[Suivez le guide] Nathalie Cazals conte Marseille, du bout du monde au coin de la rue
L'anthropologue Nathalie Cazals propose des balades urbaines à Marseille depuis une quinzaine d'années. Son objectif, montrer aux Marseillais des détails auxquels ils n’ont pas prêté attention dans leur quartier fétiche ou au pied de leur immeuble. Pour le cinquième épisode de notre série, portrait de cette guide locale.
Nathalie Cazals, anthropologue et guide marseillaise. (Photo : AC)
“Ces humains, qui sont-ils ?” Nathalie Cazals s’est posée cette question toute sa vie. Elle a d’abord tenté d’y répondre avec l’anthropologie et l’archéologie. Désormais à Marseille depuis une vingtaine d’années, elle partage ses trouvailles au travers de balades urbaines, sorte de visites guidées cousues main. “C’est de plus en plus demandé de comprendre et de connaitre en bas de chez soi. On peut y trouver des choses extraordinaires”, observe-t-elle, l’œil curieux.
Ses balades urbaines s’adressent principalement aux Marseillais alors en ce mois d’août, Nathalie Cazals ne guide personne. Pour évoquer son travail, le rendez-vous est donc fixé dans une brasserie aux Réformés, le quartier où elle habite. Elle confie ne pas être une habituée, préférant les terrasses de Belsunce, où elle a beaucoup travaillé. Elle y a déjà réalisé des balades urbaines sur différentes thématiques, l’histoire des migrations, le temps de l’industrialisation ou les cafés marseillais, en passant par la figure de Louise Michel, un personnage très important pour elle.
En 2018, Nathalie Cazals faisait partie des habitants qui ont milité pour renommer la place La Fare-Petites Maries du nom de la célèbre communarde. “Les gens viennent parce que ce sont des balades analytiques et engagées, je ne cache pas mon engagement, je l’assume”, revendique-t-elle. Et de se remémorer une visite à la croisée entre histoire et actualité : “Un jour, j’ai fait la balade « Louise Michel et les femmes », en mars 2023, au moment des manifs sur les retraites et il y avait énormément de tags sur le lycée Thiers. Je ne pouvais pas avoir plus beau décor que les tags contre Thiers, qui était le boucher de la Commune”.
“Des lectures approfondies de la ville”
Née dans une ferme de l’Aveyron, Nathalie Cazals garde le souvenir d’une grande solitude durant son enfance. “C’est long de regarder pousser l’herbe”, se rappelle-t-elle en riant. “J’ai voulu parcourir le monde et rencontrer les autres.” Toulouse n’est “pas assez grande”, donc elle part à Paris faire ses études d’histoire de l’art puis d’anthropologie qu’elle continue jusqu’au doctorat. Sa bougeotte et ses recherches l’emmènent jusqu’en Patagonie, mais c’est à Marseille qu’elle pose ses bagages en 2003. “La nonchalance de la ville, son côté populaire me plaisaient beaucoup”, évoque-t-elle, désormais certaine de ne plus la quitter.
Ici, ce sont toujours les traces des identités culturelles qui l’obsèdent. Elle choisit de creuser le sujet d’une autre manière. Pour sortir de la sphère académique, renouer avec “ses origines rurales” et créer un “dialogue permanent”, l’oralité s’impose à elle. La déambulation lui parait la forme idéale. “Les conférences, ce sont les gens qui viennent pour vous écouter alors que les balades, c’est vous qui allez vers les gens”, dépeint-elle. “Et puis on ne raconte pas Marseille depuis son canapé”, ajoute la quinquagénaire.
Sur Marseille justement, elle jette un regard précis, qui mêle souvent les histoires sociale, économique et culturelle. “Mes balades urbaines, ce sont des lectures approfondies de la ville”, résume-t-elle. À partir d’un lieu, elle plonge les visiteurs dans les différentes facettes d’une époque. “Le premier café a ouvert à Marseille et il a contribué à l’expansion économique de la ville, illustre-t-elle. Dans mes parcours, on va devant les différents cafés, mais je ne fais pas que raconter la devanture. L’intérêt du café, c’est d’expliquer la sociologie de la Canebière et comment elle se transforme. Ce n’est pas être nostalgique sur les grands cafés disparus, même si on peut le regretter. Mais ces grands cafés correspondaient à une réussite d’armateurs, de commerçants. Tout le monde ne rentrait pas dans ces grands cafés : socialement, c’était l’Intercontinental et le Sofitel.”
Elle aime aussi tirer des fils, de façon rigoureuse, et néanmoins ludique, entre le coin de la rue et l’Histoire avec un grand H. Un exemple : “je mets en parallèle la percée du canal de Suez en Égypte, qui est une histoire de rivalité coloniale entre la France et l’Angleterre, jusqu’à la nationalisation de Nasser, parce que ce sont les investisseurs marseillais qui ont investi là-dedans. Et finalement ça a rapporté de l’argent à Marseille au point où je fais le parallèle entre la percée géographique du canal de Suez et la percée de la rue de la République entre les deux ports. C’est l’un qui a permis l’autre quasiment. Symboliquement, le canal de Suez, c’est la rue de la République.”
Une guide à part
Si Nathalie Cazals propose un format innovant, elle ne reste pas moins universitaire dans sa méthode de travail très méticuleuse. Pour préparer ses parcours thématiques, elle lit des ouvrages, se rend aux archives, se balade la tête en l’air et sonne aux interphones pour découvrir les arrière-cours. Voilà 10 ans qu’elle a pour projet d’obtenir sa carte de guide conférencière, mais elle avoue ne s’être jamais donnée les moyens d’aller au bout. Forte de son expérience et de ses études, elle pourrait l’obtenir assez aisément en VAE.
“Expérience”, c’est aussi un terme qui à la mode dans le marketing du tourisme, lorsque l’on veut vendre une balade, un atelier ou toute autre activité vantée comme inédite. Nathalie Cazals s’est aujourd’hui lassée de l’expression, alors qu’elle avait baptisé sa micro-entreprise “Nexpériences”, il y a une dizaine d’années. Cette activité de balades urbaines ne lui permet pourtant pas d’en vivre et elle complète ses revenus par des activités de conseil dans le domaine du patrimoine et du tourisme.
Ses tours, elle les propose les week-ends pour les curieux, en annonçant les prochaines dates via notamment sa page Facebook, et travaille également avec des institutions. Ces dernières lui commandent des projets précis à l’occasion d’expositions, mais aussi d’évènements comme les journées de l’archéologie ou celles du patrimoine. Responsable de la médiation au musée d’histoire de Marseille, Jérôme Mortier collabore régulièrement avec elle. “On a souvent cette pratique de développer des actions de médiation hors les murs”, explique-t-il, friand de balades urbaines. Le musée d’histoire a déjà commandé à Nathalie Cazals des déambulations sur le thème du vin, des liqueurs ou des révoltes populaires, correspondant à chaque fois à une exposition différente. Pour Jérôme Mortier, la guide est très “engagée et interventionniste, c’est quelqu’un qui va de l’avant”.
Touriste dans sa ville
Nathalie Cazals dit qu’elle aime “montrer des choses qu’on a vues, mais qu’on n’a pas regardé”. Par ses balades urbaines, elle transforme les Marseillais en touristes dans leur propre ville. “Parfois, certains sont un peu mal à l’aise [de s’arrêter au milieu de la rue], mais ça se dissipe vite parce que les gens autour comprennent vite que nous ne sommes pas de passage.”
Habituée des balades urbaines, Claire Chamarat*, qui anime aussi des balades urbaines dans le quartier d’Euroméditerranée, décrit Nathalie Cazals comme “quelqu’un qui a toujours envie de chercher, qui a une curiosité de tout, qui a une envie de découvrir toujours autre chose”. Elle loue aussi la “grande capacité de Nathalie à sortir les cartes et son côté multi-approches”, en faisant aussi appel à des personnes en lien avec la thématique des balades pour venir témoigner durant les parcours. Des histoires qui se mêlent toujours plus pour faire comprendre la ville. Après des années à raconter Marseille et ses origines, Nathalie Cazals aimerait coucher toutes ses recherches sur le papier et écrire un livre, tout en continuant ses balades. Sa façon à elle de parcourir le monde depuis le port d’attache qu’elle s’est choisi.
*Comme 70 autres lecteurs et soutiens, Claire Chamarat fait partie des actionnaires de Marsactu. Cliquez ici pour en savoir plus sur notre modèle économique.
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