La chambre régionale des comptes pointe le maire d’Istres et les entrepreneurs omniprésents
Marsactu s'est procuré le rapport définitif de la chambre régionale des comptes sur la gestion de la Ville d'Istres. Parmi les éléments de ce lourd rapport, des entreprises titulaires de marchés publics douteux dont les liens avec le maire François Bernardini interrogent.
François Bernardini au conseil de la métropole. Photo B.G.
C’est la base de travail du parquet national financier (PNF) et des enquêteurs de la section de recherches de la gendarmerie qui mènent l’enquête préliminaire sur la gestion de la Ville d’Istres. Marsactu s’est procuré le rapport définitif de la chambre régionale des comptes qui a regardé à la loupe le travail du maire François Bernardini (divers gauche). Le document de 166 pages est particulièrement défavorable à la gestion du maire, abordée par de nombreux angles.
Pour démarrer son défrichage, Marsactu s’est arrêté sur un point particulièrement sulfureux : comme nous l’avions révélé et documenté, une série d’entrepreneurs locaux y sont présentés comme omniprésents. Des liens avec le maire ou sa fille viennent nourrir “des situations de conflits d’intérêts” que l’édile conteste pourtant avec vigueur. Ils constituent la base du chef de prise illégale d’intérêts, un des nombreux motifs d’atteinte à la probité pour lequel le PNF a ouvert son enquête.
Dans le détail, ce sont des noms connus du paysage économique istréen qui sont épinglés. Deux ressortent particulièrement étrillés à savoir Michel Vallière, architecte aujourd’hui retraité -que Marsactu n’a pu joindre- et sa société Atrium ainsi que Philippe Cambon, multi-patron dont les activités vont de la promotion immobilière (CP Promotion) à la menuiserie (SAM) en passant par le gros œuvre (FDO construction devenu récemment Sud construction). Plus gênant pour le maire, la CRC démontre même que François Bernardini a eu des liens d’affaires avec ces entrepreneurs.
La société Atrium, qui a pensé le nouvel hôtel de ville qui borde l’étang de l’Olivier, est introduite ainsi dans le rapport : “Hormis pour des équipements très spécifiques, […] les marchés de maîtrise d’œuvres de la ville ont été attribués majoritairement à des entreprises locales et notamment à la société Atrium“. S’en suivent une série impressionnante de marchés dont 13 sur 17 ont été remportés par Atrium. Celle-ci apparaît comme l’architecte chouchou du maire en remportant par exemple le projet amiral du centre-ville, le Forum des Carmes. Aujourd’hui, c’est selon la chambre 75 % des activités de la société qui sont réalisées sur le territoire de la commune. 45 % relèvent de la sphère publique.
Des marchés “litigieux”
La chambre sème le doute sur l’origine de ces ratios impressionnants en épinglant un marché, celui du complexe nautique d’Entressen dont l’attribution est jugée “litigieuse”. Sans avoir réalisé depuis au moins six ans de piscine, Atrium a obtenu un classement B (moyen) avant d’être reclassé A (le maximum) juste avant l’examen de son cas par le jury d’attribution. “Une erreur matérielle”, a balayé la Ville qui aura tout de même permis à Atrium de rester dans la course et in fine de l’emporter.
Or, François Bernardini, à l’époque où il était inéligible suite à une condamnation pour détournement de fonds publics, a fait des affaires avec Michel Vallière. Il détenait un quart des parts des Terrasses de l’Escaillon, une société ayant réalisé une opération immobilière d’une dizaine de logements à Martigues. “Le seul fait d’avoir décidé en 2006 d’une opération immobilière avec monsieur Vallière […] ne suffit pas à faire de celui-ci l’homme lige de celui-là. Il n’est pas non plus concevable que celle-ci ait pu paraître influencer l’exercice de ses fonctions”, rétorque la Ville dans sa réponse officielle.
Des marchés trustés par Philippe Cambon
Un schéma analogue est décrit avec Philippe Cambon, attributaire de nombreux marchés publics. SAM Alu a “obtenu ou collaboré à tous les marchés relevant de son champ de d’activité”, note la chambre. De même, “la société FDO a été attributaire de 100 % des marchés de la commune d’Istres auxquels elle a soumissionné pendant la période sous contrôle [2007-2015, ndlr]“. La chambre note notamment qu’elle arrivait “majoritairement en tête sur la note technique“, la moins objectivable. “C’était aussi le cas sur le critère prix”, assure l’avocat de la société Benoît Caviglioli. “Ce n’est pas toujours le critère [technique] qui a prévalu”, semble concéder la chambre dans son rapport.
Cela concerne notamment le parking du forum des Carmes. La chambre estime qu’il aurait dû être exclu sur un critère technique, ce que contestent vivement la Ville et FDO. La chambre soupçonne donc un régime de faveur pour FDO. “Au moment de l’attribution du marché, Philippe Cambon n’était pas propriétaire de la société”, rétorque l’avocat de cette dernière. En réponse, la chambre s’étonne de la quasi concomitance avec le rachat par Philippe Cambon, qui devient propriétaire de cette société portugaise un mois seulement après l’attribution de ce marché colossal pour l’entreprise. “M. Cambon a décidé d’acquérir cette société dans la mesure où elle avait obtenu ce marché important”, justifie celle-ci dans le rapport.
Ce même marché de travaux, opéré par FDO, aurait dû coûter 8,5 millions d’euros, il en a fallu 2 de plus du fait d’une mauvaise étude des sols. Le complexe nautique d’Entressen a vu sa facture grimper pour les mêmes raisons. Le compte-rendu de la chambre laisse une porte ouverte : s’agit-il d’une négligence ou d’un oubli volontaire ? Dans le second cas, un entrepreneur mis au courant d’une possible augmentation des recettes bénéficierait d’une information précieuse pour doubler ses concurrents et être le candidat le mieux disant.
Philippe Cambon, mari d’adjointe au maire et associé de Bernardini
Les multiples liens de Philippe Cambon avec la famille Bernardini – il se présente volontiers comme un “ami du maire” – intéressent les magistrats. D’abord, sa femme est la troisième adjointe au maire, chargée du tourisme. Ensuite, le maire et lui sont associés dans une société immobilière nommée “Les bois gelin”, de laquelle sont actionnaires les deux filles de François Bernardini, Anne-Lise et Laëtitia. Comme ne manque pas de le noter en défense le maire d’Istres, celle-ci n’a rien construit : “La société n’a jamais réalisé d’opération de telle sorte à ce que l’intérêt public poursuivi par le premier dans le cadre de ses fonctions de maire ne puisse être pollué par cet autre intérêt totalement virtuel. Il est à cet égard évident de souligner le fait que le maire n’a aucun intérêt personnel à ce que Philippe Cambon et sa société prospèrent”.
Elle a en revanche longtemps eu un projet de centre commercial de six boutiques (dont un garage Norauto) de plus de 3000 mètres carrés à deux pas du centre Leclerc, chemin du bord de Crau. En 2012, alors que Bernardini était maire, elle avait même obtenu l’accord pour ce faire de la commission départementale d’aménagement commercial (CDAC). Comme l’atteste le compte-rendu ci-dessous retrouvé par Marsactu, la Ville d’Istres, représentée par un adjoint, n’avait vu aucun problème à se prononcer pour le projet au cours de cette réunion, malgré l’intérêt particulier du maire à l’affaire. “Quand on monte un dossier, que vous y investissez de l’argent, il est normal d’aller au bout des autorisations, commente Benoît Caviglioli, l’avocat de Philippe Cambon. Mais il ne peut y avoir de prise illégale d’intérêts puisque cela n’a débouché sur rien.”
Mais les liens Cambon-Bernardini ne s’arrêtent pas là puisque Philippe Cambon est aussi l’associée de la fille du maire dans quatre sociétés immobilières dont une ayant construit une maison en Corse destinée à la location et une autre qui associe l’architecte Vallière pour “une résidence de 20 logements à Martigues”. “Elle travaille de longue date dans l’immobilier. Elle servait en fait d’apporteur d’affaires à Philippe Cambon. Elle arrivait en proposant de le mettre en contact avec un promoteur. Entrer au capital correspondait en fait à la rémunération de son travail”, assure l’avocat Benoît Caviglioli.
Le maire et les entrepreneurs se défendent
La chambre, qui a interrogé l’ensemble des protagonistes, donne la version des associés. Pour eux, il est impossible que ces quelques participations communes aient pu créer “une situation susceptible d’influencer le maire dans l’exercice de son mandat électif, au motif notamment que les opérations en cause présentent un caractère résiduel dans leurs activités et ne représentent donc aucun enjeu réel pour eux”. Dans un courriel envoyé en avril à Marsactu lors d’une de nos précédentes enquêtes, Jérémy Cambon, fils de Philippe avait développé cet argumentaire. “Ce ne sont pas les collectivités régionales qui font exister la société SAM, et encore moins la ville d’Istres, ce sont les particuliers qui nous font confiance depuis plus de 30 ans”, avait-il avancé, estimant à 10 % la part du chiffre d’affaires de SAM issu de la commande publique.
Quant à Bernardini, il ne voit une fois de plus aucun problème et se dissocie de l’action économique de sa fille. “Il s’agit d’opérations menées de manière indépendante. […] Les activités n’ont pas été permises ou même favorisées par une quelconque décision du maire”, assure-t-il. Plus généralement, il cherche à disqualifier le travail mené par la chambre régionale des comptes :
La première conclusion qui jaillit, dès la première page refermée, est celle d’une instruction complètement à charge, ce qui entraîne logiquement à s’interroger sur l’intention qui a animé l’auteur de ce rapport.
Pour lui, “la seconde réflexion […] s’attache à la particularité des moyens présentés pour justifier les griefs énoncés, comme si les éléments querellés étaient choisis habilement pour construire le rapport, à moins que l’inverse s’impose, en avalisant un raisonnement préconçu par des démonstrations alambiquées.” Il se lance même parfois dans des explications plus personnelles et particulièrement étonnantes : “Il est vrai que, en entendant déclarer par les représentants de la chambre à deux reprises à deux collaborateurs différents que la nouvelle mairie était “moche”, la commune aurait dû percevoir que derrière cette appréciation, pourtant sans objet avec sa mission, et infirmée par l’avis éminemment positif de milliers de visiteurs, la conduite de l’instruction laissait entrevoir d’entrée la tonalité que le rapporteur entendait donner à son examen.”
Une emprise qui s’étend aux chantier privés
À l’arrivée, la conclusion de la chambre maintient, malgré son jargon administratif, un sévère rappel à l’ordre sur “les risques de conflits d’intérêts résultant des liens d’affaires” :
Elle note en parallèle que l’emprise sur le marché local des sociétés qu’elle épingle pourrait être regardée de manière plus générale. Elle mentionne ainsi les “nombreuses sociétés civiles immobilières” dans lesquelles Philippe Cambon détient des participations, “autant d’opérations qui ne sont pas sans lien avec les autorités locales dès lors qu’elle nécessitent la délivrance des autorisations nécessaires [les permis de construire par exemple, ndlr]“.
Les magistrats financiers esquissent alors un domaine d’enquête plus large que le leur mais qui orientera forcément les enquêteurs chargés de la partie pénale de ce dossier. Toute leur tâche sera de déterminer s’il existe bel et bien un système Bernardini à Istres et de déterminer les liens financiers précis qui pourraient exister entre les différents acteurs de cette affaire.
D’autres marchés problématiques
Plusieurs autres marchés publics sont épinglés. Il en va ainsi d’un des marchés de location longue durée de voitures, qui a remplacé les véhicules de services. Il aurait été attribué à la société Renault SIDA après que “l’analyse des offres […] a été manipulée”, ce que la Ville dément. Selon nos informations, cette société a été perquisitionnée le 29 mars, en même temps que l’hôtel de ville, par les gendarmes de la section de recherches de Paris.
Le marché de construction de la salle polyvalente d’Entressen est aussi jugé suspect. Un premier appel d’offres a été déclaré sans suite avant qu’un second n’attribue le marché. La chambre estime qu’un projet arrivé sixième la première fois a pu lors de la repasse terminer à la première place sans que celui-ci ne soit substantiellement amendé. Finalement, c’est bien “la réinterprétation architecturale agricole locale”, proposée les deux fois, qui sera choisie. La salle gardera le nom de la Grange.
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