Sévère rapport sur l’unité de recherche du professeur Raoult

Actualité
le 9 Oct 2017
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Attendu depuis plusieurs mois, le rapport des quatre tutelles sur les conditions de travail au sein de l'unité de recherche de Didier Raoult doit être validé cette semaine. Marsactu a pu consulter une version provisoire du document, très sévère sur les relations de travail dans ce fleuron de la recherche en infectiologie.

Le siège de l
Le siège de l'IHU à Marseille. (Photo : BG)

Le siège de l'IHU à Marseille. (Photo : BG)

Le document fait 40 pages et pourrait être comparé à la soupape d’une cocotte-minute : des dimensions modestes soumises à une grosse pression. Ce lundi, le comité hygiène, sécurité et conditions de travail (CHSCT) de l’Inserm doit valider le document final concernant les conditions de travail au sein de l’Unité de recherche sur les maladies infectieuses tropicales émergentes (Urmite). Une unité d’où remontent depuis plusieurs mois des accusations dénonçant des conditions de travail exécrables.

Le 7 juillet dernier, des représentants de l’administration et des personnels des quatre tutelles de cette unité dirigée par Didier Raoult visitaient de concert les locaux installés au sein de l’institut hospitalo-universitaire (IHU) d’infectiologie de la Timone. Nous avons pu consulter une des ultimes versions provisoires de ce rapport. Il reprend les éléments dénoncés par le biais d’une lettre anonyme collective rédigée par des ingénieurs de recherche et techniciens sur les conditions de travail au sein de cette unité (Lire notre article). Le tableau général est sévère même si le directeur de l’Urmite et de l’IHU, Didier Raoult se dit “serein”, persuadé “que cette affaire est en train de se dégonfler” comme le rapporte La Provence dans son édition de vendredi. Joint par Marsactu par téléphone et mail, ce dernier ne nous a pas recontactés.

26 constats et préconisations

La lecture de ce rapport et des 26 “constats et préconisations” qui le concluent ne laissent pas une impression de soufflet dépressurisé, bien au contraire. Et ce malgré les conditions particulières de la visite des représentants des tutelles. En effet, le directeur de l’unité n’a transféré que tardivement le message adressé par les tutelles devant informer les personnels de leur visite. Ainsi certaines auditions collectives comptaient plus de représentants des CHSCT que de travailleurs de l’Urmite.

C’est le cas notamment des doctorants. À ce propos, les rédacteurs soulignent avec un brin d’ironie : “Il est à noter que le jour de la visite du comité se déroulait au sein de l’IHU la «Journée Scientifique de l’IHU » qui concernait l’ensemble des étudiants, ce qui explique sans doute le peu d’étudiants présent à la rencontre avec le comité : 4 sur 200…” 

Clivage entre les personnels

L’ensemble des auditions collectives laissent clairement percevoir des personnels clivés en plusieurs groupes antagonistes. Ce clivage apparaît dans le compte rendu de l’audition des personnels techniques.

D’une manière générale, il y avait une tension palpable entre deux groupes bien distincts et bien identifiés. Un effet de clans est apparu, avec d’un côté celles et ceux qui exprimaient leurs souffrances et celles de leurs collègues, et d’un autre celles et ceux qui s’insurgeaient à l’écoute de ces plaintes et exprimaient, au contraire, leur bien-être.  Les agents du troisième groupe sont restés silencieux.

Cette guerre des “clans” entre les partisans de la méthode Raoult et ceux qui disent en souffrir s’est poursuivie dans les semaines qui ont fait suite à cette visite. L’un des directeurs de recherche de l’Urmite, Philippe Parola, a ainsi publié une pétition de soutien intitulée “Laissez nous travailler” et signée par 333 personnes, toutes fort élogieuses au sujet de l’Urmite, de l’IHU, et du professeur Raoult et de ses équipes.

Langues déliées

À l’inverse, parmi certains anciens de l’Urmite, les langues ont commencé à se délier. Leurs témoignages anonymes que Marsactu a pu recueillir recoupent largement les points de vue soutenus dans le rapport. Un ancien ingénieur de recherche de l’Urmite, explique ainsi que Didier Raoult semble fonctionner “avec un tableau dans la tête”. “Un tableau à entrées multiples avec deux colonnes. Il vous considère plus ou moins bien selon votre statut, médecin, pharmacien, chercheur, ingénieur... Et plus ou moins bien selon que vous êtes un homme ou une femme, explique-t-il. Nous avions des réunions de groupe le vendredi et j’ai souvent vu des femmes partir en pleurs.”

L’ingénieur aujourd’hui signifie ainsi que le directeur de recherche lui a clairement signifié “un ingénieur, ça ne publie pas” à l’arrivée dans son service. Il poursuit son portrait-charge : “Il manipule au mieux les plus soumis ou ceux qui ont les dents longues selon la vieille technique de la carotte et du bâton. Cela ne marchait pas pour moi parce que je n’ai pas forcément de grosse ambition. En revanche, cela se concrétisait par de longs mois au placard, ce qui entraînait forcément une démotivation.” L’ingénieur a fini par quitter le service et la ville.

Grande frustration

Si les éléments sur le sexisme supposé du directeur ne transparaissent pas dans les témoignages recueillis par la délégation du CHSCT, les personnels interrogés tout comme les écrits soulignent une grande frustration ressentie par certains. C’est ce que résume le rapport du CHSCT : “Certains ingénieurs et techniciens (IT) nous ont indiqué, oralement ou dans les témoignages écrits, avoir le sentiment que leur travail n’était pas reconnu par la hiérarchie. Lors de l’entretien avec les personnels chercheurs, un chef de service nous a clairement indiqué ne pas faire signer systématiquement tous les IT ayant participé aux expériences”. Ce constat se traduit sèchement par la recommandation suivante : “Rappeler les règles éthiques en termes de signature des articles scientifiques”.

Ces tensions dans le travail sont également ressenties par certains doctorants qui décrivent des situations de harcèlement moral. Notre directeur de recherche, proche de Didier Raoult, avait beaucoup de mal à supporter la pression que ce dernier lui mettait pour obtenir des résultats, explique l’un d’eux. Du coup, de manière pyramidale, cette pression retombait sur nous”. Il a ainsi le souvenir de réunions “work in progress” où les étudiants dont le travail ne convainquait pas étaient humiliés par les directeurs de recherche, Raoult en tête. “Après on ne les revoyait plus”, dit-il.

Harcèlement quotidien

Durant sa première année de thèse, ce chercheur dit avoir subi une pression quotidienne de son directeur de thèse : “Il était présent 4 à 6 heures par jour à la paillasse à côté de moi, en me harcelant en permanence, soulignant combien j’était nul à ses yeux. Longtemps, j’ai baissé la tête mais un jour, j’ai craqué en explosant violemment. J’ai quitté le service et je n’ai pu le réintégrer qu’après m’être excusé auprès de lui”. Ce harcèlement s’est poursuivi de manière périodique jusqu’à sa soutenance durant laquelle le directeur de thèse a repris ses reproches devant témoins. “Heureusement, cela ne m’a pas empêché d’obtenir ma thèse“.

Du fait de l’absence de doctorants lors de la visite de la délégation des CHSCT, ce témoignage que nous avons recueilli ne trouve que peu d’écho dans le rapport à paraître même si deux témoignages écrits décrivent une absence de soutien et “mépris et maltraitance verbale durant les réunions”. Le rapport préconise toutefois que “les tutelles doivent initier un plan d’action de formation de management pour les chefs d’équipes, encourager un style de management participatif et sensibiliser l’ensemble du personnel aux risques psycho-sociaux, en y incluant les aspects juridiques”.

Problèmes de confinement

Mais le document validé par les quatre tutelles ne s’arrête pas qu’aux aspects humains des conditions de travail. Il décrit par le menu un certain nombre de manquements factuels dans l’organisation du laboratoire, y compris dans le respect des règles d’hygiène et de sécurité “basiques” au sein d’un laboratoire où les personnels manipulent des “agents biologiques pathogènes”. Cela vaut également pour les règles de confinement spécifiques associées à chaque type de micro-organisme selon leur dangerosité. Là encore, les normes en vigueur ne sont pas toutes respectées.

Ces éléments nombreux et répétés font état d’une mauvaise prise en compte des attentes des personnels dans la construction de l’Institut, de matériaux défectueux, inadaptés voire non conformes à la réglementation.

Les blouses obligatoires ne sont pas fournies aux étudiants et ceux-ci doivent les laver à tour de rôle, ce qui ne répond aux règles d’hygiène et de sécurité en vigueur, compte tenu de la dangerosité des éléments manipulés. “Des blouses lavées à la laverie du coin alors que nous sommes dans une unité d’infectiologie, on croit rêvé”, siffle un syndicaliste.

La longue liste des 26 constats et recommandations qui concluent le rapport témoigne en creux d’une certaine légèreté de la direction de l’unité dans la prise en compte des règles encadrant le travail, fut-il celui d’équipes de recherche de très haut niveau.

Ainsi l’unité n’a pas de conseil de laboratoire permettant de discuter régulièrement et de manière démocratique de l’organisation du travail en son sein. De la même façon, elle ne possède pas de règlement intérieur mis à jour et correspondant à l’ensemble des différentes “maisons” d’où proviennent les personnels. Le texte en vigueur émane du seul CNRS et date de 2008. Les parties manquantes sont remplacées par des annotations manuscrites.

Un comité avec un seul nom

Ainsi au chapitre “comité spécial d’hygiène et de sécurité” qui prévaut dans un service qui comprend plus de 50 personnes, la composition dudit comité ne comprend qu’un seul nom : Didier Raoult. À l’issue de l’entretien avec ce dernier, les représentants du personnel notent “que la politique en matière de prévention n’a pas été clairement définie par le directeur d’unité. Il gère les accidents quand ils arrivent… du mieux qu’il peut”.

Sévère, ce rapport des CHSCT aura des conséquences à quelques mois d’une scission de l’ancien Urmite en trois nouvelles unités rattachés à l’IHU d’infectiologie. Si elles sont suivies d’effets, les recommandations du rapport pourraient améliorer les relations de travail au sein des laboratoires. En revanche, ce rapport et l’inspection diligentée par le ministère dans la foulée pourrait avoir des conséquences directes sur le soutien des quatre tutelles (CNRS, Inserm, IRD et AMU) à ces trois futures unités.

 

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