Lionel Guedj, portrait à la barre d’un dentiste obsédé par l’argent
Au procès du dentiste de Saint-Antoine accusé de mutilation sur ses patients, les débats dessinent une personnalité aveuglée par la cupidité. Engagé dans une frénésie de soins pour engranger un maximum de gains.
Lionel Guedj et son père Carnot arrivent au Tribunal, lors du procès en première instance. (Photo C.By.)
Lionel Guedj est un homme pressé. La première semaine du procès de ce dentiste accusé, avec son père Carnot, de violences ayant entraîné des mutilations sur leurs patients a décortiqué un système quasi industriel. Avec comme ressorts cruciaux deux paramètres : le temps et l’argent. Dès 2005, tout juste thésard, le dentiste n’a pas de temps à perdre. À la barre, l’adjudant-cheffe Carole Bassompierre, la directrice d’enquête, décrit un homme “qui court, qui court, qui court et veut tout faire vite”. Pressé d’en finir avec les dents qu’il taille en quinze minutes chrono quand ses confrères y passent trois fois plus de temps. Pressé “d’exister”, résume celui qui est entré dans la profession pour marcher dans les pas de son père. Pressé d’amasser de l’argent, aussi.
Chiffres vertigineux
Après l’étude de la personnalité du principal prévenu et des faits qui lui sont reprochés, ce qui étonne le plus, ce sont bien les rouages de “l’engrenage” dans lequel il dit s’être enfermé. Jusqu’à sa mise en examen fin 2012, l’homme pressé accumule les chiffres vertigineux : il accueille jusqu’à 70 patients par jour toutes les 10 minutes, pose 25 fois plus de couronnes que la moyenne des praticiens du département, aligne des honoraires 14 fois plus élevés que ses confrères. Sur un ton souvent arrogant, dans une avalanche de mots qu’il a parfois du mal à canaliser, il se décrit comme un bourreau de travail. Mais ne livre jamais la raison de ces journées stakhanovistes qui s’étirent de 6h à 19h30.
“Cet empressement à faire du client (…) c’est la diligence qui écarte des règles de l’art”
Michel Sastre, procureur
“Vous brûliez les étapes”, constate Kamel Touhlali, avocat de plusieurs victimes. “Cet empressement à faire du client (…) c’est la diligence qui écarte des règles de l’art”, pique de son côté le procureur Michel Sastre. Car pour Lionel Guedj, comme le veut l’adage populaire, le temps vaut de l’argent. Il le reconnaît, il veut bien gagner sa vie. En cinq ans d’exercice, son chiffre d’affaires devient exponentiel. Jusqu’à flirter avec trois millions d’euros annuel en 2010 – le plus important de le région cette année-là – quand le dentiste qui partage son cabinet réalise quatre fois moins sur la même période.
Piqûres d’EPO
Dans le même temps, Lionel Guedj investit. Au tribunal, il détaille avec une gourmandise presqu’enfantine les gadgets high tech dont il équipe son cabinet de Saint-Antoine. Le fauteuil dernier cri avec bras motorisé. La porte qui s’ouvre en passant la main devant un détecteur. Ses investissements fleurissent aussi hors de la sphère professionnelle. Est-ce là le nœud de cette affaire ? Il l’a raconté dès le premier jour d’audience. Quand, à l’automne 2005, le jeune diplômé se découvre atteint d’un cancer – un lymphome de Hodgkin de stade IV – il reconnaît entrer dans une “frénésie”. Il ne s’arrête pas de travailler durant son traitement, au contraire, il se fait prescrire des piqûres d’EPO pour tenir le rythme. “Pourquoi ?”, interroge le tribunal médusé. Pour protéger sa famille, autant que “pour prendre une revanche sur la vie”, assure l’accusé.
Lionel Guedj et son épouse Emmanuelle acquièrent, entre autres, un immeuble de 59 appartements à Perpignan, des biens à Éguilles, un appartement à Megève, une Aston Martin et un Porsche Cayenne en leasing ou un yacht de 15 mètres (compter 700 000 euros). Il est aveuglé, perd sa lucidité, analyse-t-il. Veut-il, comme l’affirme un témoin aux enquêteurs abandonner la profession de dentiste “dans les six ans” pour profiter de son argent ? Il certifie que non.
Le rapport à la réussite, à la surface sociale, c’est le fil rouge. Le patient devient une aubaine d’honoraire.
Marc Ceccaldi, avocat de parties civiles
Cette question “du rapport à l’argent” sur laquelle le procureur Michel Sastre revient avec une régularité de coucou suisse est centrale. Gilles Martha, l’avocat de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) ne dit pas autre chose : “Il s’est endetté très jeune et ça l’a obligé à facturer de plus en plus. Il a considéré son métier comme une activité commerciale plutôt que médicale.”
“Le rapport à la réussite, à la surface sociale, c’est le fil rouge, complète Marc Ceccaldi qui accompagne 55 parties civiles. Le patient devient une aubaine d’honoraires.” Il constate que l’accusé privilégie les actes plus rémunérateurs: chez ce dentiste “le ratio d’activité est de 80% de dévitalisation et 20% de soins courants”, soit un rapport inversé par rapport aux autres praticiens. “Est-ce que les dents des habitants des quartiers Nord ont un particularisme, une anatomie différente ?”, interpelle l’avocat, avec un rien de provoc’.
Courtier, mutuelle et remboursements
Évidemment, non. En revanche, ces Marseillais ont comme les autres besoin d’une couverture sociale pour les aider à régler leurs frais dentaires, souvent exorbitants. Là encore, le chirurgien-dentiste fait montre d’une efficacité redoutable. Il s’associe avec un courtier en assurances pour faire bénéficier sa patientèle d’excellents remboursements. “J’allais au cabinet prendre contact avec les personnes. Je les rencontrais dans le hall. Je leur montrais les produits les plus favorables pour le dentaire”, déroule lors de son audition Nadir Aroudj, qui fut patient du docteur Guedj lorsqu’il était étudiant. Un accord gagnant-gagnant est scellé : le courtier empoche les primes dues aux nouveaux contrats ; le praticien perçoit directement les remboursements des soins réalisés à un rythme hors-norme.
Formule contractuelle visée ? La « Principal 5 renfort B » de la Swiss Life qui propose pour 80 euros mensuels des remboursements à 300% pour le dentaire sur la seule première année. Après quoi, le travail étant effectué, le courtier faisait résilier son contrat à l’assuré. “Lionel Guedj était content car avec ce produit les patients n’avaient rien à payer. Le buzz marketing a marché et mon business également”, résume sans cynisme Nadir Aroudj lorsqu’il est entendu par les gendarmes. Si le dentiste récuse l’idée que le courtier venait démarcher directement dans son cabinet, il ne nie pas la démarche globale : “Le but c’était de faciliter l’accès aux soins de mes patients qui étaient dans un quartier défavorisé. Ça ne pénalisait pas la comptabilité du cabinet, qui je ne le cache pas tournait très bien, que l’argent soit versé [par la mutuelle ndlr] un an ou 18 mois après.” La Swiss Life s’est constituée partie civile.
Du studio à la Ferrari
Dans ses auditions, Mohammed Daher, le prothésiste avec lequel le cabinet Guedj travaillait, se souvient d’un Lionel encore étudiant, avant son installation en 2005 : “Quand j’ai connu Lionel, c’était quelqu’un de simple. Il vivait avec sa femme dans un studio près de la place Castellane. J’ai même payé son frigo”. Bien loin du patrimoine, colossal, estimé à 12,9 millions d’euros au moment de sa mise en examen fin 2012. Et des revenus que le dentiste évalue alors “entre à 68 000 à 80 000 euros mensuels”, rappelle l’adjudant-cheffe Bassompierre.
Ses beaux-parents ont un train de vie extraordinaire, il a voulu se montrer capable de continuer à le donner à sa femme.”
Me Monneret, défense
Pour le prothésiste, “Lionel manque de confiance en lui, il a un complexe”, son ascension est pourtant fulgurante. Au gré d’une dizaine de sociétés diverses (SCI, SELARL, SELARLU…) dont certaines ne servent qu’à l’optimisation fiscale, le praticien spécule. “Je ne vois pas en quoi gagner de l’argent est un crime”, s’irrite-t-il. Ça n’en est pas un, répond la présidente Ballerini qui s’interroge néanmoins sur l’importance et la rapidité de constitution de ce patrimoine. Pour la défense, Frédéric Monneret esquisse une réponse : “Ses beaux-parents ont un train de vie extraordinaire, il a voulu se montrer capable de continuer à le donner à sa femme.”
Son ancien prothésiste, par ailleurs témoin à son mariage, analyse lui aussi : “Lionel voulait payer son mariage tout seul, s’en sortir tout seul. Quand il avait de l’argent, il avait plaisir à s’en vanter.” Le dentiste a vendu sa Ferrarri “parce qu’il avait peur de se faire remarquer dans les quartiers Nord, ça faisait trop de jaloux”, note son ex-ami. Le prévenu s’agace de “cette rancœur” due à une dette de 80 000 euros non réglée entre les deux hommes. “Et lui, il roule en Porsche Carrera et sa femme en BMW”, rétorque-t-il dans une répartie où l’immaturité le dispute à l’aigreur. Cette “battle de la plus belle voiture”, comme s’en agace la présidente Ballerini, paraît bien dérisoire au cœur des débats qui agitent la salle d’audience.
“Intouchable”
Il arrive toutefois que la mécanique de haute précision se grippe. En 2010, la CPAM alertée par la suractivité de Lionel Guedj diligente un premier contrôle. Les comptes de la société civile de moyens (SMC) qui lie le dentiste et son associé au sein du cabinet de Saint-Antoine sont gelés. “Ça me faisait mal au cœur par rapport aux filles [une secrétaire, une assistante dentaire, ndlr] qui faisaient des efforts. [Lionel] tardait à alimenter la SMC. L’une a dû attendre de déposer son chèque de salaire pendant deux mois. À côté, il montrait des photos de sa piscine de 15 mètres”, glisse Benoît Dobbels son ancien partenaire. Loetitia Baldetti était secrétaire. Elle réalisait souvent les radios des patients et parfois des blanchiments dentaires, ce qui est illégal, quand “le manque de temps” ne permettait pas à son patron de les faire. À la barre, elle confirme qu’elle devait parfois patienter pour être payée. “Vous gagniez combien ?”, demande la président Ballerini. “Oh, 1200 ou 1300 euros”, répond l’intéressée alors que le public se hérisse.
De ce patrimoine somptueux, il ne reste rien, jure Lionel Guedj. Les enquêteurs ont suspecté qu’il organisait son insolvabilité en se séparant de biens au profit de sa femme, sans pouvoir le démontrer. Aucune poursuite n’est d’ailleurs engagée sur ce chef, insiste sa défense. Au terme des premiers jours d’audience, la question de la motivation profonde du praticien, à avoir ainsi posé des prothèses à tour de bras sur des dents qui parfois ne le réclamaient pas, reste entière. Avec cette deuxième semaine qui s’ouvre, vient le temps des victimes, appelées à témoigner à la barre de ce qu’elles ont vécu. Certaines auront certainement en tête cette phrase de Mohammed Daher sur Lionel Guedj : “Il gagnait tellement d’argent qu’il se croyait intouchable. Il disait qu’il avait les meilleurs avocats et que rien ne pouvait lui arriver.”
Commentaires
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les enquêteurs ont suspecté qu’il organisait son insolvabilité…
ça je m’en doutais, et dès qu’il le pourra il fuira au soleil à l’abri de l’extradition.
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