Plongée dans le centre de rétention du Canet, sas sans espoir pour étrangers sans papiers

Reportage
le 21 Mar 2023
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Accompagné de deux parlementaires, Marsactu a pu visiter le centre de rétention du Canet, où dorment près d'une centaine d'hommes sur le point d'être expulsés.

Une des cinq cours intérieures au centre de rétention du Canet, le 20 mars à Marseille. (Photo : CMB)
Une des cinq cours intérieures au centre de rétention du Canet, le 20 mars à Marseille. (Photo : CMB)

Une des cinq cours intérieures au centre de rétention du Canet, le 20 mars à Marseille. (Photo : CMB)

“C’est ma mère, la France !” Mourad, fils d’ancien combattant et père d’un petit garçon né à Marseille, a traversé la mer Méditerranée huit fois. Dans les deux sens. “On me renvoie toujours en Algérie, mais je reviens. La dernière fois, j’ai payé 7 000 euros le passeur. Comme nous tous, ici.” À sa gauche, un jeune homme en survêtement de l’OM finit son bol de cornflakes. “Moi, j’ai payé 10 000”, avance-t-il. L’échange crée un attroupement dans le couloir. Au centre : la sénatrice (PS) des Bouches-du-Rhône Marie-Arlette Carlotti, et son homologue du Vaucluse Lucien Stanzione, ont choisi ce lundi matin pour exercer leur droit de visite au centre de rétention administrative (CRA) du Canet, à Marseille. Nous avons pu effectuer une visite des lieux à leurs côtés.

Le CRA a tout l’air d’une prison comme les autres, mais les 91 hommes qui y sont actuellement retenus ne purgent pas de peine. En l’absence de papiers en règle, ils sont sous le coup d’une mesure d’éloignement. La durée d’un séjour au CRA peut être de 48 heures seulement, en cas d’expulsion imminente. Elle est plus souvent étalée sur 30 jours et peut être prolongée d’abord jusqu’à 60 jours, ensuite jusqu’à 90 jours maximum. En pratique, “la durée moyenne au CRA du Canet est de 30 jours” explique Laurène Capelle, cheffe d’état-major de la direction zonale de la police aux frontières (DZPAF) Sud.

Dans les zones d’attente comme celle de Marignane, les personnes sont directement interpelées à la descente de l’avion. Dans un CRA, “elles se trouvent déjà sur le territoire français”, déroule Laurène Capelle. En discutant avec de nombreux retenus, nous comprenons que certains vivent là, à Marseille, Nice ou Toulon, depuis de nombreuses années. Et si Mourad, son collègue en survêtement olympique et la totalité des 91 retenus sont privés de liberté en attendant leur expulsion, c’est à cause de leur profil “TOP”. TOP, pour “troubles à l’ordre public”, expliquent les policiers qui accompagnent notre visite. “Nous avons désormais comme consigne de placer en rétention les personnes qui ont un passé judiciaire. Sur l’ensemble des retenus, 60% viennent ici directement après une peine de prison”, précise la cheffe d’état-major.

Après une garde à vue ou un contrôle dans la rue

D’autres sont placés ici après une simple garde à vue. “Parfois, l’éloignement [du territoire français] est privilégié à la sanction pénale”, précise un policier. C’est ce qui est arrivé à Mourad. Arrêté pour conduite sans permis tandis qu’il livrait en scooter pour Uber, il a été placé en garde à vue, puis ici. Pour la troisième fois. L’homme en bleu à ses côtés est aussi algérien. Après avoir purgé une peine à la prison de Salon-de-Provence, il a été directement transféré au CRA. “Je ne sais pas pourquoi, je n’ai pas d’avocat”, se plaint-il. Les deux élus en visite posent de nombreuses questions pour préparer au mieux les débats sur le projet de loi “asile et immigration”, bientôt débattu au Sénat. “Ce qui choque, c’est la diversité des situations. Entre le simple contrôle routier, le trafiquant de drogue et le radicalisé… C’est absurde, et cela ressemble à une prison, non ?”, interroge Marie-Arlette Carlotti.

Le sentiment d’injustice et la confusion dominent dans les esprits. “Pourquoi on est encore en prison alors qu’on a déjà fait notre peine ?”, demande un homme. “Je n’ai pas d’avocat, est-ce que vous pouvez m’aider ?”, nous interpelle un autre. “Je sortais tranquillement de la boucherie où je travaille, je tombe sur un contrôle d’identité et voilà ! Vous trouvez que c’est normal, alors que j’ai rien fait ?”, gémit un troisième, en montrant ses poignets abîmés par les menottes. En théorie, les étrangers retenus au CRA peuvent se rendre quand ils le souhaitent à la permanence de Forum Réfugiés, association mandatée pour fournir un accompagnement juridique. En pratique, ce n’est pas si simple. Lors de la dernière visite du contrôleur général de lieux de privation de liberté (CGLPL) en 2014, celui-ci notait qu’à cause des effectifs “réduits”, les policiers se trouvaient parfois dans l’“impossibilité” d’accompagner les retenus à la permanence.

En 2014, le contrôleur ajoutait que le document qui informe les retenus de leurs droits à leur arrivée n’était “pas systématiquement remis”. Et que “le recours aux interprètes [paraissait] inexistant”. Sur ce point, la situation n’a pas changé. “Nous n’avons pas d’interprète. Mais nous faisons en sorte qu’il y ait toujours au moins un arabophone dans chaque brigade”, veut rassurer un policier. Ils sont 150 fonctionnaires à se relayer de jour et de nuit au Canet. Lors de cette visite surprise, l’échange semble être plutôt courtois entre policiers et retenus. “Il y a des gentils policiers, il y a des méchants ! Mais là, c’est aussi parce que vous êtes là”, glisse un jeune homme enfermé.

Sahara sur les murs

Sur les cinq unités que comporte le CRA, nous avons pu en visiter deux. Chacune prend la forme d’un “peigne” : un long couloir qui se termine en impasse et qui déploie les chambres de chaque côté. Le premier peigne que nous avons vu abritait des chambres individuelles. Dans le second, à l’étage, les retenus invitent immédiatement à voir les leurs : des dortoirs de deux, quatre, six lits, parfois reliés entre eux. Ils sont inondés de soleil et les fenêtres ne permettent qu’une très mince ouverture. Entre les lits, les tables de nuit ne comportent quasiment pas d’effets personnels, seulement des bouteilles d’eau vides, du pain, de l’essuie-tout. Dans les toilettes communes, l’odeur d’urine supplante celle de la javel.

En journée, les retenus déambulent dans leur couloir sans issue ou dans leur petite cour. On peut y apercevoir le ciel entre plusieurs couches de barbelés. Parfois, ils peuvent jouer au ballon. Pour les autres “loisirs”, direction la salle d’activités. Lors d’un atelier peinture, les retenus ont dessiné des paysages sur les murs. L’un d’eux rappelle le désert du Sahara. Accroché juste à côté, un document déroule les principes de “l’aide au retour”.

Le CRA dispose aussi de salles TV. “Un jour, un homme a avalé les piles de la télécommande. Les autres lui en ont voulu parce qu’ils ne pouvaient plus allumer la télévision. Je ne vous dis pas les conséquences que ça a, un acte comme ça”, souffle l’une des deux infirmières du CRA, qui semble épuisée par la “violence” de ce quotidien. “Depuis qu’on accueille des sortants de prison, on a beaucoup plus d’agressivité qu’avant. Il y a plus de problèmes d’addiction. Parmi ceux qu’on reçoit ici, certains sont souvent en état de manque et ils n’ont pas l’habitude”, ajoute l’infirmière. Devant la porte de son bureau, un papier indique que le CRA ne délivre ni Tramadol, ni Lyrica, des médicaments aux effets euphorisants détournés comme stupéfiants.

Le bureau du greffe vient clore la visite. Quatre tableaux blancs, au mur, indiquent la situation du CRA en temps réel. Sur les 136 lits, 37 ne sont pas opérationnels “à cause des vitres cassées ou de problèmes de tuyauterie, précise un fonctionnaire. Et sur les 99 lits restants, on est complets.” Car les huit lits vacants le jour de notre visite sont déjà “réservés” pour des hommes dont la sortie de prison est imminente. Concernant les nationalités, la masse de “TUN” et de “DZ” marqués aux tableaux révèle que plus des trois quarts des retenus sont originaires de Tunisie et d’Algérie.

Pourtant, ces derniers sont souvent enfermés alors même que leurs expulsions sont impossibles. Depuis 2021, comme l’a révélé notre partenaire Médiapart, l’Algérie refuse les retours forcés. La tension est même montée d’un cran en février dernier, depuis que la France a accordé une “protection” à une militante ayant fui l’Algérie. Si aucune expulsion n’est programmée au terme de la rétention, quelles perspectives ? Réponse de la cheffe d’état-major Laurène Capelle : “Ils sont assignés à résidence en attendant qu’un retour soit possible. S’ils ne respectent pas cette assignation, ils sont de nouveau passibles d’une infraction pénale et retournent dans le circuit judiciaire.” Et peuvent donc être placés en prison, puis au CRA. Et ainsi de suite.

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Commentaires

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  1. mrmiolito mrmiolito

    Merci pour cette enquête, et ces lieux que nous ne voulons habituellement pas voir. Cela me semble d’utilité publique !
    Il est intéressant de savoir que certains sont prêts à payer 10 000 € pour quitter l’Algérie ! Un régime sans doute plus répressif et plus autoritaire que l’idée qu’on s’en fait en France…

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  2. julijo julijo

    oui, c’est sur qu’on ne veut pas voir.
    c’est glaçant. complètement incohérent administrativement, c’est le moins. après il apparait plus généralement, que la France est de moins en moins le pays des droits de l’homme. ça se vérifie.

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    • Philippe 20270 Philippe 20270

      N’exagérons rien. La France n’ est que le pays de la déclaration des DH. C’est celui aussi de la collaboration en 1940 d’une très grande partie de la population. Comme beaucoup de mon âge j’ai été biberonné à la « Bataille du Rail ». Pour découvrir la réalité quand la SNCF a voulu vendre ses TGV aux Etats-Unis…

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  3. kukulkan kukulkan

    ces CRA devraient être fermés on ne devrait pas pouvoir séquestrer des gens sans qu’ils aient été condamnés… la France déraille totalement ! tout ça provient de l’affaire d’Arenc, une histoire déjà marseillaise…

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