussi la volonté de prendre pour cible une société où des liens forts existent quelles que soient les origines ou les religions. Regardez le nombre de mariages mixtes en France. C’est aussi cette France-là que les terroristes souhaitent viser.
Mais certains Marseillais musulmans craignent d’être également des cibles…
La crainte de l’amalgame ne doit pas empêcher d’affirmer le moment de compassion et de deuil. Le drapeau français provoque des réactions sans commune mesure avec les débats créés après Charlie. Le slogan “pas entre notre nom” très développé aux USA ou en Angleterre ne passait pas vraiment après le 7 janvier. Aujourd’hui, nous sommes dans un double traumatisme qui traverse notre société : celui lié à la violence aveugle vécue par tous les Français et le traumatisme lié à la crainte de représailles.
[1] Vincent Geisser est chargé de recherches à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (CNRS / université Aix-Marseille). Il était détaché à l’Institut français du Proche-Orient de 2011 à 2015.
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« Ne pas faire de quelques figures du terrorisme les emblèmes d’une génération sacrifiée », la belle phrase du titre fait écho à celle de la dernière héroïne des réseaux sociaux, Danielle Merian, avocate à la retraite et militante pour les droits des femmes : « Nous fraterniserons avec 5 millions de musulmans qui exercent leur religion librement et gentiment et nous nous battrons contre les 10 000 barbares qui tuent soi-disant au nom d’Allah ».
Elle s’est quand même fait rembarrer : « Les 10 000 barbares viennent bien des 5 millions d’autres. Lorsqu’il y a des dizaines ou des centaines de milliers de gens qui marchent dans les mêmes traces en Afrique (comme Boko Haram), des centaines de milliers au Moyen-Orient autour de Daech et équivalents, autant entre le Pakistan, l’Afghanistan, la Tchétchénie et autres, peut-on encore parler de marginalité ? Peut-on encore prétendre que leur discours religieux n’en est pas un ou que leur interprétation est erronée ? Les 10 000 barbares se font mieux entendre que les 5 millions qui ne les blâment que du bout des lèvres, et seulement après que beaucoup d’innocentes victimes aient perdu la vie ».
Mais bon, Vincent Geisser fait un peu le ménage dans le superficiel de nos analyses en disant que l’on trouve davantage ces islamistes extrémistes dans les salles de musculation que dans les mosquées. Pour Vincent Geisser, la délinquance violente avec armes peut être plus propice au passage au terrorisme que les mosquées. Pourquoi ne pas parler aussi d’un besoin d’engagement, dans la violence ou dans des comportements généreux également observés, comme le sauvetage d’un suicidaire qui s’est jeté à l’eau, d’une famille prisonnière d’un incendie, ou de ces papys qui avaient volé au secours de leur automobile dans les parkings niçois envahis par l’eau et que de jeunes maghrébins avaient tenté de secourir ?
Difficilement pris en charge par l’école au début de leur vie en France, souvent sans espoir de trouver un emploi, ils expriment néanmoins leur aspiration à s’intégrer à notre culture… sauf de sombrer dans le dépit.
On observe quand même une certaine tolérance au sein de leur milieu, à l’égard d’une marginalité où les choses dérapent périodiquement. Le discours officiel des responsables de mosquées ne correspond pas à ce qui se passe réellement. On ne parle pas du rôle de la famille dans la conservation d’un certain nombre de « valeurs » où d’une certaine mentalité dans le rôle assigné à l’homme ou à la femme dans leur vie sociale. C’est peut-être là aussi, et d’abord, que s’origine une forme de mépris de la femme et de l’autre qui rend facile les massacres organisés à l’égard des impies ?
On assiste toujours encore à des lapidations : http://www.lemonde.fr/international/article/2015/11/03/une-jeune-femme-lapidee-dans-le-centre-de-l-afghanistan_4801911_3210.html
Et il arrive à Marseille qu’une femme je jette dans le vide devant les menaces de son grand frère.
On comprend que nos mariages mixtes heurtent frontalement ces convictions. D’ailleurs dans ces mariages mixtes, lorsque la femme n’est pas musulmane, on la considère comme convertie parce que l’homme à autorité sur elle. Inversement, si le mari non musulman veut être reçu dans la famille de son épouse, il doit s’astreindre à une initiation religieuse et subir une circoncision. On trouve des imams spécialisés dans ce travail.
Un djihadiste ne serre pas la main d’une femme, une femme qu’il a le droit de punir par un viol ou une lapidation.
La culture religieuse du djihadiste est assez lapidaire. Elle ressemble davantage à un endoctrinement venu après son engagement à mener des actions violentes et jugées héroïques. Les chrétiens ont d’ailleurs aussi des textes sur la place soumise de la femme, que nos fondamentalistes ressortent volontiers.
Malgré tout donc aussi une question d’éducation et de culture, pour ne pas en rester là. On est loin de la belle phrase de Delphine Horvilleur, femme rabbin : « Un texte sacré n’a pas fini de parler tant que son dernier lecteur n’est pas arrivé » : http://www.liberation.fr/debats/2015/11/05/delphine-horvilleur-un-texte-sacre-n-a-pas-fini-de-parler-tant-que-son-dernier-lecteur-n-est-pas-arr_1411537
Notre sociologue conclut : « Qu’ils soient d’origine marocaine, tunisienne ou algérienne, ce sont des petits Français. Il faut assumer que notre propre pays produit du terrorisme ».
Quelles solutions alors ? La parole, l’échange, sortir des isolats culturels, améliorer l’école pour une meilleure entrée dans la vie, mettre la formation aux métiers à la portée de tous. Un énorme travail, particulièrement à Marseille.
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Deux livres sont à signaler. Le premier, « 100 idées reçues sur l’Islam, de l’Imam de Drancy, Hassen Chalghoum », vient de sortir, il s’agit d’une sorte de vadémécum qui répond aux questions que nous pouvons nous poser à propos de l’Islam. Pour l’auteur qui regroupe les «religions du Livre», judaïsme, chrétienté, islamisme, avec pour référence première l’Ancien Testament. C’est avec la charia et tous les interdits et les punitions auxquelles elle se prête (dont le viol des femmes, que du coup les maris en principe astreints à la fidélité peuvent se permettre) que commencent les ennuis. Tant que les extrêmes y restent dormants, ça va, mais dès que l’on s’en empare comme le font les intégristes, qui n’aiment pas beaucoup d’auteur de ce gentil petit livre (chez nous, «en France, la charia c’est la République», il valait mieux qu’un musulman le dise), bonjour les dégâts.
Mais aucune de ces religions du livre, n’a résisté à la tentation des atrocités au cours de son histoire, pour asseoir sa domination sur son vaste peuple (1,5 milliards de musulmans, à peine moins que de chrétiens, de diverses tendances) ou les religions concurrentes.
Certains pensent que les religions finissent toujours par aller au pire et qu’elles sont toutes à condamner. Elles font pourtant aussi les meilleurs des hommes et des femmes qui cherchent par ce canal à se poser des questions existentielles et parvenir à une éthique personnelle, seuls comme souvent les protestants, de façon plus communautaire avec des textes sécrétés par l’Eglise tout au long de son histoire pour les catholiques, ou avec une place assez grande faite aux rituels, comme la prière et une mémorisation à la lettre des textes sacrés dans les écoles coraniques. L’intégrisme est une tendance commune à toutes ces religions et le catholicisme comme le protestantisme sont parfois malades de leurs fondamentalistes, une attitude plus facile à acquérir qu’un travail intellectuel et spirituel sur les textes bibliques (Ancien et Nouveau Testament) ou ceux de l’histoire de l’Eglise pour les catholiques. Chez les juifs, l’intégrisme est au moins aussi radical et « acide » que chez les musulmans et leur affrontement moderne aboutit aux pires atrocités.
L’ouvrage est présenté par Laurent Joffrin dans Libération : http://www.liberation.fr/debats/2015/11/25/l-integrisme-maladie-de-l-islam_1416117
Le second ouvrage est une pépite, « L’Andalousie Arabe, une culture de la tolérance, de Maria Rosa Menocal », épuisé chez son éditeur, mais encore présent (d’occasion) chez une dizaine de fournisseurs en ligne : http://www.autrement.com/ouvrage/landalousie-arabe-maria-rosa-menocal-melanie-marx-michel-zink
Savez-vous qu’un des hauts dignitaires de l’EI, qu’on sait maintenant responsable des attentats eu Europe et qui a piloté les acteurs de ceux de Paris, est celui qui a rédigé et traduit en 5 langues pour le grand chef, le texte officiel de la proclamation de cet Etat Islamique, l’a fait sur le territoire où Mustapha Kemal Atatürk (un sacré bonhomme !) avait proclamé une république démocratique, laïque, unitaire et constitutionnelle en 1923. Les femmes ont été libérées du voile et ont obtenu le droit de vote sans que cela pose question, bien avant que De Gaulle ne l’accorde aux femmes en France après la guerre ! Auparavant il fallait une autorisation spéciale de la police à une femme qui voulait porter le pantalon (Georges Sand l’avait).
Voici une présentation de cet ouvrage que m’avait adressé une amie lorsque sa traduction est sortie en France :
Maria Rosa Menocal, née à Cuba, professeur à Yale (état de New York), directrice du prestigieux Whitney Humanities Center à Yale University est auteure de plusieurs ouvrages sur l’Espagne médiévale. Ce livre retrace l’histoire de l’Andalousie (al-Andaluz) de l’an 800 à l’an 1600. Le rayonnement de cette civilisation et les relations développées entre l’Europe, le Bassin méditerranéen, Damas et Bagdad, allant même jusqu’aux confins chinois où l’influence arabe était présente. Quel étonnement, quelle découverte de connaître une partie de l’Histoire rarement racontée !
Les Omeyyades, peuplades de bédouins préislamiques, amoureux de la langue et de la culture poétique, fraîchement débarqués dans une Syrie hellénisée et chrétienne, construisirent leur première grande mosquée à Damas (foyer de l’islam au Proche Orient à partir de la fuite de Mahomet à Médine en 622). Mais Damas fut le foyer d’un carnage par les Abbassides en l’an 750.
Chassé de Damas, le seul survivant de la dynastie Omeyyade, Abd Al-Rahman, trouva refuge dans l’Andalousie conquise en 711 par Tarik Ibn Zyad. Lui et ses successeurs y bâtirent un état qui faisait l’admiration des lettrés. C’est là que philosophes arabes et juifs traduisirent en arabe les textes de leurs précurseurs grecs, lesquels, retraduits en latin, permirent à l’Occident chrétien de redécouvrir son héritage.
Juifs, chrétiens mozarabes (chrétiens d’Espagne, ayant conservé le libre exercice de leur culte sous la domination des arabes), et musulmans y vécurent en bonne intelligence, leurs souverains construisant des chefs d’œuvre tels que l’Alhambra de Grenade, la mosquée de Cordoue, l’Alcazar de Séville… Abd Al-Rahman à partir de l’an 760 cultiva une culture du livre et de la poésie toujours alimentée par la référence à l’islam. Et les Abbassides ayant quitté Damas pour Bagdad le rayonnement venait de ce lieu.
Les caravanes ou les voyageurs par mer rapportaient non seulement des produits, des épices, des pierreries mais surtout des livres saints ou sacrés, ou philosophiques ou scientifiques du lointain Orient et de la Grèce antique. Des traducteurs de grand renom furent requis, peu de chrétiens mais surtout des hébreux vivant à Cordoue (capitale d’Al-Andaluz, ou Sefarad en hébreu).
Dès le début, l’Islam reconnut ses liens particuliers avec le judaïsme et le christianisme en tant que «peuples du Livre» donc sacrés et respectés (ce qui fut certainement la base de cette tolérance). Pour la première fois depuis des milliers d’années, l’hébreu sortit des synagogues et devint aussi polyvalent que l’arabe, langue maternelle des juifs andalous. Le latin de son côté perdant ses attaches, la langue de Rome se désintégrait et les petits fils de Charlemagne en 840 ne parlaient que le roman et le germain. « Avec tendresse nous appelons les langues que nous apprenons dans notre enfance «langues maternelles» car nous ne les apprenons pas dans des livres ou à l’école, mais dans l’entourage des femmes qui nous élèvent ».
Les Abbassides avaient donné naissance à Bagdad à une brillante civilisation, et s’ils ne contrôlaient pas politiquement les Andalous ils se savaient inégalés dans leur empire culturel et politique. Une circulation permanente reliait Cordoue à Bagdad : «Apprenez Seigneur que notre terre a pour nom Séfarade la langue sacrée, mais que les citoyens ismaéliens l’appellent Al-Andaluz et le royaume de Cordoue» disait le Vizir Hasdaï en 949 à Cordoue.
L’astrolabe (instrument mécanique de calcul astronomique pour la position des étoiles, le temps relatif et les cartes marines), rapporté des confins chinois et connu des arabes en 790, fut rapporté par Gerbert d’Aurillac (futur Pape Sylvestre II) en Europe du nord en 991 et faisait encore l’objet d’études scientifiques et de nombreux traités en 1391 par Chaucer !
L’auteur relate aussi le témoignage de la quête de vérité et de philosophie de Pierre de Cluny, fondateur des Cisterciens, d’Abélard son moine mari d’Héloïse, de Bernard de Clairvaux, fondateur des Chevaliers du Temple, de Thomas d’Aquin etc, c’est une somme de connaissances.
Ce livre épais, dense, requérant quelques connaissances de la culture classique (mais nous en avons tous) n’est pas une histoire ni un roman mais un grand moment de lecture où l’on apprend toujours quelque chose et d’où il ressort que le Moyen-Age n’est pas une période de 700 ans où il ne se passa rien (comme on nous l’a enseigné).
Nous apprenons qu’aussi bien pour «la grandeur et décadence de l’Empire Romain» (où la déliquescence de leur culture a tué la démocratie) que pour «la chute des Omeyyades», où ce fut l’œuvre des fondamentalistes venus du Maghreb. Par leur intolérance ils ont détruit le royaume d’Al-Andaluz et bien sûr plus tard ce furent les rois catholiques d’Espagne, Isabelle II et Ferdinand avec leur bras armé, l’inquisition.
De necesitae tolerantia… (Florence, septembre 2003)
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