Harcèlement sexuel au conservatoire d’Aix : une nouvelle enquête interne vise l’ex directeur

Le conservatoire à rayonnement régional Darius-Milhaud d'Aix-en-Provence. (Photo : ID)

Deux ans après nos premières révélations sur des cas de harcèlement sexuel au conservatoire d’Aix-en-Provence, Jean-Philippe Dambreville, ancien directeur de l’institution, fait l’objet d’une nouvelle enquête et d’une nouvelle suspension. Selon nos informations, c’est le signalement déposé en interne par une salariée du conservatoire, le 16 janvier 2024, qui a relancé toute la procédure, avec le soutien actif de la mairie.

Cette dernière avait déjà témoigné anonymement auprès de Marsactu lors de notre première enquête publiée en avril 2022. Lydia* raconte avoir souffert de gestes tactiles de son directeur, ainsi que de questions très intrusives, au point de se sentir “comme un objet sexuel”. Elle confie à Marsactu que dès sa première rencontre avec Jean-Philippe Dambreville, ce dernier se serait permis une remarque sur le pantalon en cuir qu’elle portait : “Ah, le cuir, ça donne envie…”, se souvient-elle. “Dès ce jour, j’ai compris que je ne pourrais jamais venir travailler en jupe courte. Impossible.” Au fil du temps, le harcèlement moral et sexuel qu’elle affirme subir la pousse jusqu’au surmenage professionnel, qu’on lui diagnostique en 2017. Sur cette même période, Lydia se confie longuement à son mari, mais aussi à Alain Capus, responsable syndical FSU à la Ville.

Lydia n’est pas la seule victime. Plusieurs élus syndicaux transmettent à l’époque à la Ville des alertes concernant Jean-Philippe Dambreville. Mais ni la maire de l’époque, Maryse Joissains, ni sa fille Sophie Joissains alors adjointe à la culture, ni les services de la Ville, ne se décident à diligenter une procédure. Il faut attendre l’automne 2021 pour qu’une première enquête interne soit déclenchée. Celle-ci fait suite au signalement de Julie*, une des collègues de Lydia, qui se dit également victime du harcèlement du directeur. Cette première enquête interne se solde en juillet 2022 par une lourde sanction administrative pour Jean-Philippe Dambreville : deux ans de suspension, dont six mois avec sursis.

Appel à témoignages

Contactée alors par Marsactu, Lydia se dit “soulagée” par l’absence du directeur. Jusqu’au moment où il a été question de son retour, à la fin de sa période de suspension l’hiver dernier. “Quand j’ai appris qu’il risquait de revenir travailler au conservatoire, c’est devenu difficile pour moi”, explique-t-elle. D’autres salariées avec qui Marsactu a échangé à cette époque expliquent partager cette appréhension. C’est cette perspective qui pousse Lydia, à son tour, à parler. D’abord en déposant une plainte au pénal. Ensuite en déposant un signalement à la mairie, le 16 janvier 2024. Interrogé, le parquet d’Aix n’a pas donné suite à nos sollicitations dans les délais impartis.

Selon plusieurs récits concordants, ce sont les services de la Ville qui ont eux-mêmes encouragé Lydia à rédiger son signalement. Une fois chose faite, le 1ᵉʳ mars 2024, la directrice générale adjointe des services envoie un courrier à tout le personnel du conservatoire. On y lit : “De nouveaux éléments concernant Monsieur Dambreville ont été portés à notre connaissance par l’intermédiaire d’un agent du Conservatoire qui a été reçu par la DRH. Dans ce cadre, je vous informe qu’une nouvelle enquête administrative va être menée au cours du mois de mars.”

Surtout, le courrier invite les salariés à venir témoigner sur la base du volontariat : “Pour ceux qui le souhaitent, vous pouvez également vous manifester spontanément auprès d’eux [la commission d’enquête, ndlr]“, écrivent les services de la Ville.

Mauvaise publicité

Au conservatoire, la démarche ne passe pas inaperçue. “Il faut dire que ça nous change ! Lors de la première enquête interne de 2021, tout était resté secret, ce qui ne facilitait pas la libération de la parole”, note une salariée interrogée par Marsactu. C’est peu de le dire. À l’époque, la Ville avait révélé à ses salariés l’existence de cette enquête par un courrier daté du 7 avril 2022, soit le jour de parution du premier article de Marsactu sur cette affaire.

Pourquoi un tel réveil de la part de la municipalité ? Sollicitée, la Ville confirme simplement que “l’enquête interne est en cours” et que l’ancien directeur est bien de nouveau suspendu. Mais dans les couloirs de l’institution, nombreux pensent que le tout nouveau casier judiciaire de Jean-Philippe Dambreville n’y est pas pour rien. En juillet 2023, le chef d’orchestre a été reconnu coupable de harcèlement sexuel à l’encontre de Julie, la salariée à l’origine de la première enquête interne. Il a été définitivement condamné pour ces faits à dix mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence.

On peut aussi rappeler qu’au-delà de cette condamnation, “l’affaire Dambreville” a suscité des dizaines de témoignages d’anciennes salariées ou élèves se déclarant victimes, dans nos colonnes, devant le tribunal, et même au-delà du conservatoire d’Aix. Le média spécialisé La lettre du musicien s’est notamment entretenu avec des femmes ayant côtoyé le chef d’orchestre aux conservatoires de Rouen et de Beauvais, où il a travaillé par le passé.

Fin février 2024, au terme de sa période de suspension, l’ancien directeur avait pu retrouver un poste administratif. Mais cette reprise aura été de très courte durée, au vu de la nouvelle suspension qui le frappe depuis. Seules les conclusions de l’enquête interne permettront à la Ville d’envisager, ou non, une exclusion définitive. Contacté, ce dernier n’a pas souhaité faire de commentaire “pour le moment”. Le nouveau directeur et ancien numéro 2 du conservatoire, Michel Durand Mabire, a quant à lui mis en avant son devoir de réserve.

*Les prénoms ont été modifiés.