À Martigues, la pollution maritime devenue invisible inquiète l’État et les associations

Décryptage
le 30 Juil 2020
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La semaine dernière une importante quantité de substance toxique s'est déversée dans la Méditerranée, suite à une fuite au sein de l'usine Kem One sur la plateforme de Lavéra à Martigues. Si la pollution n'est plus visible depuis, les causes et l'impact environnemental de cet accident restent à définir.

Le complexe pétrochimique de Lavera. Photo : Didier Duforest, Wikimedia CC.
Le complexe pétrochimique de Lavera. Photo : Didier Duforest, Wikimedia CC.

Le complexe pétrochimique de Lavera. Photo : Didier Duforest, Wikimedia CC.

L'enjeu

Les autorités et l'industriel enquêtent pour déterminer la cause de l'incident. Une analyse doit être prochainement rendue sur son impact environnemental.

Le contexte

Une nappe de 6 hectares de chlorure ferrique a été observée. "Nos mers ne sont pas des décharges", a réagi la ministre de la mer. Plusieurs associations comptent porter plainte.

En quelques heures, l’eau s’est teintée d’une couleur rouille. Ce jeudi 23 juillet, au beau milieu de l’été et de la nuit, une fuite s’est produite au sein de la plateforme industrielle de Lavéra, implantée sur les rives martégales de la Méditerranée. Elle provient du site de Kem One qui produit du chlore et de la soude. Le bac fuyant contenait du chlorure ferrique, une substance fortement irritante et corrosive. Tandis que l’incident est détecté vers une heure et demie du matin, les marins pompiers ne sont alertés qu’en début de matinée. À leur arrivée dans l’anse d’Auguette, ils font des prélèvements et constatent les dégâts. La pollution forme une nappe de six hectares.

En fin de matinée, une arrêté préfectoral est pris : la navigation, la pêche, la plongée et la baignade dans la partie Sud du golfe de Fos, de la plage de Ponteau au cap Couronne sont interdits. L’accident est classé au niveau 3 de dangerosité en ce qui concerne les “matières dangereuses relâchées”, sur une échelle de 6. Mais dès le lendemain “nous avons fait des nouveaux prélèvements. Ceux-ci se sont révélés négatifs, rend compte le service communication des marins pompiers à Marsactu. La solution s’est dissoute, la nature a fait son travail en quelque sorte.” La situation “est maîtrisée” annonce la presse et le vendredi 24 juillet, l‘arrêté préfectoral est levé. Mais si la pollution semble en apparence s’être diluée, l’histoire est loin d’être finie.

Déterminer les circonstances

Ni une ni deux, les réactions s’enchaînent jusqu’au plus haut niveau de l’État. Le maire de Martigues Gaby Charroux s’inquiète des “conséquences prévisibles sur la faune et la flore marine” et rappelle qu’il est “urgent de remettre au cœur des fonctionnements le principe de précaution et de prévention”, écrit-il dans un communiqué. Le tout récent ministère de la mer s’en mêle : “je serai très vigilante sur les raisons avancées par ce groupe et n’hésiterai pas à leur demander des comptes si nécessaire. Nos mers ne sont pas des décharges”, a déclaré dans le foulée la ministre Annick Girardin.

Le site Kem One de Martigues Lavéra.

L’objectif est donc désormais de déterminer les circonstances de cet incident. Une enquête est ainsi en cours. Contactée par Marsactu, la préfecture informe qu’elle ne fera aucun commentaire sur le sujet tant que celle-ci ne sera pas bouclée. En interne, Kem One s’active aussi pour éclaircir ce qui s’est passé. Pour le moment, les questions sont plus nombreuses que les réponses. “Il y a encore pas mal d’incertitudes, c’est un bac qui s’est percé mais nous n’avons pas beaucoup d’informations, entame Michaël Hebrard, délégué syndical CGT de Kem One et chargé de l’enquête interne. Il considère toutefois que l’industriel “joue le jeu. Tout a été sécurisé jeudi et la direction a décidé d’arrêter les activités de l’atelier concerné.” Car pour trouver l’origine du problème, il faut se glisser au cœur de l’outil de production.

Un bac de plusieurs centaines de litres* et du produit corrosif

“Il faut maintenant entrer dans ce bac de plusieurs centaines de litres* qui contient du produit corrosif. La priorité est donc de l’assainir”, poursuit le syndicaliste. Comment une fuite a-t-elle pu se produire à cet endroit ? L’installation était-elle vieillissante ? Mal entretenue ? L’année dernière, plusieurs mises en demeure ont été adressées à l’industriel.

il n’y a pas d’inspection draconienne sur ces bacs. On ne fait pas du chocolat mais ce produit n’est régi que par le code du travail.

Michaël Hebrard, syndicaliste CGT

L’une d’elle date de décembre et fait état de la nécessité de mettre en place des “mesures de protections des stockages de chlore contre les effets dominos”. “Les installations exploitée peuvent être à l’origine d’un événement susceptible de porter atteintes au code de l’environnement”, précise le document. Mais tandis que la préfecture se refuse à tous commentaire, l’industriel assure à Marsactu que cette mise en demeure n’est pas en lien avec l’accident qui s’est produit la semaine dernière. Même son de cloche du côté du syndicaliste : “Il n’y a eu aucune mise en demeure sur ces types de bacs. Normalement, il n’y a pas d’inspection draconienne sur ces bacs, comme il peut y avoir sur d’autres. La loi n’impose pas de vérification. On ne fait pas du chocolat mais ce produit n’est régi que par le code du travail”, développe Michaël Hebrard. Pour ce dernier, la probabilité pour que cet accident se produise est infime, car il s’agirait en fait d’incidents en chaîne.

Une fuite puis une fissure

Dans un communiqué, l’association de défense de l’environnement FNE PACA s’étonne que “sur un tel site à risques (Seveso seuil haut), une fuite sur un bac de stockage puisse aboutir quasi-directement à la mer, sans zone « tampon ».” La réalité est un peu plus complexe. “Ce n’est pas directement relié à la mer. Il y a eu une fuite dans une sorte de gros bidon et une fissure dans le bac de rétention dans lequel se trouvait ce bidon”, relate le syndicaliste CGT. Tandis que ce dernier parle ensuite d’un “débordement”, la direction de Kem One évoque en d’autres termes “un épandage accidentel de cette fuite vers le réseau d’égout pluvial, ayant entraîné un rejet liquide vers l’anse d’Auguette”.

Ensuite, tout est allé très vite raconte Michaël Hebrard. “Les gars ont réagi rapidement pour essayer de détourner la fuite, mais c’était déjà trop tard. Je ne fait que leur dire qu’ils n’auraient pas pu faire grand-chose de plus, tente-t-il de rassurer. L’équipe qui était en poste n’est pas bien. Même pour nous, cette pollution est choquante.” Si les mesures d’urgence ont été appliquées rapidement, la préfecture s’inquiète de celles-ci. Dans un arrêté publié au lendemain de l’accident, elle précise : “Les mesures prises en urgence pour limiter la fuite de chlorure ferrique à l’extérieur du site ont conduit à le stocker temporairement dans des équipements et infrastructures non prévues à cet effet”. Pour elle, cette récupération à l’improviste des substances toxiques peut “être à l’origine d’une dispersion des substances potentiellement polluantes”.

L’impact de ce polluant peut faire des nécroses sur les organismes vivants et une mortalité qui ne sera pas visible tout de suite. La nappe a disparu en surface, mais toute la colonne d’eau est à prendre en compte.

Charlotte Nithart de l’association Robin des bois

Kem One ne souhaite pas commenter plus en avant l’incident ni ses conséquences. “Nous sommes très occupés à essayer de déterminer les causes qui sont assez complexes. Pour le moment on ne peut pas répondre en détail et l’on réserve nos réponses techniques aux autorités”, coupe court le service communication. L’enquête des autorités et celle menée en interne devront définir précisément pourquoi et comment les verrous de protection ont sauté. Et surtout, comment éviter que cela ne se reproduise. D’ici à une semaine, l’industriel doit rendre à la préfecture un rapport d’accident.

Impact environnemental inconnu mais craint

Dans son arrêté, la préfecture pointe aussi “la possibilité d’une présence de polluants sur les fonds marins”. Elle demande donc également à Kem One de fournir une étude d’impact environnemental. Cette analyse, si elle doit être réalisée avec l’aide d’un “expert national reconnu”, reste une prestation qui sera réglée par l’industriel ou par son assurance. De quoi interroger sur son indépendance. Quoi qu’il en soit, ces conclusions doivent être transmises aux autorités sous sept jours à compter de la date de publication de l’arrêté. Autrement dit, ce vendredi.

Les associations de défense de l’environnement comptent bien porter plainte. FNE PACA étudie actuellement une plainte pour pollution de l’eau à l’encontre de l’industriel. “Nous n’avons pas encore tous les éléments mais nous allons déposer et on verra bien ce que l’on récupère par la suite”, glisse-t-on au service juridique. “C’est une zone très riche en biodiversité qui a été touchée (herbiers de posidonie, oursins, coraux…) : une nouvelle catastrophe environnementale sur ce territoire déjà très impacté par la pollution de l’air”, écrit l’association dans un communiqué. L’association Sea Shepherd a annoncé se joindre à la procédure.

Dans la même veine, l’association Robin des bois alerte : “ce que l’on veut c’est qu’il y ait un suivi sur le long terme. Il y a sur cette zone des habitats protégés : des herbiers de posidonie, des coraux. L’impact de ce polluant peut faire des nécroses sur les organismes vivants et une mortalité qui ne sera pas visible tout de suite. La nappe a disparu en surface, mais toute la colonne d’eau est à prendre en compte. Beaucoup de pollutions sont invisibles et pourtant très nocives”, déclare sa porte parole Charlotte Nithart, qui a également l’intention de porter plainte. Les riverains, la faune et la flore du bassin industriel de Fos en savent quelque chose.

*Modification apportée le 09/10/2020, il s’agit de litres et non de tonnes comme nous l’avions écrit.

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Commentaires

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  1. Jacques89 Jacques89

    http://videos.assemblee-nationale.fr/video.9405096_5f201f7b7070d.1ere-seance–questions-au-gouvernement–bioethique-deuxieme-lecture-suite-28-juillet-2020

    Vétusté des entreprises chimiques

    · M. Pierre Dharréville

    · Mme Barbara Pompili, ministre

    Assemblée Nationale, Barbara Pompili répondait à une question de Pierre Dharréville au sujet de la fuite de Chlorure ferrique à l’usine de Lavéra.

    En résumé, il s’agissait de demander au gouvernement ce qu’il comptait faire pour garantir des contrôles efficaces sur les ICPE (Installations Classées pour la Protection de l’Environnement). Notre ministre de l’écologie a en gros répondu que les services de l’Etat étaient en cours d’analyse de la situation, que les plages étaient rouvertes et que l’entreprise devra nettoyer. Elle n’a pas dit comment.

    Demander à une entreprise de retirer le chlorure ferrique (des sels de fer utilisés notamment pour traiter les phosphates dans les stations d’épuration) de la mer c’est un peu comme si vous demandiez à un barman de retirer le sirop d’orgeat d’une moresque (pastis + orgeat) une fois qu’il vous a servi. Ce ne sont pas les remaniements ministériels qui empêchent les ministres de continuer à prendre les gens pour cons. A moins que ce soit une directive…
    Le chlorure ferrique serait-il aussi dangereux à Lavéra …. et « purificateur » à La Ciotat et Cassis ? “On en met dans les jardins…” qu’elle disait Mme la Maire de Cassis pour justifier les colonnes de liquide noir qui sortaient du tuyau de sa station. Certes, mais pas sous cette forme.
    https://blogs.mediapart.fr/jacques89/blog/300619/le-rouge-et-le-noir-ou-inversement

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