Vent de fusion-absorption théâtrale sur les quais de la Joliette
À la rentrée, le théâtre de Lenche, en bordure du Panier, va devenir une des scènes du théâtre de la Joliette. Cette logique de fusion et d'absorption est à l'œuvre depuis plusieurs années à Marseille. Si elle est censée répondre à la raréfaction des finances publiques, elle aura forcément un effet sur la création artistique.
Le parvis du théâtre de la Joliette- Stéphanie Tétu.
L’histoire qui se raconte ici peut avoir la belle forme d’une boucle qui se ferme. Dès la rentrée 2017, les théâtres de la Minoterie et de Lenche ne feront plus qu’un, sous le nom de théâtre de la Joliette. Cette idée de boucle est au centre puisque les directeurs de la Minoterie, Haïm Menahem et Pierrette Monticelli, ont commencé en tant que compagnie sur les planches du théâtre de la place qui borde le Panier, alors dirigé par Maurice Vinçon. Et c’est cette boucle que chacun espère vertueuse qui était au cœur de la présentation de la fusion de l’un dans l’autre, ce mercredi, à la Joliette.
Le départ de Vinçon et la chute de la maison Guérini
La question de la pérennité du lieu créé par Maurice Vinçon dans un ancien cinéma de quartier a été clairement posée par les tutelles financières du lieu – mairie, conseil départemental et régional – à l’annonce du départ à la retraite de ce dernier. Et celle de l’avalement de l’un par l’autre a alors été présenté comme une solution de survie des deux entités, en créant un trait d’union solide entre “le plus vieux quartier de Marseille et le plus moderne”. Le moment politique n’est pas non plus anodin. 2015 est aussi l’année des élections départementales qui marquent la chute de la maison Guérini, élu du Panier et ardent soutien du théâtre de Lenche.
Longtemps, Maurice Vinçon a multiplié les casquettes de directeur de théâtre, président du comité d’intérêt de quartier et organisateur de la fête du Panier. Le changement de couleur politique coïncide avec une chute des subventions allouées au théâtre, en même temps que la disparition de la grande fête du 21 juin. Maurice Vinçon n’en est pas dupe et dans le texte de sa plume lu par un administrateur du théâtre, il glisse vouloir poursuivre son “chemin d’artiste, agent culturel et citoyen dans des eaux éloignées des caprices technocratiques et des règlements de comptes politiciens”.
Après avoir été déménagé en 2013 dans un théâtre tout neuf, face au Silo d’Arenc, le théâtre de la Minoterie est resté fragile. Scène conventionnée “pour les expressions contemporaines”, rebaptisé Joliette-Minoterie, il a vu ses missions et son public élargi “avec une fréquentation en forte hausse”, souligne Pierrette Monticelli. Mais s’est aussi posé un problème de moyens pour faire face à ces nouvelles missions. “Très rapidement, nous nous sommes aperçus que les budgets alloués n’étaient pas à la hauteur et notre équipe était trop petite pour assumer le travail demandé”, explique cette dernière. L’hypothèse de la fusion-absorption s’est alors présentée à eux avec la possibilité de voir augmenter les budgets alloués à la création.
“De l’humain et encore de l’humain”
“Mais la fusion ce n’est pas simple, prévient-elle. Ce n’est pas seulement une structure qui absorbe une autre structure. C’est de l’humain, de l’humain et encore de l’humain.” Les deux entités ont donc pris le temps de la réflexion durant plus d’un an en y associant les collectivités au sein d’un comité de pilotage. En découle un projet qui se veut donc plus solide. L’équipe de la Joliette va passer de 11 à 16 en absorbant ceux qui le souhaitent des cinq salariés du Lenche. Et la scène conventionnée va pouvoir s’étaler sur trois scènes, les deux de la Joliette et celle du Lenche transformée en “lieu-dit de confection” de 80 places, tourné vers la résidence de création, notamment de compagnies régionales, la jeunesse et le théâtre amateur, trois éléments forts de l’identité du Lenche.
Mais ce projet comporte encore quelques belles inconnues. Ainsi entre 2016 et 2017, la part de la masse salariale du nouveau théâtre va baisser et son budget augmenter en passant de 1,2 million d’euros à 1,7, mais en créant aussi un déficit de 40 000 euros dû aux frais occasionnés par la fusion. “L’année 2018 doit être l’année de référence permettant de maintenir à 43 % la masse salariale, à 17 % les charges et 40 % le budget artistique”, détaille Haïm Menahem. Une année de référence loin d’être assurée puisqu’elle table sur un montant constant des apports publics des collectivités. “Je ne m’engage à rien du tout, prévient d’emblée Sabine Bernasconi, vice-présidente à la culture du département. Je ne peux absolument pas dire quel seront les financements du département l’année prochaine.”
Fusions en série
Autre inconnue non éclaircie, la possibilité d’ouvrir au premier étage du théâtre de Lenche, des appartements pour permettre le logement des artistes en résidence. “Pour l’heure, nous avons une fourchette basse de coûts à 150 000 euros et une haute à 450 000 euros mais les discussions n’ont pas encore commencé”, avance Haïm Menahem. Pour tenter d’éclaircir toutes ces inconnues, Pierrette Monticelli espère que le comité de pilotage se transforme en comité de suivi pour accompagner la fusion durant les prochaines années. Là encore, la réponse n’est pas encore certaine.
Ce qui l’est plus, c’est que cette nouvelle fusion entre deux structures anciennes et reconnues est le maillon d’une chaîne que tirent ensemble les collectivités et l’État. À chaque départ à la retraite d’un fondateur de théâtre ou d’un directeur emblématique, la mécanique se met en branle. Cela a été le cas du Gyptis transformé en cinéma par La Friche, du théâtre des Bernardines absorbé par le Gymnase en 2014, dans la musique aussi avec la fusion du GMEM et du GRIM dans des nouveaux locaux à la Friche cette année. Et la liste n’est pas close.
Prochain étape pour la Gare Franche et le Merlan
Ce mardi, un premier comité de pilotage a réuni les institutions autour d’un futur sort commun de la Gare Franche, au pied du Plan d’Aou, et de la scène nationale du Merlan. Le contour du projet est loin d’être arrêté mais l’envie commune d’un rapprochement actée.
À chaque fois, les collectivités défendent le principe d’une mutualisation accrue, permettant de réduire les frais liés à la structure et donc de maintenir les crédits alloués à la création. “Le contexte a changé, défend Sabine Bernasconi au conseil départemental. Nous sommes dans une époque où la ressource publique se raréfie. Il y a moins d’argent pour la culture mais pas moins de qualité. Il y a moins de lieu mais des productions de meilleure qualité”.
Au théâtre de la Joliette, on défend le principe que l’ouverture d’un lieu dédié aux résidences permettra d’offrir de meilleures conditions de travail aux compagnies accueillies. Une espérance partagée du Merlan au Gymnase. Mais, dans le même temps, les structures moins nombreuses accueillent des compagnies qui s’intègrent à leur projet, laissant forcément de côté d’autres qui collent moins.
Lettre ouverte de 150 acteurs culturels
Dans les couloirs de la Ville, côté direction des affaires culturelles, on défend le principe schumpétérien que chaque destruction coïncide avec un vent nouveau d’innovation. Mais ce principe de concentration des lieux de diffusion a forcément une conséquence sur les compagnies elles-mêmes. Le 29 mai dernier, 150 entreprises culturelles de toute la région ont signé une lettre ouverte aux financeurs dans laquelle ils fustigent les coupes claires dans les budgets du secteur.
Nous craignons que soit mise en œuvre une nouvelle orientation d’offre et de demande culturelle qui glisserait vers le populisme, la seule rentabilité économique et l’uniformisation de la pensée et des goûts.
Cette lettre ouverte était accompagnée de lettre de soutien de nombreuses structures de diffusion – dont le théâtre de Joliette – et l’ensemble des grands acteurs de MP 2018. Elle n’a pas eu de réponse officielle des grands élus saisis. Dans les mêmes couloirs de la Ville, on souligne volontiers “une offre excessive” et les effets de la loi du marché qui sont loin de se limiter au seul sud de la France. Un vocabulaire assez éloigné d’une volonté d’aide à la création, a priori dénué d’exigence de rentabilité. Mais face à ce vent de fusion liée à la raréfaction des financements publics, les promesses de 2013 de maintien des crédits après la capitale européenne de la culture paraissent poussière envolé d’un siècle passé.
Commentaires
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merci pour cet article qui dit avec beaucoup d’exactitude et assez de précision comment une Ville qui avait réussi à être élue capitale européenne de la Culture, est en train d’appauvrir son propre tissu de création et de vie culturelle. Dominique Wallon et Vigourous, puis Christian Poitevin avaient su créer des espaces de production avec des responsables soucieux des rapports de la Ville et des artistes. Une certaine “philosophie” de la Capitale culturelle a remplacé cela par des événements, événements qui ont provoqué l’enthousiasme des élus qui du coup, ne jugent plus que par rapport à l’évolution des chiffres d’affaires des entreprises et commerces marseillais. La condamnation de ces théâtres – Massalia y avait échappé gràce à la mobilisation de son équipe – qui étaient eux-mêmes des histoires de la Culture à Marseille et en elles-mêmes, appauvrit la diversité et la richesse des capacités de production : le “moins pour faire mieux” est toujours le principe de sélection qui tue dans l’oeuf les projets à naître et élimine à priori ce qui fera l’avenir. C’est évidemment consternant.
Dernier détail : la fin du Théâtre Gyptis aurait pu être compensée par les nouvelles trés belles salles de la Friche si, au lieu d’une commission qui soumet les compagnies à de nouveaux efforts de séduction et de bureaucratie, on y avait installé un véritable projet de producteur.
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“Une offre culturelle excessive”. Sûrement la même que pour les vestiges historiques.
Qu’est-ce qu’il ne faut pas lire…
Sinon, sur la forme, “théâtre de la Joliette”, c’est plutôt triste comme nom à la place des théâtres de la Minoterie et de Lenche.
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