[Retour au Plan d’Aou] La longue métamorphose d’une cité revenue à l’ordinaire
Le Plan d'Aou fait partie des grandes cités du Nord de Marseille. Depuis près de 30 ans, elle fait l'objet d'une intense transformation pour réparer l'urbanisme brutal des années 60. Alors que les dernières opérations débutent cet été, Marsactu revient sur l'histoire de cette cité, prototype de la rénovation urbaine avant l'heure. Pour ce premier épisode, retour sur des décennies de travaux.
Aujourd'hui, le Plan d'Aou est bientôt sorti des chantiers et le quartier a pris des airs, à certains endroits, de résidence apaisée. (Photo : LC)
“Plan d’Aou delenda est !” Caton l’ancien n’est jamais venu sur les hauteurs de Saint-Antoine maudire Carthage. Mais la formule, reprise avec ironie par un des urbanistes, décrit bien le projet initial des pouvoirs publics à la fin des années 80 : faire du plateau d’en haut, le “Plan d’Aou” en provençal, une table rase. Enfin débarrassée de la cité qui lui a pris son nom et qui, depuis sa construction 20 ans plus tôt, cumule tous les maux. Malfaçons en pagaille, délinquance endémique, chômage de masse et mauvaise réputation. Les plumitifs paresseux de l’époque, en mal de comparaison, en font un petit Chicago des quartiers Nord, un Marseille en résumé, où l’héroïne tue par centaines. Il faut donc détruire le Plan d’Aou, en finir avec la cité.
Des arbres, deux immeubles vestiges et une vue incroyable sur la rade. Trente ans plus tard, le Plan d’Aou est métamorphosé, revenu à l’ordinaire de la ville, avec des rues où les bus s’arrêtent, une médiathèque toute neuve et une réputation qui n’est plus qu’un lointain souvenir. Cet été, Marsactu vous propose de remonter le temps pour raconter cette transformation, comme on pèle un oignon. Ici se concentre une bonne part de l’histoire de l’urbanisme marseillais, avec ses pires penchants et ses réussites, que la longueur du temps estompe. Le plan des rues ne laisse rien percevoir des luttes sourdes, entre techniciens, élus, habitants, pour faire aboutir ce premier projet de rénovation urbaine.
En parallèle d’Euroméditerranée
Il y a trente ans donc, en 1993 le rapport d’Alain Masson préconisait une action de grande ampleur à Marseille, jetant les bases du projet Euroméditerranée, un “centre décisionnel” dénommé “Joliette-Saint-Charles“. Dans le Nord, il prévoit un “Grand projet urbain”, dont l’action volontariste débuterait dans les “trois-cités“, entre Saint-Antoine et Saint-André. Plan d’Aou réclame l’action la plus urgente. Le rapport d’Alain Masson le dit crument, sa destruction est déjà “un coup parti” :
“Il y a là trois cités populaires : Plan d’Aou, dont la destruction est programmée par la Ville et souhaitée par le promoteur du centre commercial en raison de leur proximité, la Bricarde en cours de réhabilitation, la Castellane enfin”.
Plutôt que de détruire, le haut fonctionnaire propose d’en faire le lieu d’une “ambition nouvelle” qui s’étalera “sur plusieurs décades“. L’engluement et les engambi marseillais ajoutent quelques années à l’ouvrage.
Le chantier sans fin
Août 2024, les engins s’affairent face à la mer qui scintille en contrebas. Sous une chaleur écrasante, Fahem Sadaoui participe à la mise au jour des derniers bunkers qui affleurent la terre remuée. Eurovia y prépare le chantier de la dernière tranche du projet de renouvellement urbain du Plan d’Aou, validé en 2005. Ici, à partir de septembre, doivent être édifiés Vision d’Aou, une centaine de logements en bail réel solidaire, un dispositif qui permet une accession sociale à la propriété, alors que le foncier reste à Erilia, un des bailleurs sociaux du site.
Fahem Sadaoui habite aux Pétrels. C’est un enfant du Plan d’Aou, il est né aux Corsaires en 1987. Car ici, fantaisie des bailleurs, tous les bâtiments ont été nommé en référence à la mer. “J’ai toujours connu la cité en chantier. On a déménagé des Corsaires au Surcouf puis au Cap-Horn, au fur et à mesure de l’avancée du chantier“. Une fois adulte, il est devenu un des acteurs de cette transformation. Il a bossé sur le chantier du pôle d’échange de Saint-Antoine, en contrebas et sur la construction du plateau sportif qui traverse la cité jusqu’au Belvédère au-dessus de la falaise.
“Quand on a fait le terrassement pour installer le stade bleu, je les ai prévenus qu’il y avait là un bunker dans lequel je jouais, minot. Plus personne n’avait les plans“. En creusant, les ouvriers tombent sur l’équivalent d’une salle de bal souterraine. “Là, c’est la même chose, c’est comme un iceberg“, explique-t-il en montrant les barres en acier du plafond de ce qui semble être une salle souterraine. “La machine y a cassé ses dents en tentant de percer le béton“, sourit-il en montrant les plots d’acier qui gisent sur un talus.
Cette embauche des gens du cru était une des préconisations du rapport Masson de 1993, afin de faciliter les chantiers tout en apportant une réponse au chômage local. “C’est vrai que le fait d’être là, permet d’aplanir les problèmes. Si on fait trop de poussières, ce sont mes voisins qui m’engueulent.” Un soir, il est allé tancer trois minots qui jouaient à mettre le feu près du stade qu’il a contribué à construire. “Je leur ai expliqué que c’est pour eux qu’on a fait ça. Moi aussi, j’ai été petit, j’ai connu l’ennui.”
Le Palm beach du Plan d’Aou
Fahem Sadaoui se souvient également de la sortie de terre du premier bâtiment neuf livré par Logirem en juin 1995. Le premier à ne pas porter un nom lié à la mer, il se nomme les Hauts de Saint-Antoine. Certains y ont vu un premier effacement de la cité. D’autres opérations plus au Nord sont baptisées les Terrasses du Verduron. “Nous, les habitants du Plan d’Aou, on l’appelait le Palm beach, tellement ça nous paraissait luxueux par rapport aux bâtiments où on vivait. Chez nous, au Surcouf, le mur était trempé dès qu’il pleuvait. Et j’ai été traité pour de l’asthme dès mes premières années“.
Le “Palm beach” en question s’est banalisé au fur et à mesure des livraisons de programmes neufs en lieu en place des anciens bâtiments. Il borde la rue Jorgi-Reboul, une voie nouvelle, métropolitaine qui est l’axe principal du projet. Le dessein est simple : mettre fin au fonctionnement en vase-clos de la cité, en remettant les bâtiments sur un axe orthogonal avec des voiries qui permettent de rejoindre Saint-Antoine, la Viste et le Verduron.
Le mur de la honte
Là encore, ce projet simple a duré des décennies. Car il a fallu aller jusqu’au Conseil d’État pour faire valider la voie nouvelle, bloquée par un mur litigieux. “Dans les années 80, je ne sais plus trop quand, les habitants du lotissement voisin ont construit un mur pour empêcher les gens du Plan d’Aou de passer par chez eux, se remémore Fahem. Ils ont tiré au fusil sur un jeune qui venait cambrioler.” Aujourd’hui, le lotissement Minerve est coupé en deux, protégé de part et d’autre par des portails automatiques.
“Mais la construction du mur était une question de survie, défend Anne-Marie Guignard, la présidente du comité d’intérêt de quartier (CIQ) de Saint-Antoine. Il faut se souvenir de la violence de ces années là. Pour les voisins, c’était invivable.” Dans les années 80, le chômage et le trafic de drogue ont transformé la cité en symbole d’une forme de décadence des quartiers Nord. “La fermeture des usines n’a fait du bien à personne“, soupire la présidente.
Habitante du quartier depuis son enfance, la patronne du CIQ garde en mémoire le Plan d’Aou d’avant. Elle aussi a joué dans les bunkers après-guerre. “C’était notre coin de nature. La seule chose qu’il y avait, c’était le stade où l’ASSA jouait tous les dimanches. J’y allais avec mon père. C’est aussi pour cela que la construction de la cité a mis plus de temps qu’ailleurs. Les gens se sont battus pour ne pas vendre leurs terrains.”
L’appétit des promoteurs
L’ambition du projet dessiné par Alain Amédéo en 1998 vise donc à créer un lien entre les quartiers voisins et le site du haut. La mise en place de la zone franche urbaine permet de mélanger les usages. S’y ajoutent une ou deux “loiseleries”, un mot valise fondé sur le nom d’Henri Loisel, le directeur général des services adjoint de Jean-Claude Gaudin qui avait la haute main sur tous les projets d’urbanisme. Avec lui, les projets étaient avancés ou freinés, sans passer par la voie officielle. C’est ainsi que les équipes du Grand projet urbain, devenu Grand projet de ville, vont découvrir que la municipalité a vendu les terrains avec vue sur mer dont elle était propriétaire à un promoteur qui y a édifié ses Terrasses de la Méditerranée. Les urbanistes ont dû revoir leurs plans…
Ce faisant, le promoteur a bénéficié d’une TVA allégée, du fait de la proximité avec un programme de renouvellement urbain, validé par l’Anru. De la même façon, les équipes techniques ont dû batailler ferme pour obtenir la création de la bibliothèque, inscrite depuis les années 90, mais qui n’était pas forcément une priorité pour les élus. Il a fallu attendre 2021 pour que l’équipement ouvre enfin.
L’arbre de Salim Hatubou
Mais aujourd’hui, les décennies de projets avortés, de chantiers bloqués et de pelleteuses embourbées semblent s’éloigner, et le quartier a pris son nouveau visage. Les places en coquillage dessinées par André Dunoyer de Segonzac, le premier architecte, ont disparu. Le quartier alterne les petits immeubles, les maisons mitoyennes et les voies apaisées. Dernier vestige de l’ancienne cité, les voitures sont garées en travers des rues, faisant fi des places parallèles aux trottoirs. Le Plan d’Aou ne fait plus peur. La cité se paie le luxe de la ville ordinaire tout en gardant une vue à couper le souffle.
“C’est vraiment une réussite, la bibliothèque, se félicite Anne-Marie Guignard au sujet de la bibliothèque inaugurée. Même si, au CIQ, on s’est battus pour qu’elle soit implantée au niveau du pôle d’échange de Saint-Antoine. Parce que le boulevard Thollon, ça grimpe sec pour nos vieilles jambes.” Elle se dit plutôt satisfaite des réalisations : “c’est une évidence. Agir sur la pierre d’accord, mais il faut agir sur l’humain d’abord“, formule-t-elle.
En bonne présidente de CIQ, Anne-Marie Guignard met tout de même en avant les problèmes de gestion urbaine de proximité : les déchets qui s’amoncèlent ou l’insécurité qui continue de sévir. “Le point de deal est aux portes de la médiathèque. Nous aussi, on voudrait une opération place nette, ici.”
La petite place du Sud sur lequel ouvre la médiathèque est encombrée de voitures. Personne ne s’asseoit sur les bancs. Les véhicules se garent juste devant l’entrée, alors qu’un immense parking existe, juste derrière le bâtiment. Parmi les gens qui se garent, peu savent que le micocoulier que la bibliothèque a conservé dans son patio intérieur date d’avant la rénovation, quand ce lieu accueillait l’école du Plan d’Aou. Un arbre comme modeste symbole de la transformation des lieux et de sa permanence.
Commentaires
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Les espaces publics ont été aménagés, mais la Ville de Marseille, commanditaire des travaux, n’a jamais voulu les reprendre en gestion. Il faut dire qu’ils sont incapables de faire régner un semblant d’ordre républicain autant que de faire travailler leurs équipes. Du coup personne n’entretient les dits espaces publics, qui se dégradent à vitesse grand V. Au point que désormais, 3M€ de travaux plus tard, tout est à refaire.
J’y ai travaillé, c’est du vécu, et c’est déchirant car ce qui avait été réalisé (jeux d’enfants, stade de foot et basket, boulodrome avec vue sur la baie de l’Estaque, etc.) était vraiment chouette.
Encore une belle réussite du Printemps Marseillais et de leurs maîtres : FO (section espaces verts pour le coup). Notez que certains cancers sont curables, encore faut-il avoir le courage de s’infliger le traitement.
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La dégradation des espaces publics du Plan d’Aou a-t’elle commencé il y a quatre ans?
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Certes pas, d’où les travaux. Mais laisser à l’abandon, comme avant, provoque, comme avant, les mêmes résultats. La folie c’est de répéter sans cesse la même action et d’en attendre des résultats différents.
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Mars, et yeah.
Je partage votre constat .
Plusieurs villes ont appliqué la théorie du carreau cassé en mettant en place des stratégies pour maintenir la propreté des quartiers “sensibles”.
Les municipalités ont intensifié la surveillance des zones publiques et ont réagi rapidement aux actes de vandalisme, à la fois pour décourager la récidive et pour préserver la qualité de vie des résidents. Cette approche a été associée à une réduction de la petite criminalité et à une amélioration du sentiment de sécurité et d’appartenance.
Alors que la ville n’a plus la compétence de l’entretien de la voirie, l’exploitation et l’entretien des espaces ouverts au public devraient être, de facto, pris en charge par la ville .
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Hum, il y a beaucoup d’autres choses à dire sur cette opération.. et beaucoup d’autres “témoins’, habitants et acteurs à interroger. C’est un raccourci superficiel dans lequel on ne retrouve pas les étapes de l’historique et de la transformation du site.
Dommage !
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Vous m’intéressez.
Le fond du problème est où ?
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