La ligne Marseille-Bordeaux menacée à cause de ses trains trop anciens

Info Marsactu
le 1 Fév 2023
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Un récent rapport pointe le risque qui plane sur la ligne d'Intercités reliant Marseille et l'Ouest. En cause, des rames vétustes qui doivent être "radiées en quasi-totalité d'ici 2027". Leur renouvellement doit être lancé au plus vite pour éviter que le service soit réduit, voire suspendu.

La gare Saint-Charles en 2020. (Photo : Emilio Guzman)
La gare Saint-Charles en 2020. (Photo : Emilio Guzman)

La gare Saint-Charles en 2020. (Photo : Emilio Guzman)

Ce n’est peut-être pas la destination la plus fréquente pour les voyageurs quittant la gare Saint-Charles. Les Intercités partant de Marseille pour rejoindre le Sud-Ouest ne représentent “que” 7 allers-retours par jour. Six vont jusqu’à Bordeaux en environ 6 heures et le dernier seulement à Toulouse. Un faible trafic à première vue. Mais une ligne de plus en plus empruntée : 3,1 millions de passagers au global, soit tout de même une hausse de 26 % par rapport à 2019. Et un trajet essentiel pour le maillage du Sud de la France.

Cet axe fait en effet partie des 12 lignes dites de “trains d’équilibre du territoire” (TET). Ces connexions dont s’occupe l’État, autrement dit qu’il finance, “assurent un service de grandes lignes rapides entre les principales villes françaises non reliées par la grande vitesse” décrit le ministère de l’Écologie, en charge des transports. Mieux, la ligne marseillo-bordelaise est l’une deux seules en France, avec Nantes-Lyon, qui traverse le pays d’est en ouest.

Les voitures ont “44 ans d’âge moyen”

Pourtant, à l’heure du retour en force du train dans le discours politique pour lutter contre les effets néfastes du transport en voiture et en avion, le lien avec les grandes métropoles que sont Montpellier, Toulouse et Bordeaux risque de s’affaiblir. C’est en tout cas le constat du conseil d’orientation des infrastructures (COI), une instance consultative composée d’élus* de tous bords politiques et d’experts.

La cause est simple, les rames qui roulent sur la ligne approchent de leur date de péremption. Ce matériel “doit être radié en quasi-totalité d’ici 2027“. Le rapport précise en effet que “les 163 voitures Corail (ndlr : le nom du modèle) affectées à la desserte ont 44 ans d’âge moyen, (…) leur vétusté est à l’origine de problèmes récurrents de fiabilité, et conduit déjà à devoir réduire les compositions des trains“, lit-on dans les rapports de près de 150 pages diffusés par le site spécialisé Mobilettre avant sa remise à la Première ministre Elisabeth Borne.

Sans accélération du renouvellement, “les lignes Bordeaux -Marseille et de nuit devront voir leur service réduit, voire supprimé, entre 2027 et 2033″.

Selon cette analyse, le “cadrage budgétaire” du gouvernement ne permet pas de réaliser ce renouvellement pendant le quinquennat. Si ce scénario est maintenu, au lieu d’un effort plus ambitieux demandé par le COI, “il est vraisemblable que les lignes Bordeaux -Marseille et de nuit devront voir leur service réduit, voire supprimé, entre 2027 et 2033 environ”, prévient le conseil.

Agir vite pour gagner du temps et de l’argent

Cette fin de vie aurait bien sûr pu être mieux anticipée. C’est d’ailleurs ce qui a été fait pour d’autres lignes avec un appel d’offres de SNCF Voyageurs, la filiale qui s’occupe des trains, lancé fin 2016 et conclu trois ans plus tard pour renouveler le matériel roulant sur Paris-Toulouse et Paris-Clermont-Ferrand. Présentées en maquettes grandeur nature le mois dernier, elles circuleront d’ici 2026 sur ces lignes.

Pour Bordeaux-Marseille, une “tranche optionnelle” d’une quinzaine de rames existe mais elle doit être déclenchée auprès du fabricant l’entreprise espagnoles CAF. Ce qui n’a pas été fait jusqu’à présent. En toute logique, le COI recommande de “prévoir dès que possible le renouvellement“. Agir rapidement présenterait un double gain : celui du temps et de l’argent. Lever la tranche optionnelle auprès de CAF permet en effet “de ne pas interrompre la chaîne de production“. Car la fabrication de rames nécessite de créer pour l’occasion des ateliers dédiés spécifiques. Des étapes qui représentent “4 à 5 ans incompressibles” et des dépenses supplémentaires si la décision était prise trop tardivement. Passer commande à temps limiterait le coût aux frais variables de la construction d’une rame, environ 20 millions d’euros chacune soit 300 millions d’euros au total.

Gagner du temps avant l’ouverture à la concurrence ?

Contacté, SNCF Voyageurs nous renvoie vers l’État en précisant ne pas être “habilité à communiquer quoi que ce soit sans accord de leur part“. Le ministère de l’Écologie renvoie curieusement la politesse à l’entreprise ferroviaire. Seule certitude, ni l’un ni l’autre ne découvrent la situation de la ligne Bordeaux-Marseille avec le rapport du COI. L’État, en tant qu’autorité organisatrice des TET, est “tenu d’organiser un comité de suivi des dessertes ferroviaires (CSDF) par an sur ses lignes” indique le ministère sur son site.

Dans celui du 3 mars 2021 sur “la transversale Sud”, le nom de la ligne Bordeaux-Marseille, une partie est consacrée au “renouvellement du matériel“. Le compte-rendu confirme la fin de vie des rames, mais précise que la tranche optionnelle auprès de CAF doit être levée avant fin 2024. L’autre solution éventuelle, qui serait de passer via un loueur ou un autre exploitant, nécessitait une prise de décision “au plus tard début 2022“.

Rénover les rames existantes reviendrait “à engager des dépenses à fonds perdus”, estiment les experts.

Quant à l’éventualité de prolonger la durée de vie des Corail, le COI voit surtout une solution qui consiste “à engager des dépenses à fonds perdus”. Des rénovations ont bien eu lieu entre 2019 et 2021, mais seulement sur 15 voitures pour environ 8,2 millions d’euros. Le comité de suivi de l’année dernière évoque le sujet en une phrase : “En attente des arbitrages ministériels d’ici la fin 2022″. Le train gouvernemental semble avoir pris du retard.

Mais la solution de prolonger la durée de vie des trains actuels pourrait correspondre à une envie de tenir jusqu’à 2030. L’échéance correspond à l’ouverture à la concurrence de la ligne, comme cela a été fait pour les TER en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Le COI le concède, le système d’acquisition actuel des trains par l’État “était bien adapté dans le contexte où la SNCF exploitait les TET en monopole” mais “il ne l’est plus dans le contexte de mise en concurrence”. Un train peut en cacher un autre.

*Parmi les membres du COI figurent Jean-Marc Zulesi, député LREM des Bouches-du-Rhône, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, et Philippe Tabarot, ancien vice-président aux transports de la région aujourd’hui sénateur LR des Alpes-Maritimes et conseiller régional.

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Commentaires

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  1. Patafanari Patafanari

    Finalement, Bordeaux c’est très surfait.

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  2. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Je m’étonne un peu de la considération selon laquelle “le système d’acquisition actuel des trains par l’État “était bien adapté dans le contexte où la SNCF exploitait les TET en monopole” mais “il ne l’est plus dans le contexte de mise en concurrence”.”

    La mise en concurrence d’une ligne de train et la propriété du matériel roulant sont deux sujets totalement distincts. Quel que soit l’exploitant du service, la SNCF ou un autre, il peut utiliser un matériel qu’il ne possède pas. C’est ce qui va se produire sur la ligne TER Marseille-Nice, où Transdev ne sera pas propriétaire des rames : elles seront mises à sa disposition par la Région.

    Sur les lignes Intercités, l’Etat, qui en est l’autorité organisatrice, pourrait donc parfaitement détenir les trains et les faire exploiter par d’autres que l’opérateur historique. J’ajoute cependant que la première tentative de mise en concurrence de lignes Intercités, il y a quelques mois, a piteusement échoué, les conditions imposées par l’Etat ayant refroidi tous les concurrents potentiels de la SNCF.

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  3. PatSEMP PatSEMP

    Vous dites que la SNCF n a pas répondu et vous a renvoyé vers l État , qui lui même vous renvoie vers la SNCF.
    si je comprends bien, la SNCF peut désormais répondre à vos questions puisqu’elle a eu l aval de l’État !
    CQFD !

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  4. Richard Mouren Richard Mouren

    Vous prenez un service public (au service du public, un bien commun) qui fonctionne d’une manière satisfaisante. Vous l’appelez monopole. Par ailleurs vous stigmatisez les entreprises monopolistiques (privées celles-là). Vous les stigmatisez au nom de la libre concurrence du marché dont “la main invisible” va équilibrer tout ça. Mais vous ne pouvez pas vous attaquer vraiment à ces vrais monopoles (de l’énergie, de la pharmacie, de la chimie,etc). Donc vous vous attaquez à ce qui est à votre portée: les monopoles étatiques de service public quitte à “fabriquer” une fausse concurrence comme avec l’électricité en France. Et “la main invisible du marché” va abandonner les secteurs peu rentables et devient libre de faire bondir ses factures de 400 % (ou plus) en un mois, comme pour l’électricité. Nous vivons vraiment une époque moderne.

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    • petitvelo petitvelo

      Pourquoi investir sur des centrales nucléaires douteuses et pas sur des lignes de train fiables ?

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  5. Pussaloreille Pussaloreille

    A quand les manif pour défendre le transport ferroviaire en France ? Comment ne pas être indigné lorsque s’étalent les méfaits et le coût de l’avion et de la voiture ? Le réseau existe et on le rend obsolète en privilégiant la grande vitesse (utile entre métropoles, certes, mais au détriment de tout le reste du territoire).

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  6. Luc Joulé Luc Joulé

    bonjour
    existe-t-il une association d’usagers de cette ligne ?
    merci

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    • Julien Vinzent Julien Vinzent

      Bonjour, vous pouvez vous rapprocher de la FNAUT ou de NosterPACA, qui sont représentés au comité de suivi de la desserte ferroviaire, instance d’information des usagers évoquée dans l’article.

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    • Luc Joulé Luc Joulé

      merci pour votre attention et votre conseil.
      face à une telle incompétence, il serait bienvenu que les usagers (dont je fais partie) prennent la parole.

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  7. MilaH MilaH

    D’un point de vue écologique ce serait une tragédie de supprimer cette ligne. D’un point de vue pratique aussi. Toutes les destinations ne sont pas desservies depuis Marseille en avion.
    Une fois de plus le train passe à l’arrière plan

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  8. cornegidouille cornegidouille

    Pendant des années, nous avons utilisé cette ligne pour aller à Angoulême (avec changement à Bordeaux). Mais avec tous les retards systématiques qui obligeaient à anticiper pour avoir la correspondance à Bordeaux, les problèmes pour trouver un garage pour la voiture (nous habitons Istres) à un prix raisonnable, nous avons renoncé et pris la voiture à partir de 2019.

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  9. Agnès Agnès

    Bien que le côté désuet des corails ait son charme, les dernières fois où j’ai pris ce train j’ai du à chaque fois me faire rembourser d’une partie ou de la totalité du billet pour des retards de plus de 2 heures (voire une nuit à Bordeaux et arrivée un jour plus tard). Bon, comme je ne suis pas riche, en même temps, ça fait au moins une réduction…Mais se retrouver à supprimer des trains parce qu’on n’a pas renouvelé les rames, quand nombre d’aéroports veulent s’agrandir, ça montre vraiment encore une fois qu’on ne fait rien pour des transports moins polluants, qui ont en plus le mérite d’être plus confortables que ces nouveaux TGV avec à peine de la place pour mettre ses jambes sous le siège. Reste à prolonger le canal du midi jusqu’à Marseille, et au moins on pourra faire le trajet à vélo ou en barque !

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    • Alceste. Alceste.

      Tout ceci pour 7 passagers par jour ?

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    • Lissia Lissia

      Non Brallaisse, pas 7 passagers par jour mais 7 trains par jour.

      Pas grave! On passera par Helsinki ou Amsterdam pour aller à Toulouse, ce petit village, pour Bordeaux, charmante bourgade
      C est comme pour l Hôpital, la Santé, l Éducation, on se tiermondise lentement mais surement

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