Didier Raoult, le dernier noyau des antivax et la petite musique du complot

Didier Raoult, le dernier noyau des antivax et la petite musique du complot

Les irréductibles soutiens du professeur Didier Raoult se sont levés tôt ce vendredi matin. Devant le tribunal correctionnel de Marseille, ils accrochent cette banderole : “S’attaquer au savoir et à l’intégrité scientifique du professeur Didier Raoult est : pitoyable, scandaleux, crapuleux !” Au départ, la banderole avait été accrochée devant une autre entrée du palais de justice. Mais ce n’était pas en face de la bonne salle d’audience. “Même là, ils nous baladent !”, plaisante un homme d’une cinquantaine d’années, en plein dans la moyenne d’âge observée. Un autre nous apostrophe : “Vous êtes un journal indépendant ? Donc ça existe encore ?” Il ne connaît pas Marsactu. Il n’habite pas la région. Et comme Didier Raoult, il est venu au tribunal pour une affaire de diffamation sur les réseaux sociaux, sur fond de controverses autour du Covid.

L’homme s’appelle Marc Doyer. Sa femme Mauricette est décédée d’une maladie rare huit mois après avoir reçu une dose de vaccin. Depuis, il porte son combat sur les réseaux sociaux, et notamment X (anciennement Twitter), où il bénéficie d’une audience de 75 000 abonnés. La cinquantaine de personnes réunies ce vendredi matin ont en commun leur adoration pour “le professeur Didier Raoult” et leur critique du vaccin. Exemple d’une discussion à la volée sur le parvis : “L’ARN, ça fait exploser le muscle du bras. Ça fait du steak haché, c’est un truc de fou !”

Aux côtés de Marc Doyer, on retrouve le célèbre professeur de biochimie Éric Chabrière, qui a travaillé avec Didier Raoult à l’IHU Méditerranée Infection, et qui avait été poursuivi pour diffamation par la fille de ce dernier (avant d’être relaxé). Il avait lui-même annoncé le procès du jour sur les réseaux sociaux. “Oyez Oyez bonnes gens. Vendredi prochain au tribunal correctionnel de Marseille se tiendra le procès des fakemeds [des charlatans, ndlr]. Venez nombreux, journaliste compris. Il va y avoir du lourd”, lit-on. La veille de l’audience, il poste une photo d’une grosse boite de cigares, légendée : “Préparation du procès de demain. Dans la joie et la bonne humeur.”

Une banderole en soutien au professeur Marseillais. (Photo : CMB)

On croise aussi Michèle venue de Gardanne, la mère d’Eva Musso, jeune femme de 30 ans, décédée d’un arrêt cardiaque 8 jours après avoir reçu une dose Pfizer. On parle avec Josefa de Gréasque, vêtue d’un sweat noir floqué “Verity”, qui se présente comme la proche d’une adolescente également décédée. Verity, c’est le nom d’un collectif basé aux Saintes-Marie-de-la-Mer qui rassemble des familles admiratrices du professeur Raoult, persuadées de la dangerosité létale du vaccin contre le Covid. “On est là pour Marc [Doyer], c’est horrible toutes les attaques qu’il a subies sur les réseaux sociaux… On est là aussi pour protester contre le silence médiatique”, cadre Josefa.

France Soir et Pascal Praud

Dans la salle d’audience, trois journalistes marseillais partagent le banc de la presse avec Xavier Azalbert, à la tête du site d’informations complotistes France Soir. L’homme passe l’audience à retranscrire les débats sur X. Tout comme une autre femme dans le public, Amélie Ismaïli, qui se définit sur son compte comme une “journaliste citoyenne en guerre contre l’hypnose collective“. À coups de tweets, de retweets, de citations et de réponses, le procès est presque relaté à la seconde, dans les deux camps.

Didier Raoult est assis au premier rang. Des fans tentent de le prendre en photo, mais la présidente du tribunal rappelle que toute reproduction est interdite dans une salle d’audience. Le procès commence. La première affaire oppose Marc Doyer à Kevin Enhart, connu dans ce petit monde comme le réalisateur d’un film sur le Covid contre la sphère conspirationniste, baptisé État de choc. Le second est poursuivi par le premier pour une série de tweets jugés diffamatoires. Kevin Enhart avait par exemple écrit sur X, en mai 2022 : “Mais vraiment ces tarés osent tout, ils auront profité à fond de l’état de cette pauvre femme”. En avril 2022, il avait déjà accusé Marc Doyer d’être un “mytho” sur les causes du décès de son épouse.

La parole est à Marc Doyer. “Pendant le Covid, je suis allé me faire vacciner, comme beaucoup de Français. Chez mon épouse, les premiers symptômes de sa maladie sont arrivés 15 jours plus tard. Par la suite, un journaliste lance un appel à témoignage sur d’éventuels effets secondaires des vaccins. Comme beaucoup d’autres gens, je réponds à l’appel de ce journaliste, en l’occurrence, il s’agit de Pascal Praud”. Marc Doyer raconte ensuite comme il a “vécu l’horreur” : huit mois au chevet d’un lit médicalisé, une épouse diagnostiquée de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (ou maladie de la vache folle), une affection neurodégénérative. “Quand je lis des messages qui m’accusent d’instrumentaliser ma femme, ben non, j’ai juste essayé de la sauver”, dit-il.

Ces gens sont inarrêtables. Et vous verrez, dans le dossier suivant, c’est encore pire !

L’avocat de Marc Doyer

L’avocat de partie adverse diffuse un extrait sonore d’une discussion dans laquelle Marc Doyer affirme que sa femme “n’est pas morte de la maladie de Creutzfeldt-Jakob“, même si les symptômes y ressemblaient. Et dans tous les cas, les connaissances actuelles établissent que cette maladie met plusieurs années avant de se développer. En défense de Marc Doyer, l’avocat Ludovic Heringuez, bon client de France Soir, estime le veuf victime de “haine”. Il demande 20 000 euros de réparation et parle d’une “société malade”. Il ajoute : “Ces gens sont inarrêtables. Et vous verrez, dans le dossier suivant, c’est encore pire !”

Professeur de maths et chercheuses à l’Inserm

Dossier suivant. Didier Raoult s’avance. Il poursuit en diffamation un internaute connu sous le pseudo de Sonic Urticant. Timide, cet homme se définit comme “un petit professeur de maths, pas habitué aux tribunaux”. Sa voix tremble. Didier Raoult lui reproche des tweets critiquant une étude sur l’hydroxychloroquine. Sonic Urticant est accompagné d’un témoin, Dominique Costagliola, chercheuse émérite à l’Inserm. La scientifique se présente avec un imposant masque FFP2, qui entraîne des rires gras dans la salle. “J’aimerais préciser que depuis que je suis arrivée, que ce soit dans le public ou sur Twitter, je n’arrête pas d’être agressée”, dit-elle.

Brice Grazzini, l’avocat de Didier Raoult, l’interroge : “Avez-vous des liens d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique ?” Pas actuellement, répond la chercheuse. “Vous avez bien touché de l’argent de Gilead [un laboratoire pharmaceutique américain] entre 2011 et 2015 ?” La salle rit encore. “Oui, à titre personnel et avec l’autorisation de mon employeur”, tranche Dominique Costagliola.

De gauche à droite : Marc Doyer (de dos), Xavier Azalbert, Didier Raoult et une militante de Verity. (Photo : CMB)

Puis la parole arrive à Didier Raoult. Il déroule la rhétorique qu’on lui connaît, avec l’assurance qu’on lui connaît. En réponse aux prétendues accusations de plagiat, il répond : “Je ne voudrais pas paraître orgueilleux, j’ai 200 bactéries dans mon laboratoire que je dois découvrir, vous croyez que j’ai le temps de voler celle des autres ?” Sur l’article de Mediapart qui révèle le contenu accablant d’une enquête de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur la gestion de l’IHU, Didier Raoult balaye : “Ils m’ont envoyé neuf inspecteurs, ils sont restés sept mois, on leur a remis 75 000 documents et ils ont trouvé trois bêtises dedans”.

Les débats sortent du cadre. Le professeur déchu parle de ses récompenses internationales, de ses rencontres avec le président de la République et des “1000 bactéries découvertes à l’IHU”. La salle rit encore lorsque la partie adverse avance que “17 000 personnes sont mortes à cause de l’hydroxychloroquine”. On lui demande si oui, ou non, il défend toujours ce traitement, malgré les multiples controverses. “Oui, bien sûr”, conclut Didier Raoult. En trois heures d’audiences, jamais le doute ne surgit. L’affaire est mise en délibéré au 14 mai.

C’était pratique cette histoire de vaccin. Mais un jour, la vérité va sortir. On a une chance immense d’avoir Didier Raoult à Marseille.

Une ancienne soignante

Les soutiens qui ont trouvé salle comble attendent dehors, devant le tribunal. Une petite quinzaine de personnes discutent. Parmi elles, une ancienne soignante, licenciée parce que non vaccinée. “Mais c’était un prétexte”, estime-t-elle. “Ils ont fait un gros dégraissage à l’hôpital. C’était pratique cette histoire de vaccin. Mais un jour, la vérité va sortir. On a une chance immense d’avoir Didier Raoult à Marseille.”

En 2024, Didier Raoult ne rassemble peut-être plus les foules au pied du tribunal correctionnel de Marseille, mais sur les réseaux sociaux, oui. L’audience se termine à peine, et une nouvelle bassesse surgit sur X. Une photo de la chercheuse de l’Inserm qui descend les marches du tribunal marseillais, Marc Doyer à ses côtés. Le chef de France Soir, Xavier Azalbert, assure que son camarade a eu la “courtoisie” de lui proposer de porter sa valise. Dans un deuxième tweet, la chercheuse dément. Dans un troisième tweet, Xavier Azalbert dément la chercheuse qui dément. Et ainsi de suite.