Expérimentation contre la tuberculose : les clefs de la nouvelle affaire Raoult
L'agence du médicament a demandé à la justice d'ouvrir une enquête après les révélations de Mediapart sur le traitement non réglementaire de malades de la tuberculose au sein de l'IHU. Au cœur de l'affaire, l'usage de molécules en dehors de leur autorisation de mise sur le marché est confirmée par l'enquête interne de l'AP-HM. L'IHU défend un traitement "compassionnel" pour des patients résistants aux traitements classiques.
Didier Raoult lors d'une conférence de presse en septembre 2020. (Photo : Emilio Guzmán).
S’agit-il d’essais cliniques sauvages ou de traitements exceptionnels délivrés à des patients résistants aux médicaments classiques ? La question est au cœur d’un bras de fer entre l’IHU de Didier Raoult et les instances de contrôle sanitaire. D’un côté, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) estime que l’IHU de Didier Raoult a réalisé “des études qui auraient dû être menées conformément à la législation encadrant les recherches impliquant la personne humaine” et que “ceci n’est pas admissible”. Elle vient de saisir la justice. Ce vendredi, un article de nos confrères de Mediapart révélait en effet l’utilisation par des membres de l’IHU de médicaments non reconnus pour soigner la tuberculose et aux lourds effets secondaires.
Il s’agit d’une méthode appliquée à plusieurs patients, dont trois ont subi de graves complications, démontre l’enquête titrée “les ravages d’une expérimentation sauvage contre la tuberculose”. “Un gros mensonge”, répond dans une vidéo Youtube Didier Raoult, appuyé par le chef du pôle maladies infectieuses et tropicales de l’AP-HM, hébergé à l’IHU, Phillipe Brouqui. Dans un communiqué, ce proche de Raoult “dément formellement avoir des protocoles de recherche concernant la prise en charge de la tuberculose”. Ce traitement aurait été prescrit “à titre compassionnel”, défendent-ils tous deux. Un argument rejeté par l’AP-HM, tutelle de ce pôle.
Des faits confirmés par l’AP-HM
“Dès la publication de l’article, nous nous sommes réunis avec le directeur général, raconte Jean-Luc Jouve, le président de la commission médicale d’établissement de l’AP-HM. Nous nous sommes dit qu’il fallait au minimum vérifier qu’il ne s’agissait pas de fake news, avant de saisir l’Agence du médicament.” En quelques jours, l’AP-HM mène donc en urgence une enquête interne qui finit par corroborer les faits relatés par Médiapart. “La pharmacie [de l’AP-HM] m’a confirmé que les médicaments en question avaient bien été délivrés entre 2018 et 2019, avec un arrêt brutal en 2020″, poursuit Jean-Luc Jouve. Elle a pu me fournir une liste non exhaustive de cinq patients associés à cette commande.” Un “collège brise-glace”, constitué de médecins assermentés à ouvrir les dossiers médicaux, a ensuite vérifié qu’il s’agissait bien de patients atteints de tuberculose et du protocole défini dans l’article de Mediapart.
Il s’agit en l’occurrence d’une combinaison de quatre antibiotiques, dont seulement deux sont reconnus par l’Organisation mondiale de la santé dans le traitement de la tuberculose. Pourtant, la tuberculose est censée être traitée par au moins trois antituberculeux reconnus. Les deux autres molécules utilisées l’ont donc été hors AMM, comprendre sans autorisation de mise sur le marché avec l’indication revendiquée. Deux molécules qui sont justement celles incriminées dans les complications observées chez les trois patients cités plus haut. À savoir, des insuffisance rénales.
“Histoire clinique et statut social”
Dans son communiqué, Philippe Brouqui ne cite lui que deux molécules. Et comme le hasard fait bien les choses, il s’agit des deux antibiotiques reconnus dans la traitement de la tuberculose. “Parmi les 113 personnes traitées pour une tuberculose entre 2017 et 2021 dans le pôle, 13 présentaient une tuberculose résistante et ont été traités par cette association, écrit-il. À ce jour, plus de 5000 patients ont bénéficié d’un tel traitement dans 17 pays, ce qui ne relève pas d’une stratégie de recherche mais de soin habituel.” Il ajoute : “Par ailleurs, quatre patients ne présentaient pas de bactérie multi-résistante, mais présentaient des facteurs de risques importants d’avoir une résistance du fait de l’histoire clinique et de leur statut social.”
Dans la théorie, les médecins ont en effet le droit de prescrire des médicaments hors AMM, après concertation et lorsque le traitement officiel est inefficace sur le patient. Or, comme le précise lui même le professeur Brouqui, quatre patients ne présentaient pas cette résistance au traitement officiel, ou autrement dit, était sensible à celui-ci. Pourquoi alors avoir prescrit un traitement alternatif ? L’IHU met en avant “l’histoire clinique et le statut social”. Une justification qui fait forcément écho aux patients ayant subi des complications retrouvés par l’AP-HM, dans une situation souvent précaire.
“Il arrive, par exemple dans le traitement psychiatrique d’un SDF dont on sait qu’il sera difficile de lui faire prendre un traitement ordinaire, de prendre en charge de manière différente un patient, hors AMM, explique-t-on depuis la pharmacie de l’AP-HM, qui délivre les médicaments. Pour la tuberculose, cela peut-être le cas, ce sont des traitements ambulatoires, les patients ne sont pas dans un lit à l’hôpital.” Reste à savoir si le traitement hors les clous de l’IHU a été délivré dans ce cadre-là, ou s’il s’agit bien, comme l’affirme sans le moindre doute l’ANSM d’essais cliniques sauvages qui impliquent un grand nombre de patients avec une perte de chance. Difficile de le dire pour le moment.
“Un protocole aouf” ?
“Ce n’est pas notre rôle de le dire. L’ANSM doit le vérifier”, coupe Jean-Luc Jouve qui soulignait ce jeudi dans Le Monde que des patients sensibles au traitement normal sont concernés. “L’argument d’un traitement compassionnel n’est pas opposable”, y disait-il. “Ils ont peut-être protocolisé quelque chose qui n’est pas commun, mais s’ils comptaient faire un protocole aouf, ils vont être emmerdés pour publier… À moins de connaître les rédacteurs en chefs des revues”, glisse avec une pointe d’ironie une autre source au sein de l’AP-HM.
Reste qu’en 2019, l’IHU a fait remonter deux demandes d’autorisations d’essai clinique sur ce traitement précisément. La première a été déposée en août par l’AP-HM elle même. La seconde par Michel Drancourt, le chef du service des hospitalisations de l’IHU. Les deux demandes ont été retoquées par l’ANSM. “La demande a été abandonnée parce que l’Agence, à juste titre, a soulevé un grand nombre de questions sur l’efficacité du traitement et la sécurité des patients”, souligne un membre de l’IHU sous couvert d’anonymat dans l’enquête de Mediapart.
De son côté, l’ANSM a répondu à Marsactu avoir “demandé de l’AP-HM l’ensemble des éléments recueillis dans le cadre de leur enquête interne portant sur des prescriptions hors AMM pour le traitement de la tuberculose multirésistante.” Alors qu’elle a déjà saisi la procureure de la République de Marseille, l’agence ajoute : “Selon ces éléments, nous pourrions être amenés à prendre des mesures complémentaires notamment pour assurer la sécurité des patients traités dans ce cadre.”
Commentaires
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Honte à Médiapart de titrer ” ravages d’une expérimentation sauvage”… pour nous apprendre ensuite que cinq patients ont été traités et deux ont eu de sérieuses complications (dont on ignore tout); que notre Docteur Folamour de la ait franchi les clous:peut-être bien que oui, et sous réserve d’enquête, mais delà à titrer ainsi pour mieux l’abattre est faire du buzz, c’est une pantalonade de parisiens…. et je fais dans la nuance
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bien d’accord avec vous
il semble qu’on accuse l’IHU de choses qui se pratiquent fréquemment
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