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Dispersion des migrants de Calais : la justice rencontre Ubu

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le 4 Déc 2015
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Il y a un mois 38 migrants arrivaient de Calais pour être placés en rétention à Marseille. Libérés dans la foulée, ils sont repartis là-bas. Ce jeudi, la justice examinait tout de même les recours demandant leur libération alors qu'un rapport officiel dénonce cette politique de dispersion.

Dispersion des migrants de Calais : la justice rencontre Ubu
Dispersion des migrants de Calais : la justice rencontre Ubu

Dispersion des migrants de Calais : la justice rencontre Ubu

Ils sont déjà bien loin d’ici, pour la plupart de retour à Calais pour espérer passer en Angleterre. Mais ce jeudi la justice marseillaise examinait les cas de 38 migrants, en leur absence. À l’ordre du jour du tribunal administratif ce matin, s’enchaînent autant de recours pour annuler des procédures d’expulsion. Elles concernent des migrants qui ont séjourné durant cinq jours seulement au centre de rétention du Canet.

Ils étaient les premiers passagers du système surnommé “Air Sans pap” à destination de Marseille, le 26 octobre. Contrôlés en situation irrégulière à proximité de la frontière britannique, plusieurs centaines de migrants ont été envoyés depuis Calais dans des avions affrétés pour l’occasion en direction de différents centres de rétention partout en France. Ils sont Syriens, Afghans, Érythréens, Soudanais ou encore Ukrainiens. Tous ont été relâchés au bout de quelques jours pour nullité de procédure ou absence de demande de prolongation de leur mise en rétention.

Ce n’est qu’un mois après que refont surface les recours que l’association Forum réfugiés avait déposé en leurs noms, à leur arrivée et qui auraient dû être audiencés dans les 72 heures. L’objectif était d’annuler la procédure d’expulsion à leur encontre et donc leur permettre d’être libérés. Pour ces 38 là, Marseille ne doit plus être qu’un lointain souvenir. Dès leur libération, tous – hormis deux qui ont été renvoyés vers l’Italie – ont repris le chemin du Nord. Si la volonté de l’État était de vider la “jungle” de Calais, le stratagème ne porte pas vraiment ses fruits.

“Éloignement d’une partie du territoire”

Mais ce matin, leurs avocats n’ont pas renoncé à défendre leur client pour faire entendre leurs arguments sur la “situation exceptionnelle” à laquelle ont été confrontés ces 38 migrants ainsi que tout ceux qui les ont suivis. C’est donc une dizaine de robes noires qui envahit la salle d’audience lorsque le premier recours est sur le point d’être examiné.

Le premier à s’exprimer à la barre, Me Laurent Bartolomei, se fait la voix de tous les autres pour demander un renvoi de l’audience. Comme si ces procédures n’étaient pas assez ubuesques, il explique que personne n’était au courant de la tenue de ces audiences jusqu’à il y a quelques jours. La demande est sèchement rejetée par la présidente : “Il n’y aura pas de renvoi, car vous ne présentez pas d’éléments nouveaux. On ne va pas renvoyer 38 affaires comme ça. Et puis, nous avons pas mal de questions à vous poser sur ces personnes“. Le ton est donné.

Avant que chaque dossier ne soit plaidé individuellement, Me Vanina Vincensini tient à faire des remarques globales sur le fond. “Nous sommes dans un contexte inédit, où les procédures d’éloignement sont détournées de leur objet” commence-t-elle. Le placement en rétention a en effet pour rôle de permettre l’expulsion d’individus vers leur pays d’origine. Or tous ont été libérés dans les jours suivants.

L’échange entre la présidente et l’avocate s’envenime à propos des nombreuses anomalies constatées dans les procédures. Me Vincensini reproche au tribunal de ne pas avoir convoqué les migrants, lorsqu’ils étaient en rétention, dans le délai réglementaire de 72h : “Cela signifie-t-il que le tribunal savait que la rétention ne durerait pas ? Il serait alors clair que l’on n’est plus face à des mesures d’éloignement du territoire, mais bien des mesures d’éloignement d’une partie du territoire.” Et de prévenir : “Nous avons le mandat et les pouvoirs de nos clients pour aller jusqu’au bout : appel, conseil d’État, Cour européenne des droits de l’homme !”

“Atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes”

Les avocats ont un atout de taille dans leurs manches. Le rapport de la contrôleuse générale des lieux de privation de libertés (CGPL), paru mercredi, est venu accabler ce système de déplacements de migrants à travers toutes la France. Il se conclut comme suit :

“Depuis le 21 octobre 2015, le placement en rétention administrative est utilisé non pas aux fins d’organiser le retour dans les pays d’origine mais dans le seul objectif de déplacer plusieurs centaines de personnes interpellées à Calais et de les répartir sur l’ensemble du territoire français, et ce dans le but de « désengorger » Calais.
Il s’agit là d’une utilisation détournée de la procédure qui entraîne des atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes ainsi privées de liberté.
Le CGLPL recommande qu’il y soit mis fin.”

Dans une réponse jointe au rapport, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve rejette point par point la possibilité d’un détournement de procédure. Il préfère parler de “traitement global et coordonné” et estime que les services de l’État utilisent de manière rationnelle la vocation nationale des centres de rétention”.

“Les arrivées sont moins massives, mais elles continuent”

Au fond de la salle d’audience, le responsable de Forum réfugiés au centre de rétention, Yassin Amehdi écoute attentivement. Depuis le 26 octobre, il a vu arriver 107 migrants en provenance de Calais : “On essaye de les voir tous, de déposer un recours pour chacun. Les arrivées sont moins massives, mais elles continuent”. Le rapport publié hier changera-t-il la donne ? “Le rapport, ils s’assoient dessus”, déplore une avocate. 20 nouveaux migrants devraient arriver d’ici à samedi au centre du Canet, selon ses confrères.

Silencieuse à l’écoute des plaidoiries, la présidente enchaîne airs gênés, rires nerveux et piques assassines avant de renvoyer l’examen de l’ensemble des recours en délibéré. “Les juges sont comme tous les intervenants dans cette affaire, très, très mal à l’aise” analyse Me Vincensini.

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Commentaires

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  1. leravidemilo leravidemilo

    Dans cette très contemporaine mise en scène, il ne portait pas un casque intégral cet Ubu ? (A la trappe!)

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