Habitat indigne : la Ville fait passer à la caisse les propriétaires récalcitrants

Actualité
le 11 Sep 2023
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Lorsque ses arrêtés de mise en sécurité restent lettre morte, la municipalité marseillaise peut faire payer le retard à hauteur de plusieurs dizaines de milliers d'euros. Cette procédure, qui monte en puissance, vise à faire bouger les dossiers, mais le recouvrement est loin d'être garanti.

Muré depuis des années, l
Muré depuis des années, l'immeuble est entouré depuis plus d'un an d'un périmètre de sécurité.

Muré depuis des années, l'immeuble est entouré depuis plus d'un an d'un périmètre de sécurité.

Donner un prix à l’inaction. En août, la Ville de Marseille a publié trois arrêtés visant des copropriétés du centre-ville, déclarées dangereuses depuis de longs mois. Avec ces décisions dites d'”astreinte administrative”, les propriétaires devront verser entre 100 et 520 euros par jour de retard dans l’exécution des travaux de mise en sécurité demandés. De quoi atteindre rapidement des sommes de plusieurs dizaines de milliers d’euros.

Joint par Marsactu, l’adjoint au maire délégué au logement Patrick Amico indique que la collectivité en fait un usage ciblé, parmi les centaines de dossiers d’évacuations accumulés depuis le 5 novembre 2018. “On ne les met pas systématiquement dès que le délai est dépassé. Nous sommes conscients qu’il n’y a pas forcément de mauvaise volonté, avec des difficultés techniques, des copropriétés dans une situation complexe. On évalue si l’astreinte peut faire avancer les choses.”

Réveiller les propriétaires dormants

Cette procédure est donc “un outil parmi d’autres”, à côté notamment des travaux d’office, qui permettent à la Ville d’écarter les dangers immédiats, aux frais des propriétaires. Très rarement utilisées par le passé, ces interventions se développent mais sont encore priorisées, comme l’avait expliqué l’élu à Marsactu en 2021 : immeubles dangereux pour le voisinage, qui obligent à bloquer une rue, ou qui fragilisent des opérations publiques voisines…

L’astreinte offre quant à elle un levier pour un autre type d’immeubles, qui ne “menacent pas les avoisinants”, avec “des propriétaires dans une situation d’attente sans raison valable”, poursuit Patrick Amico. Après une première vague en 2021 – 22 arrêtés signés – la Ville a fait une pause en 2022, le temps de régler “des problèmes administratifs et comptables. C’est fait et on en est à six en 2023”.

Marchands de sommeil bien identifiés

Un des propriétaires concernés par un arrêté d’août a été récemment condamné pour mise en danger de ses locataires.

Deux des astreintes du mois d’août illustrent les profils qui freinent souvent la lutte contre l’habitat indigne. Aux manettes d’un immeuble de la Blancarde, on trouve une SCI familiale fondée par Morde Khai Didi, marchand de sommeil connu pour l’hôtel meublé du 36, rue Curiol. Au 88, cours Gouffé, l’astreinte vise Pierre-Yves Loiseau, ex-notaire condamné à un an de prison en 2022 pour mise en danger de ses locataires au 315, rue de Lyon. Il s’était lancé dans “une frénésie d’investissements sans aucune assise financière suffisante à l’époque”, selon les mots du jugement. Acheté en 2010 à l’état de ruine, le cours Gouffé en faisait partie, sans avoir jamais vécu la moindre remise en état.

Cette adresse est bien connue des pouvoirs publics, qui ont déjà sorti un autre outil de leur boîte. Dès 2019, la métropole l’a ajouté à la liste des immeubles surveillés par la société publique Marseille Habitat pour une acquisition, amiable ou forcée. Une négociation que l’astreinte pourrait accélèrer, en donnant une valeur sonnante et trébuchante à chaque mois de délai. “Avec l’astreinte, ou ils paient ou ils bougent, résume Patrick Amico. Alors que si vous faites des travaux d’office, vous redonnez de la valeur aux biens” qu’une autre collectivité cherche à acheter.

Difficile recouvrement

De là à imaginer un jeu de rôles entre la métropole, qui achète des taudis pour les rénover, et la Ville, qui a plusieurs bâtons pour pousser les propriétaires à la vente, il n’y a qu’un petit pas. S’il affirme ne pas avoir coordonné l’action des deux collectivités sur le 88, cours Gouffé ou d’autres immeubles de ce type, Patrick Amico n’a “pas de problème” à l’imaginer. “Tout est toujours contestable et d’ailleurs contesté par des propriétaires, mais on voit que les juridictions comprennent de plus en plus l’enjeu” de l’habitat indigne, répond-il.

Reste un bémol à cet outil de l’astreinte : si elle peut avoir un impact psychologique sur certains, d’autres savent multiplier les embûches au recouvrement. “Dès que l’on intervient en avançant des frais de relogement ou en faisant des travaux d’office, la récupération se fait toujours sur plusieurs années”, concède Patrick Amico. Selon lui, la mairie de Paris observe un ratio de 40 % des sommes finalement récupérées. L’avantage des astreintes, c’est que la Ville n’a rien à débourser. Juste à faire tourner le compteur.

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