Noailles, Les Crottes, Le Canet : géographie des livreurs marseillais
En quelques années, plusieurs milliers de Marseillais ont enfourché le vélo ou le scooter pour gagner leur vie. Marsactu a tenté d'analyser le registre d'immatriculation des livreurs. Un exercice complexe qui montre la concentration de cette activité dans les quartiers populaires.
Un livreur en route pour livrer une commande à Marseille, en mars 2023. (Photo : CMB)
Une lame de fond, qui s’est levée depuis 2016, pour atteindre des sommets en mai 2021, lors de la réouverture des restaurants. Repérables à leurs sacs à dos isotherme, des milliers de livreurs sillonnent Marseille au quotidien, en vélo ou en scooter. Combien sont ces travailleurs ubérisés, selon la formule consacrée ? Les services fiscaux eux-mêmes commencent seulement à saisir l’ampleur de la vague, grâce aux listings transmis par les plateformes : en 2021, au niveau national, près de 121 000 livreurs auraient été actifs, dont près de 40 % n’avaient à l’origine pas déclaré le chiffre d’affaires de leur micro-entreprise.
De fait, ce sont les plateformes qui disposent des données les plus fiables, pour leurs propres utilisateurs. Au niveau national, Uber eats, la plus importante d’entre elles, revendique 65 000 livreurs. 92 % sont des hommes, plus de la moitié des jeunes de moins de 25 ans. Ils effectuent en moyenne une vingtaine d’heures de travail par semaine.
Dans ce contexte, dessiner le profil plus local des livreurs marseillais relève de la gageure. Pour cela, nous nous sommes appuyés, avec les journaux du collectif Data+local (voir notre encadré sur les coulisses de cette enquête au bas de l’article), sur les données du Système national d’identification et du répertoire des entreprises et de leurs établissements (Sirene). Pour ouvrir un compte sur une plateforme, chaque livreur doit en effet créer une micro-entreprise, avec son nom et une adresse de domiciliation de la société.
Les quartiers populaires surreprésentés
Cette méthode comporte tout de même un angle mort : elle ne permet cependant pas de contourner la fraude massive que montre par ailleurs notre enquête. Parmi les 9187 micro-entreprises actives à Marseille dans ce secteur d’activité, plusieurs milliers sont en effet vraisemblablement le support de faux comptes, loués ou vendus à des travailleurs sans titre de séjour. À partir de là, ni le nom, ni l’adresse ne sont représentatives. Ces établissements fantômes sont notamment repérables au grand nombre de créations simultanées à une même adresse. Nous les avons donc retirés de notre analyse. Nous avons fait de même pour les structures telles que le CCAS, qui servent parfois de domiciliation aux travailleurs les plus précaires ne disposant pas d’une adresse propre.
À cela s’ajoute une autre limite : derrière une micro-entreprise en apparence active, rien ne garantit qu’un livreur soit réellement actif, les déclarations de fermeture n’étant pas systématiques.
Plus qu’une photographie exhaustive des livreurs marseillais à l’instant t, c’est donc une analyse approchée du développement cumulé de la partie légale de cette activité que nous vous proposons. Malgré ce périmètre réduit, les résultats sont tout de même instructifs. Ainsi, 80 % des livreurs immatriculés sont concentrés dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), qui ne regroupent que 30 % de la population de Marseille.
À Noailles, aux Crottes, au Canet, à Belsunce ou encore à Saint-Lazare, le nombre d’autoentrepreneurs actifs dans le secteur équivaut ainsi à plus de 3 % de la population de 15 à 64 ans, contre une moyenne de 1,2 %. Ce constat est cohérent avec l’analyse du cabinet Compas menée à l’échelle nationale. La part des livreurs résidant dans les QPV est cinq fois plus élevée que celle de l’ensemble des travailleurs. Des quartiers plus prospères de centre-ville tels que Cinq-Avenues ou Préfecture affichent aussi un taux important.
Pas un mais plusieurs profils
Cette analyse quantitative ne dessine cependant pas le profil des livreurs déclarés, mais celui des quartiers où ils vivent, ou en tout cas où ils ont immatriculé leur micro-entreprise. Pour Kenshin Nakano, doctorant en sociologie à l’université Aix-Marseille qui a rencontré de nombreux livreurs, principalement à Lyon et Rennes, les profils sont en fait variés. “Il y a tout d’abord ce que j’appellerais les “amateurs”, pour qui il s’agit d’un complément de salaire. Chacun fixe un peu ce qu’il a envie d’avoir – 500, 600, 800 euros – en travaillant régulièrement dans la semaine, trois ou quatre soirs. Ce sont des étudiants, mais aussi des salariés qui complètent leurs revenus de cette manière. Et puis il y a les “professionnels”, ceux qui en font leur activité principale.” Selon Uber eats, 70 % des livreurs cumuleraient cette activité avec une autre source de revenus.
Parmi les livreurs à temps plein, outre les personnes en situation administrative irrégulière qui trouvent là un moyen de travailler via des comptes loués ou achetés, c’est souvent la possibilité de gagner plus en travaillant plus qui ressort de ses entretiens. “Ils comparent avec le salaire qu’ils peuvent espérer avoir à la place, avec leur âge et leur qualification, en fonction aussi des contraintes familiales et conjugales”, éclaire-t-il.
Dans notre base de données marseillaise, le seul élément personnel dont nous disposons est le prénom. Bien moins précis qu’une conversation pour saisir un parcours et des aspirations, cette donnée peut cependant se montrer très révélatrice sociologiquement parlant, à l’échelle de plusieurs milliers de personnes. Le prénom numéro 1 chez les livreurs déclarés est ainsi Mohamed, suivi par Ahmed, Mehdi, Karim et Sofiane.
Commentaires
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Si vous envoyez un jeune, plus jeune que les précités, dans un ”climat” de pauvreté extrême dans une cité délabrée, sans parents, décrocheurs du collège ou du lycée vous avez le profil des jeunes qui se tuent à la Castellas et font charbonniers.
C’est vrai que la CRS ne pourra rien y faire.
L’indignation est mauvaise conseillère, mais cela ne fera pas revenir les Jeunes tués…! Le capitalisme y est pour quelque chose…!!!
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Honte aux gouvernements qui ont autorisé ce système et honte aux bourgeois du centre ville qui participent à cette exploitation. Airbnb/UBER/Deliveroo hors de nos rues…
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Au fait, qui a agi en lobbyiste d’Uber pour faire disparaître de la législation et la réglementation françaises les timides garde-fous qui y existaient et pour qu’on ferme les yeux sur les nombreuses illégalités commises ? Un dénommé Emmanuel Macron, c’est abondamment documenté par une commission d’enquête sur l’affaire dite “Uber files”. Le témoignage de celui qui était alors le lobbyiste en chef d’Uber, est abondamment cité dans l’article de Mediapart “Uber files : une audition accablante pour Emmanuel Macron” paru le 27 mars. Mais de même qu’il s’indigne quand on parle de violences policières ou d’arrestations arbitraires, il s’offusquera qu’on l’appelle par son nom d’émanation directe des grands esclavagistes modernes, ça fait mieux de dire starteupeu néchonne.
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