Plaisance : l’arrivée de la chambre de commerce crée de la houle dans le Vieux-Port
L'UNM, 136 ans d'histoire, a perdu la main sur l'attribution des places dans la portion du Vieux-Port qu'elle gérait jusqu'ici. Alors que la chambre de commerce et d'industrie s'apprête à prendre le relais le 1er septembre, des plaisanciers inquiets demandent des comptes.
L'anse de la Réserve, 190 anneaux était jusqu'ici gérée par l'UNM. (Image JV)
La température de l’eau, les raies pastenagues qui y ont été signalées, les derniers remous de l’affaire Benalla… En cette belle après-midi d’été, des plaisanciers profitent du calme d’une petite crique du Frioul. Invité à bord par l’un d’entre eux, Henri Michel, Marsactu discute avec lui des nouvelles délégations de service public signées fin juin par la métropole pour la gestion d’une partie du Vieux-Port et de la Pointe-Rouge, 2200 anneaux au total. Pour la plupart retraités, les autres se mêlent peu à la conversation qui s’étire en parallèle de leur sortie en mer.
Le sujet les concerne pourtant directement : leur société nautique, l’UNM, a perdu son contrat face à la chambre de commerce et d’industrie Marseille-Provence (CCIMP), qui s’est invitée pour la première fois sur le plan d’eau. L’un d’entre eux, qui balaie l’enjeu de sa jovialité, a même récemment “acheté” la place de son prédécesseur avec son bateau, selon l’usage tenace en contradiction avec la réglementation (lire notre article).
La CCIMP, qui va désormais gérer pendant 12 ans ces 190 postes à flots et 50 à terre, va-t-elle le pousser dehors ? Et plus largement, va-t-elle remettre en cause les précieux contrats d’occupation de postes à flots -les anneaux- dont bénéficient les sociétaires de l’UNM ? Quelques jours plus tard, la question occupe une réunion devant le local du club, installé dans l’anse de la Réserve, en contrebas du Pharo. Au menu : l’envoi d’un courrier au président Sylvère Cayol pour demander d’être associés en tant qu’usagers aux “négociations en cours ou à venir” autour de la passation vers la CCIMP, qui aura lieu le 1er septembre. “L’UNM n’ayant plus la gestion du plan d’eau, ni celle des infrastructures, nos intérêts ne sont plus vraiment communs”, rappelle froidement la missive, que Marsactu a pu consulter.
Signée par une trentaine de membres – dont Henri Michel – sur environ 230, elle a été postée ce mardi. Contacté via le secrétariat du club, le président n’a pas répondu à notre demande d’entretien dans les délais. Joint directement, son prédécesseur Michel Lamberti, toujours vice-président, critique “une volonté égoïste de dire “moi je veux régler mon problème et je me fous du reste”. Quand on organise une régate, une sardinade, un arbre de Noël pour les enfants, on pourrait dire aussi “qu’est-ce qu’on s’en fout ?” Mais c’est l’esprit de l’association.”
Deux places pour le Sofitel
Au cœur des interrogations des plaisanciers, outre la question des tarifs, on trouve celle des contrats d’occupation des postes à flots. En pratique ils sont rarement remis en cause, mais en théorie reconduits chaque année. Or, la candidature de la CCIMP, dont la gouvernance patronale lui vaut déjà d’être soupçonnée de vouloir “faire du fric”, prévoit notamment de réserver davantage de place aux professionnels. Un projet en particulier a retenu l’attention : le Sofitel, dont les fenêtres sont à quelques mètres, va s’offrir, moyennant 6000 euros par an deux places. Ce “pied-à-mer”, selon l’expression du dossier de candidature, est une offre “destinée aux hôtels à proximité du périmètre de la DSP. Il leur est proposé de dédier un ou plusieurs postes contigus, idéalement localisés dans un espace, qui peut faire l’objet d’un marketing spécifique mettant en valeur l’image de marque de l’hôtel (une signalétique dédiée, une arche, un marquage au sol, etc.).”
Au-delà de cet exemple, la CCIMP prévoit de “libérer” progressivement en douze ans 47 places de plaisanciers de longue durée au profit “d’autres catégories d’usagers” (plaisanciers en escale, professionnels ou navires de course ou de patrimoine). “Il n’y aura pas de retrait d’anneaux au détriment des plaisanciers disposant aujourd’hui de postes à flots longue durée, nous assure le futur gestionnaire, dans une réponse écrite. Cette allocation s’appuie sur le rythme naturel de la libération de postes à flots par les plaisanciers longue durée : chaque année environ une demi-douzaine d’entre eux ne renouvellent pas leurs contrats, ce qui permet d’en dédier une partie à la liste d’attente longue durée et une partie aux nouveaux types d’occupation.”
“Ça dure depuis longtemps et le problème est là”
Rien de nouveau dans l’anse de la Réserve ? À la différence près qu’aujourd’hui lorsqu’un plaisancier ne renouvelle pas son contrat, c’est le plus souvent qu’il a vendu son bateau… et que le nouveau propriétaire prend sa place. Une habitude peu réglementaire, qui permet de contourner la liste d’attente où d’autres attendent leur anneau des années durant. Interrogé sur cette pratique, plusieurs fois critiquée par la chambre régionale des comptes, Michel Lamberti tire quelques bords.
Ce qui est une anomalie, c’est que le bateau vaille 30 000 euros sans la place et 50 000 avec. Mais ça dure depuis longtemps et le problème est là : tous les gens ont acheté le bateau avec la place et le jour où ils revendent, ils ne veulent pas perdre de l’argent. Après, il y a eu des abus. On a vendu des bateaux pourris, à mettre à la poubelle, on m’a même envoyé récemment une annonce de vente aux enchères !
“Oui le système est ancien, mais pourquoi l’UNM n’a-t-il pas arrêté les frais un an ou deux avant en prévenant les sociétaires ?”, interroge Henri Michel. “On n’a jamais certifié à quelqu’un qui avait acheté un bateau qu’il allait être admis au club (sic). 90 % des gens le sont, mais ça met une certaine pression”, rectifie Michel Lamberti. Pour lui, la CCIMP va devoir “prendre en considération que tout le monde a acheté un bateau avec la place. Ou alors plus personne ne vendra de bateaux… On ne peut pas demain tout révolutionner, je vois mal ce qu’ils auraient à gagner. “
Dans ce débat, une catégorie précise d’usagers va se retrouver en première ligne. Depuis 2015, comme Marsactu l’avait raconté, la métropole a obligé les sociétés nautiques à ne pas attribuer directement les anneaux aux nouveaux propriétaires de bateaux vendus. Ils doivent d’abord passer deux ans en tant que “passager longue durée”, au tarif fort, avant d’être éventuellement proposés à une commission d’attribution. Une possibilité, qui était en réalité quasi systématique. Mais la chambre de commerce pourrait avoir une autre pratique. Pour l’heure, elle refuse de se prononcer. “Ce sujet sera traité mais il est nécessaire de disposer d’une vision claire de la situation, en particulier des contrats existants, avant de le prendre en charge.”
La métropole, de son côté, rappelle que la réglementation impose bien le principe des listes d’attente : “Le contrat stipule que les décisions d’attributions de postes à flot doivent être conformes aux dispositions du Règlement de police applicable dans l’ensemble des ports de Marseille Provence et qui prévoient le respect des listes d’attente. La CCIMP devra se conformer à ce Règlement.” Mais dans le reste du port, où les anciennes associations ont gardé leur place, la question de rompre avec les anciennes pratiques se pose tout autant.
Les risques du “cavalier seul”
En fonction de la réponse, la contestation pourrait gonfler au sein de l’illustre société, fondée en 1882. Le courrier insiste sur “une perte évidente de confiance” après l’échec de sa candidature. Depuis 2007, elle gérait sa partie du plan d’eau en accord avec le CNTL, club titulaire de la DSP implanté de l’autre côté du fort Ganteaume. Comme l’a résumé fin juin le président de la commission des ports de la métropole Claude Piccirilo “l’UNM a souhaité faire cavalier seul et quitter le CNTL pour avoir sa propre délégation”. La métropole a accepté et a détaché le périmètre de l’anse de la Réserve dans une délégation séparée. Sollicitée sur ce découpage “à la main” sur demande d’un candidat potentiel, la métropole met en avant “sa discontinuité géographique vis-à-vis du périmètre initial, ainsi que la présence de bâtiments” nécessitant 500 000 euros d’investissements importants.
Reste que l’UNM est la seule à avoir perdu face à la CCI, qui avait candidaté aux quatre périmètres. Pire, lors de la séance du conseil de métropole, les élus en charge du dossier ont mis en cause le sérieux de sa gestion, ce que n’a toujours pas digéré Michel Lamberti. A posteriori, cette stratégie est remise en cause par les contestataires. “C’était facile pour la CCI de prendre l’UNM, ils ont vu qu’on était des dilettantes par rapport au CNTL où il y a plein d’avocats, comme à la SNM”, résume Henri Michel. Des avocats, ou encore des élus, des haut-fonctionnaires, des patrons, et même le président de la chambre de commerce et d’industrie : difficile en effet d’égaler le réseau des deux grands clubs du Vieux-Port. Tout en partageant cet avis sur le caractère intouchable des “seigneurs de la rade”, Michel Lamberti conteste la supposée protection qu’offrait le partenariat avec le CNTL : “Pendant 10 ans, les priorités sont allées au CNTL. Les bâtiments n’ont pas été entretenus et c’est l’UNM, sur ses fonds associatifs, qui a mis 50 000 euros pour rénover le restaurant”, justifie-t-il.
Au final, “on passe de la tutelle d’un club à celle de la CCI et si demain on arrive à un accord qui pérennise l’UNM pendant 12 ans, ce sera plutôt positif”, ajoute-t-il. De fait, le contrat prévoit le maintien de son occupation d’un local, du restaurant et d’une partie des terre-plein et la CCI mise sur lui pour assurer l’organisation d’événements. “Les clubs historiques – l’UNM et le Rowing club – sont considérés comme des partenaires privilégiés pour la mise en œuvre du projet de la CCIMP”, assure cette dernière. Des propos en ligne avec ceux de Bernard Jacquier, président de la commission des marchés, qui assurait en conseil métropolitain que “l’UNM n’a rien à craindre, elle ne perd rien dans cette opération, elle change simplement de partenaire”. Rien, si ce n’est la main sur les précieux anneaux.
Commentaires
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Merci Julien Vinzent pour cet article très agréable à lire, et félicitations toutes particulières pour cette jolie chute bien trouvée !
Une immersion tout en douceur dans le marigot du Vieux-Port où l’on se retrouve sans crier gare plongés en pleines Terres du Milieu. 🙂 🙂 🙂 Bravo!
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Merci !
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bon commentaire …et bon article aussi …no comment !!!
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D’après mes informations ce serait plutôt : un bateau de 10 ou 15 000 euro sans la place vaut de 70 à 80 000 euro avec la place.
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