Les vendeurs à la sauvette du boulevard Gèze poussent la porte de leur futur marché couvert
L'association Amelior fait découvrir l'entrepôt qui doit accueillir d'ici quelques mois les biffins du boulevard Capitaine-Gèze, plus grand marché informel de France. Une électricité en partie sabotée et un budget tout juste amorcé retardent l'ouverture, mais les porteurs du projet restent déterminés.
Des étals du marché à la sauvette le long du boulevard Capitaine-Gèze. (Photo : Lyssia Gingins)
Au volant de sa Kangoo rouge flamboyante, Mariame Castella se dirige, en cette matinée du 16 novembre, vers les anciens entrepôts Casino, en face de la station de métro Gèze. En passant l’avenue Cap-Pinède, elle klaxonne, toute souriante, en saluant deux biffins, les vendeurs à la sauvette de ce qu’on qualifie souvent de “plus grand marché informel de France”.
Devant ce bâtiment qui appartient à la Ville, Mariame retrouve Samuel Le Cœur, directeur d’Amelior, l’association qui porte une démarche de normalisation de l’activité des biffins. La convention d’occupation d’une durée de trois ans, votée par la municipalité à la mi-septembre, a été signée le 2 novembre. 2500 mètres carrés pour la partie marchande. Les 1000 mètres carrés restants serviront à la ressourcerie qui, dans un premier temps, permettra de recycler les dépôts sauvages qui encombrent aujourd’hui les abords de la station de métro Gèze.
Une forte inclusion sociale à la clé
“On a nettoyé vingt-trois ans de poussière”, indique le directeur, accompagné d’Alfred Ferné, dit Fred, responsable du futur marché, tout en ouvrant les grandes portes du bâtiment. Mariame se presse derrière eux et découvre l’énorme entrepôt qui, d’ici à quelques mois, deviendra du mardi au dimanche, de 6 heures à 13 heures, l’espace de vente des biffins.
“C’est gentil ce qu’ils font, c’est mieux pour la santé que ces rues sales, et puis je ne suis plus assez jeune pour courir quand la police débarque”, commente-t-elle. Il y a vingt ans, Mariame tenait un bar avant de faire faillite. “Dieu merci, je viens de finir de payer. Grâce aux puces”. Parce que depuis des lustres, chaque week-end, elle occupe les trottoirs de l’avenue du Cap-Pinède. Elle arrive la veille, ne repart que le dimanche soir, et dort dans sa voiture pour s’assurer de ne pas avoir à “se battre pour avoir une place”.
L’objectif premier d’Amelior est d’offrir un cadre légal et sécurisé, ainsi qu’un espace de stockage pour ces vendeurs. À terme, l’association affiche sa volonté de les accompagner socialement et administrativement. “Centraliser est plus que nécessaire et c’est la première étape. Plus tard, l’idée serait de décentraliser en créant une coopérative qui, par le biais de baux sociaux, permettrait à des vendeurs légalisés d’ouvrir un petit commerce”, ambitionne le directeur d’un ton enthousiaste.
Une organisation de l’espace peaufinée
300 biffins ont déjà adhéré à l’association. En revanche, pour des raisons de sécurité, la partie marchande ne peut accueillir que 200 vendeurs à la fois. Ils sont parfois jusqu’à 800 les jours de week-end à s’étaler sur l’avenue Cap-Pinède. Les membres d’Amelior l’ont bien en tête, mais Samuel Le Cœur se montre confiant : “Dans un cadre légalisé, on s’attend à ce qu’ils gagnent plus d’argent et qu’ils n’aient plus besoin de vendre aussi souvent. Nous pourrons ainsi organiser des roulements afin que le marché aux puces [sur les trottoirs, ndlr] se désengorge progressivement.”
En plus du marché, “Fred” dévoile d’autres perspectives d’activités. “On veut monter un atelier de réparation de vélos avec un vendeur”, explique-t-il en indiquant sur la carte l’endroit où la boutique est imaginée. Il aimerait aussi voir émerger un atelier pour “réparer les appareils électroménagers à destination des personnes qui ont peu de moyens”.
L’association coupée dans son élan
Avant toute chose, le bâtiment nécessite une remise aux normes. En récupérant les clés auprès de la Ville propriétaire, les membres d’Amelior ont découvert que les câbles électriques avaient été coupés. L’arrière de l’entrepôt est depuis plongé dans l’obscurité. “Tiens Samuel, je te confie le flambeau”, plaisante Alfred Ferné en lui tendant sa lampe torche pour la suite de la visite. Le directeur, visiblement embêté, admet : “Une première permanence avec des biffins est prévue la semaine prochaine, mais les accueillir sans électricité… Ils travaillent déjà dans des conditions indignes, c’était le minimum de ce qu’ils pouvaient attendre de nous.”
Il se poste ensuite devant les quais de débarquement situés au fond du bâtiment. “Le nerf de la guerre !”. En parallèle des biffins, un projet de ressourcerie et de vente à la tonne doit en effet voir le jour. “On a déjà plein d’industriels intéressés par le textile, la ferraille ou le papier”, souligne le directeur. Mais tant que le problème de l’électricité n’est pas réglé, l’association ne peut réellement lancer les démarches de partenariat.
Un projet “tout juste” amorcé
Amelior est aussi en discussions avec la métropole – qui assure la collecte des déchets – afin de faire financer les tonnages de matières triées. Samuel Le Cœur se réjouit qu’autant d’acteurs soient mobilisés autour de ce projet. “Il leur faut tout le soutien du monde à ces gens-là”, appuie-t-il. En plus du lieu et des 20 000 euros accordés par la Ville, Euroméditerranée – l’aménageur public engagé dans des travaux de rénovation du quartier – doit verser 20 000 euros pour la gestion des déchets de l’avenue Cap-Pinède.
“Ce budget est une amorce. Nous venons tout juste de serrer la main à la Ville, on peut maintenant concrétiser nos recherches de fonds”, annonce le directeur. D’ici à courant 2025, il espère pouvoir récolter 800 000 euros de la part de financeurs privés tels que la CMA-CGM, ou publics tels que la RTM, l’agence de la transition écologique, ou encore le fonds vert du gouvernement.
Une ouverture au 1er mars 2024
Une fois la visite terminée, Mariame retrouve à la sortie son amie Souâd. Coiffée d’un élégant turban argenté, elle raconte vendre au marché des biffins depuis quelques années ce qu’elle peut récupérer de sa famille ou de ses amis. “Quand j’ai du temps, je fais aussi des gâteaux, je suis pâtissière de métier”, glisse-t-elle fièrement. “C’est surtout elle qui nous a fait connaître parmi les vendeurs !”, l’introduit le directeur en la saluant chaleureusement.
Avant d’énoncer les prochaines étapes : un nouvel employé fin décembre pour l’organisation de la recyclerie, puis la création autour de janvier de premiers stands à l’extérieur de l’entrepôt “qui créera une visibilité au projet” pour les habitués du marché. Il vise une ouverture officielle à la date symbolique du 1er mars, journée internationale des recycleurs et des récupérateurs.
Commentaires
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“Les vendeurs à la sauvette”…
Beaucoup de choses “tombées du camion”, ce n’est pas en vendant des haillons que ces gens peuvent gagner leur vie. D’ailleurs ils ne sont certainement pas déclarés.
Une honte en France contemporaine, cet endroit. Je n’en veux pas à ces gens mais aux conditions qui font qu’on en est là.
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Je ne suis pas certain que tous les vendeurs à la sauvette soient des victimes du système. Il faudrait remonter des filières qui constituent de vraies économies parallèles
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Pendant ce temps, Euroméditerranée continue à transformer un quartier doté d’une forte histoire industrielle (qui créait beaucoup d’emplois qualifiés) en un gigantesque marché de la promotion immobilière et commerciale …
Cherchez l’erreur.
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Le Grand Bazar de l’Hotel de Ville Marseillais .
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