"Le jeu indépendant se découvre"
"Le jeu indépendant se découvre"
En France, le marché du jeu vidéo est en pleine mutation. La vente des jeux en boîtes (disques, disquettes) baisse de 10% chaque année. Des mauvais chiffres qui contrastent avec les téléchargements en hausse de 20% et les applications pour smartphones en progression de 30 à 40%. Une nouvelle façon de produire des jeux, qui laisse le champ libre aux petits créateurs de "jeux indépendants". Pour éclaircir cette notion, Marseille a accueilli le premier "European Indie game Days" les 2 et 3 juillet. Un forum professionnel organisé par le PRIMI (Pôle Transmédia Méditerranée), qui regroupe les entreprises audiovisuelles de la région. Ils ont été plus de 150 (étudiants, petites entreprises du jeu vidéo et journalistes) a répondre à l'appel.
Une partie jouée en trois temps. Des tables rondes sur les thèmes du business et de l'innovation autour du jeu indépendant, avec pour temps fort la remise des ID Awards. Des prix pour récompenser les meilleurs jeux "Idie" dans plusieurs catégories (innovation, artistique, originalité et étudiant). Cocorico (avec l'accent marseillais) C4M, une entreprise marseillaise, fondée par Mathieu Castelli (société productrice de jeux et applications smartphone) a pu toucher au Saint-Geek parmi les 90 jeux en compétition.
Lui et son équipe ont soulevé le trophée de l'innovation, grâce à Meatspace Invasion. Un jeu conçu sur la base d'une google-map. Tout en fixant son smartphone, le joueur se déplace dans sa rue en temps réel, et combat des monstres qui apparaissent sur son écran. Une reconnaissance qui fait du bien, dans un milieu hyper-concurrencé avec très peu de visibilité médiatique.
C'est quoi un jeu indépendant ?
En France, le jeu indépendant "se découvre", précise Thierry Platon, directeur artistique de Bip Media, entreprise d'Hyères (83), créatrice de jeux vidéo indépendants (sur PS3, ordinateur et Nintendo DS3). Dans notre pays, la définition de ce concept fait débat : "On a un problème de définition du jeu ID. Du coup il est compliqué de quantifier les entreprises qui se revendiquent comme indépendantes", explique Julien Villedieu, président du syndicat national du jeu vidéo.
Sur le fond, ce concept implique la liberté de créer de l'auteur, sans qu'il prenne en compte les attentes du marché. Il s'oppose au "jeu triple A" – comprenez blockbuster – hyper marquetté, à gros budget et au succès pré-écrit. Le jeu Grand Theft Auto 3, du studio britannique Rockstar North est un bon exemple. Il faut aussi que le joueur "face un effort de compréhension quand il va vers un jeu trop innovant", précise Fabien Delpiano patron de Pastagames, un petit studio parisien de jeux vidéos (smartphone, PSP, Nitendo DS). Voire à se montrer très ouvert d'esprit : dans super PII PII Brothers – un jeu japonais commercialisé sur la console Wii en 2008 – le joueur est invité à uriner virtuellement devant son écran dans des W.C, à l'aide d'un joystick sans fil fourni avec la console de jeu.
Pour vulgariser, on aurait tendance à considérer les petits studios comme des créateurs de jeux indépendants. La réalité est en fait plus complexe: "Des gros studios comme Konami produisent des bons jeux dans un esprit innovant et indépendant", estime Thierry Platon. Ant-Nation s'inscrit dans cette lignée. Produit par Konami, le jeu consiste à veiller au bon fonctionnement d'une fourmilière…
Dans l'autre sens, des petites entreprises collaborent avec les gros studios pour pouvoir survivre, ce qui effrite cette notion d'indépendance. En clair, tout le monde peut se revendiquer créateur de jeux indépendants. Il suffit de produire un jeu innovant et à contre-pied des demandes du marché. Mais là encore, ces notions se discutent…
Vendre son âme au diable pour vivre
Dans notre région, la production de jeux vidéo est exclusivement assurée par des TPE et PME. A six entreprises, elles cumulent un chiffre d'affaires de 5 millions d'euros (pour 3 milliards en France…). "Au niveau du nombre d'entreprises, on a eu des pertes ces dernières années. Le marché est compliqué, seule la passion nous permet de perdurer", lance Thierry Platon. Également vice président de PRIMI, il sait de quoi il parle : BIP Media a failli couler à cause d'un conflit avec le distributeur de jeux Mindscape en 2009 ( plus 3 millions de jeux vendus dans le monde). A l'époque, le géant américain a stoppé brutalement la production de deux jeux commandés à l'entreprise, sans lui verser le moindre centime. Le mois dernier, la petite PME a tout de même gagné son procès. Ironie du sort, Mindscape a mis la clé sous la porte l'an passé… Bip Média ne risque pas de voir la couleur de l'argent qui lui est dû.
Le gagne-pain des petites entreprises indépendantes françaises repose surtout sur la sous-traitance. Des grands studios leur commandent des jeux, qu'ils produisent en respectant une feuille de route. "Cela permet de mettre du beurre sur les cacahuètes" (sic), ironise Thierry Platon, qui ne travaille désormais que pour lui-même. Il poursuit sur le même ton :
"Les vieux croûtons du métier n'ont plus besoin de vendre leur âme au diable pour produire des jeux".
Fabien Delpiano admet travailler les 2/3 du temps pour les grands studios: "l'argent récolté grâce au travail pour les gros studios nous permet de créer librement les jeux que nous voulons." Même chose pour C4M, dont l'application des réseaux de la RATP est l'un des plus grands succès. Décliner ses propres jeux en outil de com ne dérange pas non plus son fondateur Mathieu Castelli : "Des marques se sont déjà rapprochées de nous pour adapter le jeu Meatspace à une campagne de pub. Nous sommes intéressés, et je ne pense pas qu'on puisse nous reprocher de vendre notre âme au diable".
Mener une grande campagne de pub n'est justement pas dans les moyens, ni dans la philosophie des petits créateurs. Pour corser le tout, produire un jeu sur console est compliqué pour un petit créateur indépendant : "Moi ça va, ça fait 27 ans que j'y suis donc je n'ai pas de problèmes avec Nintendo pour produire mes jeux sur console. Mais c'est plus compliqué pour un jeune qui rentre dans le milieu", admet Thierry Platon.
Bip Media et Pastagames trouvent tout de même "un équilibre" dans la pluralité des supports. Sur la marche à suivre vers la réussite, tous ont le même point de vue : plus qu'une idée originale, le bouche à oreille et l'auto-marketing sont les clés du succès. Le jeu smartphone Angry Bird, développé par la société finlandaise Ravio Mobile, est l'une des plus grosses réussites du jeu indépendant. Cette année il a passé la barre du milliard de téléchargements.
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