Une infirmière sur le front du Covid : “on est entrés dans une sorte de travail à la chaîne”
Il y a un an, Fanny Bassole-Fontaneau, infirmière, intégrait les services de réanimation de l'hôpital Nord à Marseille, sans savoir ce qui l'attendait. Lassitude, manque de moyens, peur de l'avenir... Soignante parmi des centaines, elle témoigne pour Marsactu de ces mois de combat.
Une infirmière dans une unité de réanimation à la Timone - (Photo d'illustration : Emilio Guzman)
C’est la première fois qu’elle parle à une journaliste. Pourtant, l’infirmière de 31 ans a accepté de répondre à nos questions sans hésitation. Quitte à faire un aller-retour Marseille- Bouc-Bel-Air, où elle habite, un soir de semaine. “Ça fait longtemps que je ne suis pas sortie ailleurs qu’à l’hôpital !”, lance la jeune femme, perchée sur ses talons lorsque nous la rencontrons. Fanny Bassole-Fontaneau est du genre pétillante. Sous son masque, son sourire est perceptible. Elle aime son métier, et en parler lui fait du bien. Diplômée en 2013, voilà tout juste un an qu’elle a fini une formation pour pouvoir exercer en réanimation. Un an qu’elle a été propulsée au cœur de la crise sanitaire, dans un service de réanimation de l’hôpital Nord, à Marseille.
Sa carrière en réanimation commence à peine, donc. Mais dans cette difficile période d’épidémie, l’usure déjà se fait sentir. “On commence à s’habituer et ça devient long, très long, décrit-elle. Une forme de lassitude s’est installée.” Pourtant, il y a un an, l’état d’esprit n’était pas du tout le même, rembobine-t-elle : “Nous mettions un point d’honneur à tout mettre en œuvre pour essayer de comprendre ce qu’il se passait, pour soigner les gens qui en avaient le plus besoin et qui arrivaient en masse.” Télétravail, fermeture des écoles, des commerces, arrêt des services d’hospitalisation conventionnels… en mars dernier, la France s’arrêtait de respirer face à la première vague. “Sauf qu’au fur et à mesure, on s’est rendu compte que la vie reprenait son cours, et qu’il fallait continuer à prendre en charge ces patients”.
Heures sup’ et baisse de vigilance
C’est alors que la course a démarré. “Les moyens ne sont pas les mêmes. Au début de la crise on avait énormément de personnel qui venait des services conventionnels fermés, parce qu’ils se retrouvaient presque sans travail. Aujourd’hui, on a tout autant de patients à gérer, mais plus tout ce personnel. La situation épidémique n’a pas évolué, mais pour nous, la situation se dégrade.” Dans le service où elle est en poste, celui du professeur Laurent Papazian, chaque jour, sur une équipe d’environ quinze personnes, ce sont près de quatre infirmiers qui se retrouvent en heures supplémentaires.
Indéniablement, le manque d’effectif pèse sur la qualité des soins. “Il y a des baisses de vigilance parce qu’on est fatigué, parce qu’on court de partout, ou parce qu’on doit regarder ce que font les nouveaux qui n’ont pas eu la formation. Moi j’ai eu de la chance, je suis arrivée en réanimation le 10 février. J’ai été formée durant sept semaines puis j’ai été lâchée dans le Covid pendant le premier confinement. Ceux qui sont arrivés après ont eu un, deux, trois jours de formation. Ça n’a rien à voir. Le travail en réanimation demande extrêmement de rigueur et beaucoup de connaissances que l’on ne peut pas avoir en deux ou trois jours.”
Une analyse mal faite, un geste effectué trop vite, une erreur d’administration de médicament, de surveillance… Parfois, le manque d’effectif qualifié peut mener à des erreurs “graves”, concède l’infirmière. Sans mettre directement en jeu la vie du patient, elles peuvent engendrer une perte de chance pour celui-ci. Cette ambiance, ce contexte de pression participe au mal-être des soignants. “Est-ce que demain nous aurons suffisamment d’effectifs ? Est-ce que je vais pouvoir prendre en charge mes patients correctement ? Est-ce que du haut de mes un an d’expérience je vais être la plus ancienne ? Si c’est le cas j’aurais énormément de stress, je ne me sentirais pas à l’aise et c’est déjà arrivé”, résume la soignante.
Des malades à la chaîne
Moins de personnel donc, pour un nombre de patients qui ne faiblit pas, voire, augmente. “Quand on fait sortir les patients, on sait que derrière ça va rentrer. Il y a une forme de pression de la hiérarchie qui pousse à faire sortir, pour faire entrer d’autres patients. La Timone est pleine à craquer. Nous [à l’hôpital Nord, ndlr] on reçoit les cas les plus lourds de la région et d’ailleurs. La pression est bien réelle.” Cet abattage, Fanny le ressent aussi dans l’exercice de sa profession, dont elle ne parvient parfois plus à retrouver l’humanité et la diversité qui en font l’essence.
Les patients Covid, ce sont les patients Covid. Il n’y a plus d’histoire de vie, d’histoire de la maladie. parce que les patients sont presque tous les mêmes, ils sortent, ils rentrent, ils sortent, ils rentrent…
Le pire est sans doute, la routine qui s’installe, avec des patients interchangeables et l’impression “d’une sorte de travail à la chaîne“, qui la désole. “Les patients Covid, ce sont les patients Covid. Il n’y a plus d’histoire de vie, d’histoire de la maladie. C’est plutôt « qu’est-ce qu’il a ? Ben, il a le Covid. Ok ». On ne cherche pas plus loin que ça, parce que les patients sont presque tous les mêmes, ils sortent, ils rentrent, ils sortent, ils rentrent…” De quoi accentuer le sentiment de lassitude, voire, la perte de vigilance. Et la crainte de l’avenir. “Oui, j’ai peur. Peur que ça ne s’arrête jamais, qu’il y ait un nouveau variant plus fort que le premier, que la vaccination ne fonctionne pas, de voir tous mes collègues partir les uns après les autres.”
Pour autant, la jeune femme ne compte pas rendre la blouse de sitôt. “Je ne suis pas dans cet état d’esprit pour l’instant. J’ai découvert une passion pour la réanimation quand je suis arrivée il y a un an. J’essaye de m’investir dans des formations, même si c’est très difficile en ce moment et qu’on se forme souvent sur le tas.” Mais la jeune femme comprend le départ de certains de ses collègues. Un phénomène qui frappe de plus en plus les services de réanimation. Elle pointe également le manque de reconnaissance. “On entend souvent des gens dire « mais de quoi vous vous plaignez ? Faites votre boulot et puis c’est tout ». Quand il y a eu le Ségur de la santé beaucoup ont crié au scandale parce qu’on avait une prime”. Ces discours, elle les retrouve sur les réseaux sociaux, mais aussi quand le silence règne à 20 heures, et qu’elle se remémore les acclamations “vite oubliées”. Le manque de reconnaissance, ajoute-t-elle, intervient parfois aussi du côté de la hiérarchie.
En famille comme en équipe, la solidarité prime
Quand elle rentre chez elle, Fanny retrouve ses deux enfants et son mari. Fort heureusement, eux la soutiennent. Ce dernier a des horaires flexibles qui permettent au couple de s’organiser pour la garde des enfants. Mais la crise a tout de même des répercussions sur la vie de famille. “La fatigue se fait ressentir. Quand on a des très grosses journées, que l’on passe 12 heures sans pouvoir s’asseoir plus d’un quart d’heure, le soir on est forcément moins disponible pour son mari et ses enfants, aussi bien mentalement que physiquement”, reconnaît-elle. Comme souvent dans les crises, les moments de tension permettent aussi d’en apprendre plus sur soi.
“Cette épidémie m’a confortée dans l’idée que j’adore mon métier.” Être au bon endroit, au bon moment. Fanny apprécie de s’être retrouvée “tout de suite dans le vif du sujet”. Lâchée dans la tempête, dans “l’inconnu”, elle a découvert l’importance de la “cohésion” dans une équipe pour tenir bon. “Si on est tout seul, la vie du patient en dépend. Là je savais que si à un moment je me retrouvais submergée, un collègue viendrait prendre le relais.” Un an plus tard, cela est toujours vrai, assure-t-elle. “Certains craquent, c’est vrai, mais pas pendant la garde. La crise m’a appris cela : même dans la difficulté, que ce soit dans la vie personnelle ou professionnelle, on peut rester solidaire pour trouver un semblant d’équilibre.” Et faire en sorte, qu’aucun maillon de la chaîne ne casse.
Commentaires
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Témoignage essentiel. La réalité vécue par les soignants doit être mise à jour. Merci.
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Merci pour ce témoignage juste. Pas des héros mais des gens qui ont à coeur de bien faire leur métier, et qui font un métier essentiel.
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Merci pour ce témoignage et surtout bravo aux soignants.
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Respect
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Infirmière à la retraite je soutiens les équipes et comprends parfaitement la situation.
merci et respect
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