Protection de l’enfance : “un juge gère plus de 450 dossiers d’assistance éducative”
Laurence Bellon est la magistrate coordinatrice du tribunal pour enfants de Marseille. Marraine d'une équipe de soignants qui intervient auprès d'enfants placés, elle revient sur la surcharge des services qui gèrent l'enfance en danger et dresse des pistes de réflexion pour améliorer l'ensemble de la chaîne éducative.
L'hôpital Salvator est spécialisé dans les soins pédopsychiatriques. (Photo SL)
À l’ombre des arbres de l’hôpital Salvator, une trentaine de personnes s’est réunie pour inaugurer la création de l’EMI ECO, l’équipe mobile intersectorielle pour enfants confiés, un groupe de soignants qui accompagnent des mineurs en danger. Depuis septembre, ils interviennent auprès des enfants placés en pouponnière, en famille d’accueil ou en foyer, à la demande des professionnels de l’aide sociale à l’enfance du département, chargée de leur protection. Des familles de Marseille, la Ciotat et Aubagne peuvent ainsi être suivies entre six mois et un an par des pédopsychiatres. “On sait que les enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance présentent quatre fois plus de troubles que la moyenne nationale“, souligne le docteur Guivarch, à l’initiative de ce partenariat entre l’Assistance publique-hôpitaux de Marseille (AP-HM) et le Centre hospitalier Valvert. L’équipe a pour ambition de prévenir ces troubles en accompagnant les enfants placés.
Laurence Bellon, magistrate, est la coordinatrice du tribunal pour enfants de Marseille et la marraine de ce dispositif. Présente lors de l’inauguration, elle livre son regard sur la situation de la protection de l’enfance dans notre département et défend une revalorisation du métier de travailleur social.
Pourquoi ce dispositif est-il un maillon nécessaire dans la chaîne de la protection de l’enfance ?
Quand il y a des scènes difficiles à vivre dans un foyer, c’est un dispositif qui permet de faire l’articulation avec le bureau d’un juge. Bien sûr, en foyer, il y a un psychologue, mais il n’est pas toujours là, ou il y a besoin d’une aide extérieure. Cette équipe mobile va pouvoir aider à comprendre le fonctionnement, le mental d’un enfant. Et faire des liens auxquels on n’a pas pensé. Ce temps de réflexion va aider le juge à arbitrer. Si on me donne simplement des rapports d’incidents, on me fait jouer le rôle du père fouettard ou de la baguette magique qui en lisant l’incident est capable de le faire cesser.
Aujourd’hui, ce lien ne se fait pas ?
Si, entre les foyers et le juge des enfants, c’est quotidien. Ce qui ne se fait pas toujours, c’est la possibilité pour les équipes éducatives de disposer d’un temps de réflexion sur ce qui est en train de se passer, pourquoi l’enfant réagit comme ça. Ou pour préparer l’audience qu’on demande au juge et lui donner des pistes de réflexion. Sinon, d’une certaine manière, on attend que je passe “un bon savon”, pardonnez-moi l’expression, au jeune. Mais il n’y a pas besoin d’un juge pour faire la morale.
Les juges pour enfants sont-ils sur-sollicités ?
Il y a une augmentation des rapports d’incident dans les établissements d’enfants placés. Qu’il y en ait, dans la vie d’un foyer et d’un enfant, c’est normal. Mais dans le temps, je n’en recevais pas autant. Les éducateurs et l’équipe éducative arrivaient à calmer le jeune et travailler en équipe. Aujourd’hui, ils renvoient sur l’autorité du juge alors que jusqu’à un certain stade de gravité, il n’y en a pas besoin. Souvent, les crises des enfants apparaissent quand l’établissement est en difficulté. C’est comme dans une famille : ils ont des antennes et détectent tout. S’il fait le crétin, ça se traite sous l’angle éducatif. Or, ils ont perdu cette capacité ou ils se croient obligés de faire un rapport au juge. Un juge des enfants à Marseille, c’est entre 450 et 480 dossiers d’assistance éducative en cours rien que pour le civil. Il y a aussi toute l’activité délinquante au pénal.
Le département doit aussi assurer les suivis à domicile. Dans les Bouches-du-Rhône, il y a une liste d’attente et des délais de plusieurs mois. Quel regard portez-vous sur cette situation ?
Le président du tribunal et le procureur ont envoyé un courrier au conseil départemental qui a peut-être accéléré le mouvement. Il y a des soucis d’organisation et de travail institutionnel. Mais une des grandes causes est qu’il devient difficile de recruter des travailleurs sociaux pour le suivi des assistances éducatives en milieu ouvert (AEMO), [une alternative avant le placement, ndlr]. En particulier à Marseille et dans les quartiers Nord. Mais que vous travailliez là ou dans la banlieue d’Orléans, vous êtes payés pareils, il y a des conventions nationales dans le travail social. L’éducation nationale a été capable d’inventer des zones prioritaires, avec la notion de REP et REP+ qui a permis le recrutement des enseignants. Si une institution aussi complexe, avec un million de professionnels, l’a fait, pourquoi pas le travail social en protection de l’enfance et en délinquance ? Il devrait y avoir des zones prioritaires. Dans les quartiers Nord, les travailleurs sociaux sont les derniers piliers du service public. On fait tout plein de choses sur le grand Marseille : ça doit commencer par le fait de trouver un moyen pour mettre en place un dispositif spécial de valorisation des travailleurs sociaux. C’est essentiel pour moi.
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idem pour l’hôpital. Et puis on privatisera…
Quand tout sera privé on sera privés de tout…!
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