L’institut de recherche pour le développement s’englue dans le malaise social

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le 9 Mai 2016
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Avec l'arrivée de son nouveau PDG, Jean-Paul Moatti, l'Institut de recherche pour le développement connaît une réorganisation sans précédent, particulièrement sensible en son siège marseillais. Les syndicats dénoncent un risque grave de troubles psycho-sociaux.

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L'immeuble Sextant, boulevard de Dunkerque, où est installé le siège de l'IRD.

L'immeuble Sextant, boulevard de Dunkerque, où est installé le siège de l'IRD.

L’IRD tremble, l’IRD est malade. Implanté depuis 2008 à Marseille, l’Institut de recherche pour le développement connaît la même chronique du désenchantement que sa ville d’adoption. Le fer de lance de la coopération scientifique française avec les Suds est traversé d’un profond malaise social. Au point qu’en décembre 2015, l’ensemble des syndicats a interpellé la direction pour un “risque grave” faisant état d’une “situation dégradée, portant atteinte à la santé physique et psychologique des agents”. Lors d’une réunion extraordinaire du comité hygiène, sécurité et conditions de travail (CHSCT), ils ont demandé le lancement d’une expertise pour ces risques psycho-sociaux qu’ils estiment avérés. “Je fais des permanences au siège depuis plusieurs mois. Le climat social y est très inquiétant, raconte Delphine Patrel, permanente du syndicat SNTRS-CGT, installée dans l’antenne montpelliéraine de l’IRD. Les gens sont sous pression. Ils posent des jours de congés, des RTT pour pouvoir souffler, quand ce ne sont pas des arrêts maladie. Certains prennent des anti-dépresseurs. Ils sont à bout.”

Un institut méconnu

L’institut de recherche pour le développement (IRD) est un trésor caché de la ville. Sis depuis 2008 dans un immeuble de bureaux au cœur d’Euroméditerranée, Le Sextant, c’est un des seuls organismes nationaux à avoir été décentralisé à Marseille dans le cadre de cette opération d’intérêt national. Avant lui, seul le Centre d’études et de recherche sur les qualifications (CEREQ) avait fait la descente, avec moins de remous.

Outil né durant la colonisation, il a connu une mue profonde en 1984 en devenant un établissement public scientifique et technique (EPST) sous la double tutelle ministérielle des Affaires étrangères et de la Recherche. Le déménagement à Marseille puis la création avortée d’une Agence censée coordonner la recherche scientifique pour le développement sont les derniers soubresauts d’une histoire mouvementée. La désignation du nouveau président a elle-même pris de longs mois avant que le nom de Jean-Paul Moatti sorte du chapeau.

Reprenant une expression attribuée au médecin de prévention, personnels syndiqués et non-syndiqués mettent en cause “une gouvernance pathogène” attribuée au nouveau président directeur général Jean-Paul Moatti et à la réorganisation des services qu’il a entrepris dès son arrivée. Le 11 mars 2015, par voie de décret présidentiel, ce chercheur en économie de la santé a pris la tête d’un mastodonte aux pattes d’argile. Riche d’environ 2000 salariés dont près de 40 % de chercheurs répartis sur tous les continents, l’IRD est exemplaire de la spécificité de la coopération scientifique à la française où le pré carré diplomatique recoupe les liens scientifiques Nord/Sud. Sous la double tutelle des ministères des Affaires étrangères et de la Recherche, l’institut est présent en métropole sur trois sites principaux : Montpellier, Bondy en région parisienne et Marseille où est installé son siège.

“Jean-Pol-Pot”

L’arrivée de Jean-Paul Moatti avait été accueillie avec un certain soulagement par les quelques 200 salariés marseillais. Son prédécesseur, Michel Laurent était très contesté en interne, notamment par un grand nombre de directeurs de laboratoire qui avaient dénoncé sa gouvernance dans une lettre ouverte. Scientifique lui-même, le nouveau PDG ne souffre pas de contestation sur ce point. En revanche, il l’est très clairement sur ses méthodes de management. “Cassant”, “volontiers méprisant”, “à la limite de l’insulte”, “colérique”, voire même “Jean Pol-Pot”, voici en florilège les qualificatifs qui reviennent le plus souvent chez ses détracteurs. Mais au-delà de la personnalité du PDG lui-même, c’est son mode de gouvernance qui est contesté. En attaque d’un récent article que lui consacre la revue scientifique The Lancet, Moatti “le charismatique dirigeant français” l’avoue benoîtement : “C’est mon premier vrai boulot de direction”. Pourtant les reproches qui lui sont faits relèvent rarement du registre des erreurs de débutant.

“Son état de grâce a été très court. À peine quelques mois”, témoignent les élus de la CFDT majoritaire comme de la CGT minoritaire. À son arrivée, Jean-Paul Moatti a volontiers mis en avant sa volonté de dialogue, “de mettre l’humain au centre” si l’on en croit ceux des salariés qui ont assisté à son discours d’arrivée. Or, d’après les syndicats et les salariés dont nous avons pu recueillir le témoignage anonyme, la réorganisation serait très loin de cette humanité tant vantée. “Les annonces de création de postes se font entre deux portes, raconte un salarié du siège, sous couvert d’anonymat. Certains titulaires se retrouvent au placard pour faire de la place à des CDD déjà présents. Et, inversement, des CDD qui étaient là depuis des années apprennent par la bande que leur contrat ne sera pas renouvelé. Cela crée de fortes tensions et une ambiance détestable dans les services”.

Près de 40 % de CDD au siège

C’est l’un des principaux points de fragilité de l’IRD. En 2008, la décision de faire déménager l’organisme de Paris à Marseille a été mal acceptée en interne. Au final, à peine un tiers des salariés du siège ont pris l’autoroute du soleil. Du même coup, l’IRD a dû massivement recruter en externe pour regarnir les services centraux et les fonctions supports qui viennent en appui des équipes de chercheurs détachés de part le monde. Cette précarité structurelle est encore soulignée par le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieure (HCERES) dans un rapport rendu public il y a quelques semaines. “La mise en place d’un véritable plan de résorption des emplois précaires est encouragée”, écrivent les rapporteurs dans leurs recommandations. D’après la CGT, près de 40% des salariés du siège sont toujours aujourd’hui en CDD.

“Mais ce serait une erreur de résumer le malaise en cours à un simple problème de titularisation des CDD, constate le même salarié du siège. Le problème est véritablement la gouvernance du PDG et ce qu’il veut faire de l’institut.” Dès son arrivée, Jean-Paul Moatti a commandé une “mission sur l’organisation et le fonctionnement de l’IRD” réalisée par des “experts externes à l’établissement”. Leurs conclusions rendues publiques en juillet ont servi de feuille de route à Jean-Paul Moatti qui a soumis son projet de réorganisation à son conseil d’administration le 10 du même mois. “L’économie générale [de cette nouvelle gouvernance, ndlr] a fait l’objet d’un vote quasi-unanime”, souligne la direction dans une réponse écrite à nos questions. “Nous avions demandé à notre représentant de nous abstenir, se souvient Odile Fossati, élue CGT et ingénieure de recherche à Montpellier. Les remarques qu’il a relayées pour le syndicat ont été prises en compte lors du conseil d’administration. Il a donc voté pour. Nous nous en sommes mordu les doigts par la suite.”

Le cheval de Troie et les quatre rapporteurs

Présentée comme peu onéreuse car menée par des inspecteurs généraux de la fonction publique, cette mission a été vécue par les syndicats comme un véritable cheval de Troie mis au point par le nouveau PDG. “Très vite, nous nous sommes aperçus que les deux experts mandatés par Jean-Paul Moatti étaient directement intégrés dans l’organigramme à des postes clés”, explique Fabienne Cartieaux, secrétaire générale du STREM-CFDT. Ancien directeur général des services du Finistère après avoir longtemps officié à la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, Bruno Acar a ainsi été mis à disposition de l’IRD dès avril pour coordonner la mission d’expertise avant de s’asseoir dans le siège nouvellement créé de secrétaire général dès le mois de juillet.

Le co-signataire, Henri-Luc Thibault a pris la tête de la direction des relations internationales et européennes quelques semaines plus tard. Quasiment dans la foulée, deux autres experts mandatés en appui des premiers intègrent à leur tour l’IRD à des postes de direction. “Ils se sont attachés à l’IRD, répond Jean-Paul Moatti, lorsqu’il est interpelé par les syndicats, lors du conseil d’administration d’octobre. Ce développement était imprévu. Il m’était toutefois difficile de refuser leur candidature dans le contexte actuel”.

Pas de créneau…

Malgré des demandes d’entretiens réitérées, le PDG de l’IRD n’a pas réussi à trouver le temps de répondre à nos questions dans le temps dévolu à notre enquête. S’il a trouvé un créneau pour La Marseillaise, The Lancet ou le site spécialisée AEF, son agenda était semble-t-il trop chargé, ce que nous comprenons aisément… Le secrétaire général, Bruno Acar, s’est trouvé dans la même situation. Nous avons dû au final nous contenter de réponses écrites très générales à des questions précises.

80 % de l’équipe dirigeante remerciée

“Pour nous, cela pose un évident problème de conflit d’intérêts, analyse Fabienne Cartieaux qui interpelait le président en conseil d’administration. De nombreux salariés se sont confiés très librement lors des entretiens menés par ces experts et ils les retrouvent parfois directement au-dessus d’eux”. Face à ce risque de “confusion des rôles, des statuts et des fonctions” pour reprendre l’expression de la déléguée FSU lors du conseil, Moatti répond que ceux-ci lui paraissent “insignifiants”. Fermez le ban. En février, la saisine du comité consultatif d’éthique et de déontologie ne permettra pas aux syndicats de pousser leur pion plus loin.

Mais, pour certains, ce parachutage de nouvelles têtes est une des marques de fabrique de la gouvernance Moatti. “Dès son arrivée, près de 80 % des membres de l’équipe dirigeante ont été remerciés”, constate l’un des cadres mis sur la touche. 15 cadres supérieurs ont été écartés et, le plus souvent au profit de personnes venues de l’extérieur. “À son arrivée, l’ancien PDG, Michel Laurent, n’avait pas viré tout le monde comme lui l’a fait, remarque un autre cadre, toujours en poste. Mais il venait du sérail et avait eu le temps de constituer son propre réseau en interne”.

Or, plusieurs sources mentionnent le fait que ces personnalités extérieures bénéficient de “détachement” sur contrats avec des rémunérations prises en charge par l’IRD à des montants bien supérieurs que ceux pratiqués en interne jusque-là. “C’est open bar”, sourit un cadre du siège. Du côté de la direction, on revendique cette nécessaire “exogamie” et souligne : “Les nouveaux postes de directeurs ont été pourvus par des fonctionnaires de l’État ou d’établissements publics dont les rémunérations sont encadrés par les règles régissant leur corps d’origine”.

Une expertise accompagnée par la direction

Mais c’est aux échelons extérieurs que la réorganisation est vécue la plus douloureusement. Là où les CDD sont les plus nombreux avec l’impression d’une opacité voulue. “Rien n’est transparent, soutient Delphine Patrel, permanente CGT. Cette ambiance délétère est liée pour partie au management avec mise en concurrence permanente entre les agents”. C’est ce qui a décidé les syndicats à demander la mise en place d’une expertise extérieure “pour risque grave” lors du CHSCT extraordinaire de décembre. Le même vote unanime des membres du CHSCT est encore intervenu en février. Mais, entre temps, le débat entre syndicats et direction s’est enlisé dans des questions juridiques insolubles sur le mode de désignation du cabinet (lire ci-contre).

Au rabais ?

En décembre, les élus du CHSCT ont décidé de choisir le cabinet Catéis, expert agréé par le ministère du travail. Mais ce choix a donné lieu a un long débat juridique avec la direction. En effet, pour cette dernière représentée par Bruno Acar au sein du CHSCT, le choix du cabinet devait obligatoirement passer par une procédure d’appel d’offres. Une procédure contestée par la CGT qui estime pour sa part que ce choix n’entre pas dans le champ de la commande publique. Au final, c’est une procédure intermédiaire, un marché à bon de commande, qui a été choisie. Problème, elle limite le montant dévolu à l’expertise à 25 000 euros, ce qui fait craindre aux syndicats “une expertise au rabais”.

“Au final, le cabinet choisi va mener une expertise par voie de questionnaire, reprend Delphine Patrel. Or, cela pose un vrai biais méthodologique puisque nous avons nous-mêmes interrogé les salariés par ce même mode, il y a quelques mois. Comment Catéis peut-il espérer avoir 75 % de réponses dans ce cadre ? Et comment peut-il mener une enquête sur trois sites avec seulement 25 000 euros de budget ?” Résultat, le cabinet d’expertise a démarré son travail quasiment en catimini. Et depuis lors, la direction reprend à son compte le processus en cours : “Sur la base du travail réalisé sur ce sujet et des propositions du cabinet attendues d’ici l’été, la direction proposera un plan de prévention des risques professionnels, écrit-elle par mail. Bien consciente de l’importance du chantier, de l’impact sur la situation individuelle des agents, l’accompagnement au changement est un élément fort du projet d’établissement porté par la nouvelle équipe”.

“Risque grave” d’une part contre “accompagnement au changement” de l’autre, le dialogue social tourne au choc sémantique. Et les représentants syndicaux se réservent le droit d’attaquer devant le tribunal de grande instance le mode de désignation du cabinet Catéis. “Et puis à quoi ça sert de nous faire une expertise après coup ?, s’interroge une CDD. La réorganisation des services est déjà réalisée et on va nous interroger sur ses effets, plusieurs mois après…” Leur situation est d’autant plus délicate que la direction a ouvert plus d’une quarantaine de postes en 2016 et 2017. “Un effort sans précédent de la nouvelle gouvernance, particulièrement significatif dans le contexte budgétaire actuel du secteur public, pour ouvrir des perspectives à des personnes exerçant des fonctions indispensables au bon fonctionnement de l’établissement”, s’honore la direction. La stratégie de la carotte et du bâton, répondent les syndicats. À l’IRD, le dialogue social semble être un sujet de recherche toujours en développement.

Actualisation : La réponse de la direction de l’IRD est lisible sous le lien ci-dessous : 

La réponse de la direction de l’IRD

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Commentaires

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  1. JL41 JL41

    Dans sa définition, l’IRD (Institut de recherche pour le développement) constitue un organisme intéressant, destiné à promouvoir un développement autochtone dans les pays où il est présent, grâce au potentiel de recherche, d’expérimentation et de formation disponible dans les pays développés, comme en France qui subventionne cet institut.

    C’est vrai qu’on ne sait pas trop ce que fait cet institut, mais on trouve pas mal de choses en faisant une recherche sur l’actualité, ainsi que sur le site de l’institut lui-même : https://www.ird.fr/
    Les effectifs sont de l’ordre de 2 200 personnes et le budget se compose d’une subvention de 201 millions d’€ en 2016 et de 20 à 25 millions d’€ de contrats directs.
    Dans une recherche sur l’actualité de l’IRD, on trouve en tête des recherches abouties sur les vecteurs de la dengue, du chikungunya ou du zika. Mais nous avons mis bien longtemps pour aboutir à ces résultats qui intéressent aussi la métropole.

    On nous dit que « Le fer de lance de la coopération scientifique française avec les Suds est traversé d’un profond malaise social ». L’article de Marsactu parle beaucoup des emplois précaires, mais peut-être aussi s’imposait-il une redéfinition des objectifs de ce « fer de lance », appuyé sur un budget de 220 millions d’€ ?

    C’est dommage que le grand public ne soit pas davantage informé des activités de cet institut et que les journalistes et un public plus averti ne soient pas informés des évaluations qui accompagnent le fonctionnement d’un tel institut.

    On nous dit que « Dès son arrivée, Jean-Paul Moatti a commandé une « mission sur l’organisation et le fonctionnement de l’IRD » réalisée par des « experts externes à l’établissement ». N’y a-t-il pas de lien vers ce rapport ? Sa lecture nous permettrait de juger de la nouvelle organisation mise en place, peut-être d’une certaine restauration de l’efficacité de l’institut et de son adaptation aux problèmes générés par des évolutions parfois plus rapides que les recherches menées ?

    Un bilan social élogieux est également évoqué, mais a-t-on un lien vers lui ? « Bilan social 2014 de l’Institut qui est désormais à votre disposition et dont il faut souligner la qualité et l’intérêt exceptionnels unanimement reconnus par les membres tant du CTEP que du CA. »

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