Vincent Geisser : “Ne pas faire de quelques figures du terrorisme les emblèmes d’une génération sacrifiée”

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le 18 Nov 2015
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Sociologue et politologue, Vincent Geisser revient sur les attentats de Paris et les décisions prises par le chef de l'État et le gouvernement dans la lutte contre le terrorisme. Pour lui, plus que les mosquées, la délinquance violente et armée est un des chemins possibles qui y mènent.

Soirée hommage aux victimes des attentats parisiens. photo : Lisa Castelly
Soirée hommage aux victimes des attentats parisiens. photo : Lisa Castelly

Soirée hommage aux victimes des attentats parisiens. photo : Lisa Castelly

En 2011, Françoise Lorcerie et Vincent Geisser, ont mené une étude commune sur les Marseillais musulmans dans le cadre d’un projet européen baptisé “At home in Europe” pour le compte des fondations américaines Open Society. Sociologue et politiste[1], Vincent Geisser est spécialiste des sociétés arabes et particulièrement de la Tunisie, “son deuxième pays”. Il connaît particulièrement bien le terrain marseillais pour y avoir suivi les organisations musulmanes et la gestion publique de l’islam. Pour Marsactu, il revient sur les attentats de Paris et les décisions prises à la fois par le chef de l’État et le gouvernement. Dans votre étude sur les Marseillais musulmans, vous faisiez état d’une tension permanente dans le débat ...
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Commentaires

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  1. JL41 JL41

    « Ne pas faire de quelques figures du terrorisme les emblèmes d’une génération sacrifiée », la belle phrase du titre fait écho à celle de la dernière héroïne des réseaux sociaux, Danielle Merian, avocate à la retraite et militante pour les droits des femmes : « Nous fraterniserons avec 5 millions de musulmans qui exercent leur religion librement et gentiment et nous nous battrons contre les 10 000 barbares qui tuent soi-disant au nom d’Allah ».
    Elle s’est quand même fait rembarrer : « Les 10 000 barbares viennent bien des 5 millions d’autres. Lorsqu’il y a des dizaines ou des centaines de milliers de gens qui marchent dans les mêmes traces en Afrique (comme Boko Haram), des centaines de milliers au Moyen-Orient autour de Daech et équivalents, autant entre le Pakistan, l’Afghanistan, la Tchétchénie et autres, peut-on encore parler de marginalité ? Peut-on encore prétendre que leur discours religieux n’en est pas un ou que leur interprétation est erronée ? Les 10 000 barbares se font mieux entendre que les 5 millions qui ne les blâment que du bout des lèvres, et seulement après que beaucoup d’innocentes victimes aient perdu la vie ».

    Mais bon, Vincent Geisser fait un peu le ménage dans le superficiel de nos analyses en disant que l’on trouve davantage ces islamistes extrémistes dans les salles de musculation que dans les mosquées. Pour Vincent Geisser, la délinquance violente avec armes peut être plus propice au passage au terrorisme que les mosquées. Pourquoi ne pas parler aussi d’un besoin d’engagement, dans la violence ou dans des comportements généreux également observés, comme le sauvetage d’un suicidaire qui s’est jeté à l’eau, d’une famille prisonnière d’un incendie, ou de ces papys qui avaient volé au secours de leur automobile dans les parkings niçois envahis par l’eau et que de jeunes maghrébins avaient tenté de secourir ?
    Difficilement pris en charge par l’école au début de leur vie en France, souvent sans espoir de trouver un emploi, ils expriment néanmoins leur aspiration à s’intégrer à notre culture… sauf de sombrer dans le dépit.

    On observe quand même une certaine tolérance au sein de leur milieu, à l’égard d’une marginalité où les choses dérapent périodiquement. Le discours officiel des responsables de mosquées ne correspond pas à ce qui se passe réellement. On ne parle pas du rôle de la famille dans la conservation d’un certain nombre de « valeurs » où d’une certaine mentalité dans le rôle assigné à l’homme ou à la femme dans leur vie sociale. C’est peut-être là aussi, et d’abord, que s’origine une forme de mépris de la femme et de l’autre qui rend facile les massacres organisés à l’égard des impies ?
    On assiste toujours encore à des lapidations : http://www.lemonde.fr/international/article/2015/11/03/une-jeune-femme-lapidee-dans-le-centre-de-l-afghanistan_4801911_3210.html
    Et il arrive à Marseille qu’une femme je jette dans le vide devant les menaces de son grand frère.
    On comprend que nos mariages mixtes heurtent frontalement ces convictions. D’ailleurs dans ces mariages mixtes, lorsque la femme n’est pas musulmane, on la considère comme convertie parce que l’homme à autorité sur elle. Inversement, si le mari non musulman veut être reçu dans la famille de son épouse, il doit s’astreindre à une initiation religieuse et subir une circoncision. On trouve des imams spécialisés dans ce travail.
    Un djihadiste ne serre pas la main d’une femme, une femme qu’il a le droit de punir par un viol ou une lapidation.

    La culture religieuse du djihadiste est assez lapidaire. Elle ressemble davantage à un endoctrinement venu après son engagement à mener des actions violentes et jugées héroïques. Les chrétiens ont d’ailleurs aussi des textes sur la place soumise de la femme, que nos fondamentalistes ressortent volontiers.
    Malgré tout donc aussi une question d’éducation et de culture, pour ne pas en rester là. On est loin de la belle phrase de Delphine Horvilleur, femme rabbin : « Un texte sacré n’a pas fini de parler tant que son dernier lecteur n’est pas arrivé » : http://www.liberation.fr/debats/2015/11/05/delphine-horvilleur-un-texte-sacre-n-a-pas-fini-de-parler-tant-que-son-dernier-lecteur-n-est-pas-arr_1411537

    Notre sociologue conclut : « Qu’ils soient d’origine marocaine, tunisienne ou algérienne, ce sont des petits Français. Il faut assumer que notre propre pays produit du terrorisme ».

    Quelles solutions alors ? La parole, l’échange, sortir des isolats culturels, améliorer l’école pour une meilleure entrée dans la vie, mettre la formation aux métiers à la portée de tous. Un énorme travail, particulièrement à Marseille.

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  2. JL41 JL41

    Deux livres sont à signaler. Le premier, « 100 idées reçues sur l’Islam, de l’Imam de Drancy, Hassen Chalghoum », vient de sortir, il s’agit d’une sorte de vadémécum qui répond aux questions que nous pouvons nous poser à propos de l’Islam. Pour l’auteur qui regroupe les «religions du Livre», judaïsme, chrétienté, islamisme, avec pour référence première l’Ancien Testament. C’est avec la charia et tous les interdits et les punitions auxquelles elle se prête (dont le viol des femmes, que du coup les maris en principe astreints à la fidélité peuvent se permettre) que commencent les ennuis. Tant que les extrêmes y restent dormants, ça va, mais dès que l’on s’en empare comme le font les intégristes, qui n’aiment pas beaucoup d’auteur de ce gentil petit livre (chez nous, «en France, la charia c’est la République», il valait mieux qu’un musulman le dise), bonjour les dégâts.

    Mais aucune de ces religions du livre, n’a résisté à la tentation des atrocités au cours de son histoire, pour asseoir sa domination sur son vaste peuple (1,5 milliards de musulmans, à peine moins que de chrétiens, de diverses tendances) ou les religions concurrentes.
    Certains pensent que les religions finissent toujours par aller au pire et qu’elles sont toutes à condamner. Elles font pourtant aussi les meilleurs des hommes et des femmes qui cherchent par ce canal à se poser des questions existentielles et parvenir à une éthique personnelle, seuls comme souvent les protestants, de façon plus communautaire avec des textes sécrétés par l’Eglise tout au long de son histoire pour les catholiques, ou avec une place assez grande faite aux rituels, comme la prière et une mémorisation à la lettre des textes sacrés dans les écoles coraniques. L’intégrisme est une tendance commune à toutes ces religions et le catholicisme comme le protestantisme sont parfois malades de leurs fondamentalistes, une attitude plus facile à acquérir qu’un travail intellectuel et spirituel sur les textes bibliques (Ancien et Nouveau Testament) ou ceux de l’histoire de l’Eglise pour les catholiques. Chez les juifs, l’intégrisme est au moins aussi radical et « acide » que chez les musulmans et leur affrontement moderne aboutit aux pires atrocités.
    L’ouvrage est présenté par Laurent Joffrin dans Libération : http://www.liberation.fr/debats/2015/11/25/l-integrisme-maladie-de-l-islam_1416117

    Le second ouvrage est une pépite, « L’Andalousie Arabe, une culture de la tolérance, de Maria Rosa Menocal », épuisé chez son éditeur, mais encore présent (d’occasion) chez une dizaine de fournisseurs en ligne : http://www.autrement.com/ouvrage/landalousie-arabe-maria-rosa-menocal-melanie-marx-michel-zink

    Savez-vous qu’un des hauts dignitaires de l’EI, qu’on sait maintenant responsable des attentats eu Europe et qui a piloté les acteurs de ceux de Paris, est celui qui a rédigé et traduit en 5 langues pour le grand chef, le texte officiel de la proclamation de cet Etat Islamique, l’a fait sur le territoire où Mustapha Kemal Atatürk (un sacré bonhomme !) avait proclamé une république démocratique, laïque, unitaire et constitutionnelle en 1923. Les femmes ont été libérées du voile et ont obtenu le droit de vote sans que cela pose question, bien avant que De Gaulle ne l’accorde aux femmes en France après la guerre ! Auparavant il fallait une autorisation spéciale de la police à une femme qui voulait porter le pantalon (Georges Sand l’avait).

    Voici une présentation de cet ouvrage que m’avait adressé une amie lorsque sa traduction est sortie en France :

    Maria Rosa Menocal, née à Cuba, professeur à Yale (état de New York), directrice du prestigieux Whitney Humanities Center à Yale University est auteure de plusieurs ouvrages sur l’Espagne médiévale. Ce livre retrace l’histoire de l’Andalousie (al-Andaluz) de l’an 800 à l’an 1600. Le rayonnement de cette civilisation et les relations développées entre l’Europe, le Bassin méditerranéen, Damas et Bagdad, allant même jusqu’aux confins chinois où l’influence arabe était présente. Quel étonnement, quelle découverte de connaître une partie de l’Histoire rarement racontée !

    Les Omeyyades, peuplades de bédouins préislamiques, amoureux de la langue et de la culture poétique, fraîchement débarqués dans une Syrie hellénisée et chrétienne, construisirent leur première grande mosquée à Damas (foyer de l’islam au Proche Orient à partir de la fuite de Mahomet à Médine en 622). Mais Damas fut le foyer d’un carnage par les Abbassides en l’an 750.

    Chassé de Damas, le seul survivant de la dynastie Omeyyade, Abd Al-Rahman, trouva refuge dans l’Andalousie conquise en 711 par Tarik Ibn Zyad. Lui et ses successeurs y bâtirent un état qui faisait l’admiration des lettrés. C’est là que philosophes arabes et juifs traduisirent en arabe les textes de leurs précurseurs grecs, lesquels, retraduits en latin, permirent à l’Occident chrétien de redécouvrir son héritage.

    Juifs, chrétiens mozarabes (chrétiens d’Espagne, ayant conservé le libre exercice de leur culte sous la domination des arabes), et musulmans y vécurent en bonne intelligence, leurs souverains construisant des chefs d’œuvre tels que l’Alhambra de Grenade, la mosquée de Cordoue, l’Alcazar de Séville… Abd Al-Rahman à partir de l’an 760 cultiva une culture du livre et de la poésie toujours alimentée par la référence à l’islam. Et les Abbassides ayant quitté Damas pour Bagdad le rayonnement venait de ce lieu.

    Les caravanes ou les voyageurs par mer rapportaient non seulement des produits, des épices, des pierreries mais surtout des livres saints ou sacrés, ou philosophiques ou scientifiques du lointain Orient et de la Grèce antique. Des traducteurs de grand renom furent requis, peu de chrétiens mais surtout des hébreux vivant à Cordoue (capitale d’Al-Andaluz, ou Sefarad en hébreu).

    Dès le début, l’Islam reconnut ses liens particuliers avec le judaïsme et le christianisme en tant que «peuples du Livre» donc sacrés et respectés (ce qui fut certainement la base de cette tolérance). Pour la première fois depuis des milliers d’années, l’hébreu sortit des synagogues et devint aussi polyvalent que l’arabe, langue maternelle des juifs andalous. Le latin de son côté perdant ses attaches, la langue de Rome se désintégrait et les petits fils de Charlemagne en 840 ne parlaient que le roman et le germain. « Avec tendresse nous appelons les langues que nous apprenons dans notre enfance «langues maternelles» car nous ne les apprenons pas dans des livres ou à l’école, mais dans l’entourage des femmes qui nous élèvent ».

    Les Abbassides avaient donné naissance à Bagdad à une brillante civilisation, et s’ils ne contrôlaient pas politiquement les Andalous ils se savaient inégalés dans leur empire culturel et politique. Une circulation permanente reliait Cordoue à Bagdad : «Apprenez Seigneur que notre terre a pour nom Séfarade la langue sacrée, mais que les citoyens ismaéliens l’appellent Al-Andaluz et le royaume de Cordoue» disait le Vizir Hasdaï en 949 à Cordoue.

    L’astrolabe (instrument mécanique de calcul astronomique pour la position des étoiles, le temps relatif et les cartes marines), rapporté des confins chinois et connu des arabes en 790, fut rapporté par Gerbert d’Aurillac (futur Pape Sylvestre II) en Europe du nord en 991 et faisait encore l’objet d’études scientifiques et de nombreux traités en 1391 par Chaucer !

    L’auteur relate aussi le témoignage de la quête de vérité et de philosophie de Pierre de Cluny, fondateur des Cisterciens, d’Abélard son moine mari d’Héloïse, de Bernard de Clairvaux, fondateur des Chevaliers du Temple, de Thomas d’Aquin etc, c’est une somme de connaissances.

    Ce livre épais, dense, requérant quelques connaissances de la culture classique (mais nous en avons tous) n’est pas une histoire ni un roman mais un grand moment de lecture où l’on apprend toujours quelque chose et d’où il ressort que le Moyen-Age n’est pas une période de 700 ans où il ne se passa rien (comme on nous l’a enseigné).

    Nous apprenons qu’aussi bien pour «la grandeur et décadence de l’Empire Romain» (où la déliquescence de leur culture a tué la démocratie) que pour «la chute des Omeyyades», où ce fut l’œuvre des fondamentalistes venus du Maghreb. Par leur intolérance ils ont détruit le royaume d’Al-Andaluz et bien sûr plus tard ce furent les rois catholiques d’Espagne, Isabelle II et Ferdinand avec leur bras armé, l’inquisition.
    De necesitae tolerantia… (Florence, septembre 2003)

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