Fausses procurations : le jour où le Printemps marseillais a coincé la droite

Enquête
le 23 Sep 2024
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Une présidente d'association négligente, une colistière inspirée et un peu de com' ont permis au Printemps marseillais de mettre au jour les recueils de fausses procurations de la droite dans les 11e et 12e arrondissements. Une découverte qui débouche sur le procès de 13 personnes cette semaine devant le tribunal judiciaire de Marseille.

Un bureau de vote marseillais en 2022.(Photo : Emilio Guzman)
Un bureau de vote marseillais en 2022.(Photo : Emilio Guzman)

Un bureau de vote marseillais en 2022.(Photo : Emilio Guzman)

“Jojo, n’utilise pas la procuration de Morgane* stp. Je t’expliquerai.” Le 10 juin 2020, Magali Devouge, candidate aux municipales aux côtés de Martine Vassal, s’adresse par mail à une colistière, Joëlle Di Quirico. Elle essaie d’arrêter une machine qui va bientôt se déchainer : la découverte du système de fausses procurations initié dans les 11e et 12e arrondissements. Morgane est en réalité un appât. Il a été lancé par une colistière du Printemps marseillais, Pauline Rossell. Et Magali Devouge se réveille bien trop tard : elle a déjà benoîtement dévoilé à son principal adversaire tout son stratagème. Deux médias, France 2 et Marianne, vont, le lendemain soir, révéler à la France entière les combines de la droite pour piper le deuxième tour des municipales à Marseille prévu trois semaines plus tard, le 30 juin. Quatre ans après, ce 20 septembre, ce dossier arrive à la barre du tribunal judiciaire où 13 prévenus sont renvoyés.

Tout commence avec le mail d’une présidente de l’association Animations loisirs de Bois-Luzy. Le 26 mai, elle écrit à ses adhérents :

“La mairie des 11/12 vient de m’appeler. […] Au cas où vous ne voudriez pas ou ne pourriez pas vous déplacer pour ce vote, la mairie met en place, en partenariat avec le commissariat, un service de procuration. Si vous êtes intéressés, un agent de la mairie ou un agent de police viendra à votre domicile vous faire remplir un formulaire. Pour ce faire, il vous suffit de me donner l’autorisation de communiquer vos nom, adresse et numéro de téléphone à Mme Devouge qui vous contactera.”

“À aucun moment, je n’ai pensé à une manœuvre politique dans la demande de Madame Devouge, je pensais que c’était pour aider les gens, surtout les personnes âgées”, dira-t-elle aux enquêteurs. Hasard des engagements croisés, se trouve parmi les destinataires un sympathisant du Printemps marseillais. Il s’en émeut auprès de Pauline Rossell, une jeune assistante sociale qui a décidé de s’engager politiquement, pour la première fois, au sein de Mad Mars, la composante citoyenne de l’alliance de gauche, conduite alors par Michèle Rubirola. Pauline Rossell terminera conseillère des 11e et 12e arrondissements et élue métropolitaine. La lecture du courriel va l’interpeller et faire écho, raconte-t-elle à Marsactu, à d’autres rumeurs : “La mairie des 11e et 12e arrondissements avait déjà dit à d’autres personnes qu’elles pouvaient centraliser les procurations, mais cela restait flou.”

“La chasse aux trésors”

Pauline Rossell contacte alors Magali Devouge sans décliner ni son nom ni sa qualité. “Elle m’a expliqué qu’elle s’occupait des procurations au bénéfice de son parti uniquement. Elle a ajouté que si je n’avais personne à qui donner ma procuration, elle pouvait se charger de trouver une personne au sein de la permanence de Martine Vassal qui voterait pour moi”, racontera-t-elle aux policiers chargés de l’enquête dès le 17 juin 2020.

C’est pour poursuivre son enquête que Pauline Rossell va demander à Morgane d’aller au bout de la démarche. Un mail avec sa pièce d’identité suffit, comme le démontre l’examen de la boîte mail de Magali Devouge par les policiers. “Veuillez trouver en pièce jointe la copie de ma carte d’identité. S’il manque quelque chose, n’hésitez pas à revenir vers moi”, écrit Morgane le 7 juin. Deux heures plus tard, Magali Devouge jubile auprès de Julien Ravier, le maire de secteur, Richard Omiros, son directeur de cabinet, Claudine Hernandez, sa directrice des services, et Joëlle Di Quirico, quatre personnes qu’elle retrouvera au tribunal : “Voici une nouvelle carte d’identité pour une procuration. Je poursuis la chasse aux trésors !”

Le 10 juin, dans une autre manœuvre désespérée, Magali Devouge réécrira à Morgane pour lui préciser la procédure légale : “Voici l’imprimé de procuration à remplir par vos soins et à signer. […] Il vous suffit d’aller au commissariat, faire enregistrer le document rempli ou si vous ne le pouvez pas, un agent de police se déplacera à votre domicile.”

“Il fallait que ça sorte vite”

Mais, forte des preuves recueillies, Pauline Rossell s’est déjà retournée vers ses colistiers plus capés. “C’était la première campagne où j’étais autant engagée. Je découvrais l’ambiance, l’engouement, la rivalité entre les partis et la violence latente. Là, je découvrais aussi un système qui paraissait frauduleux”, récapitule-t-elle. Le débat s’installe alors, racontent plusieurs sources au plus haut niveau au sein du Printemps marseillais. “On se met vite d’accord sur le fait qu’il faut que ça sorte vite, se souvient-on au sein de l’état-major de campagne de l’époque. Notre objectif, ce n’était pas la justice, mais gagner l’élection ! On se disait bien sûr que cela pourrait intéresser la justice ou permettre de faire annuler l’élection a posteriori, mais on savait aussi que les élections qu’on refait profitent très souvent à ceux qui ont été désignés lors de l’élection annulée.”

La suite est connue, de l’explosion médiatique de l’affaire aux premières auditions dès le 13 juin. Ce jour-là, Magali Devouge ne dit rien. Mais, en garde à vue deux mois plus tard, elle se fera plus loquace.”Je pensais que ce que je disais était complètement valable. Et d’ailleurs, bon nombre de colistiers ont dit [qu’]ils auraient tenu les mêmes propos, car nous faisions comme il nous avait été demandé de faire”, expliquera-t-elle avant de préciser : “À cette époque, il y avait une pression importante, car nous ne savions pas quelle position nous avions sur la liste [plutôt dans le futur exécutif municipal, ndlr]. Il fallait donc bien montrer que nous étions des bons petits soldats et bien présents dans la campagne.”

Magali Devouge, qui ne fait pas partie “des personnes ayant participé de la manière la plus active” selon les enquêteurs, n’est pas renvoyée devant le tribunal correctionnel. Avant que le Conseil d’État n’invalide son élection en même temps que celles de Julien Ravier et Joëlle Di Quirico, elle a un temps siégé dans le même conseil d’arrondissements que Pauline Rossell. “On évolue avec cette tension de « on est face à des tricheurs », ce n’est pas la même chose”, commente cette dernière. Et l’élue d’ajouter : “Que la justice le reconnaisse et le condamne, c’est un moindre mal. Mais on aurait espéré un combat à la loyale.”

*La personne n’ayant aucun engagement public, le prénom a été changé.

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Commentaires

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  1. MarsKaa MarsKaa

    Que publicité soit faite !
    La droite tricheuse et rancunière veut sa revanche, et tente de camoufler ou minimiser les faits.

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      A sa décharge, c’était pour la bonne cause : pour éviter le “putsch à la cubaine” qui aurait entraîné l’arrivée des chars soviétiques sur La Canebière après un attentat au couteau à beurre contre la cheffe naturelle…

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  2. julijo julijo

    que ce soit l’une ou l’autre des mairies, moraine ou devouge, ou ravier, ou tant d’autres, ils ont triché, certes, mais je reprends effectivement l’expression “c’est pour la bonne cause” !!
    n’oublions pas que la mairie leur a été volée ! il n’y a que la droite qui est légitime à diriger, gouverner.
    alors ils ont anticipé, mais c’était leur devoir….!

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  3. vékiya vékiya

    “la fraude” tant combattue par la droite est un vrai fléau, ils ont raison.

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    • Laurent Malfettes_ Laurent Malfettes_

      De fraude fiscale en fraude électorale, on a été bien servis par les maires gaudinistes du secteur 6/8

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  4. JK JK

    Sachant qu’actuellement Richard OMIROS est employé chez …. 13 habitat !

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