Deux architectes proposent d’offrir une nouvelle vie au trois-fenêtres marseillais
Dans le centre-ville de Marseille, des milliers d'immeubles à trois fenêtres symbolisent à la fois une façon de bâtir traditionnelle et la dégradation de l'habitat ancien. Deux architectes, Aude Tissot et Elsa Glénat ont inventé un protocole pour aider à réhabiliter ces immeubles.
Un trois-fenêtres du centre-ville aux persiennes closes. (Photo : B.G.)
Il n’est pas encore entré dans le panthéon galvaudé de la marseillité, mais il a tout pour y figurer aux côtés de la Bonne-Mère, du Vélodrome, du Vieux-Port, ou du vallon des Auffes. Marseillais en diable, l’immeuble à trois-fenêtres est à la fois célébré et honni. Figure de l’habitat ancien du centre-ville, il en constitue le paysage jusqu’aux faubourgs, couvrant selon certaines statistiques non recoupées jusqu’à 20 % du bâti. Préservé dans le cadre du site patrimonial remarquable de Marseille, cet immeuble de 17 mètres de large offre un visage à la ville. Il est également le symbole décati de l’habitat dégradé, indigne, voire mortel depuis l’effondrement de trois immeubles de ce type, le 5 novembre 2018.
Depuis cette date, la rénovation du centre-ancien est repassée en tête de liste des priorités publiques. Le trois-fenêtres doit donc trouver une nouvelle vie, entre désir des uns de remplacer cette architecture médiocre et souci des autres de conserver son caractère unique aux quartiers populaires. Or, la réussite du projet de rénovation porté conjointement par la Ville, la métropole et l’État dépend surtout de la capacité des propriétaires eux-mêmes à prendre soin, préserver, voire faire évoluer leur bâti.
Deux architectes marseillaises, Elsa Glénat et Aude Tissot, se sont penchées sérieusement sur la question, au point d’en tirer une méthode soutenue par la mission Prospective et innovation de la métropole. Depuis cet été, elles sont lauréates d’un appel à manifestation d’intérêt national, sobrement intitulé “engagés pour la qualité du logement de demain”. Pour l’heure, cette marque de reconnaissance n’a pas dépassé le joli macaron, posé dans un coin de leur cabinet partagé. Elles piaffent d’impatience de donner un tour complet à cette méthode qu’elles ont résumée par l’acronyme Hop pour “habiter, œuvrer, penser”.
Le trois-fenêtres ne traduisait pas une hiérarchie sociale. Les appartements traversants ont tous la même superficie.
Aude Tissot, architecte
Derrière l’acronyme surtitré “désirs d’habiter”, elles ont bâti une méthode qu’elles offrent en piste collective aux syndics, copropriétaires, institutions publiques et collègues architectes. Pour la construire, elles sont parties des qualités intrinsèques de ce bâti modeste. “Contrairement à l’image classique de l’immeuble haussmannien, le trois-fenêtres ne traduisait pas une hiérarchie sociale, explique Aude Tissot. Les appartements traversants ont tous la même superficie. Avec souvent, au départ, une seule famille qui se retrouve dans les différents niveaux“. C’est le cas dans l’immeuble où la jeune femme habite et qu’elles ont proposé comme modèle de leur approche. “Le papy avait un commerce en rez-de-chaussée, une famille à l’étage et les tantes dans des appartements, au-dessus“, raconte-t-elle.
Des persiennes aux tuiles, les qualités du trois-fenêtres
Outre ce principe d’égalité sociale qui a, peu ou prou, perduré, le trois-fenêtres offre également des qualités architecturales qui s’inscrivent parfaitement dans les objectifs de sobriété nécessaires à la transition écologique. “L’immeuble offre des qualités de ventilation traditionnelle, à la fois parce que le plus souvent les appartements sont traversants avec les grandes fenêtres, équipées de persiennes qui permettent de réguler l’ensoleillement, décrit Elsa Glénat. Les caves, quand il y en a, comme les puits de lumière, peuvent offrir des sources de rafraîchissement naturel. De la même manière, on peut agrandir les fenêtres sur la façade arrière pour garantir un ensoleillement maximum et réduire le chauffage“.
Même l’absence de murs porteurs – chaque immeuble partageant un mur avec son voisin – permet de réfléchir les étages en plateau modulable, en prenant soin de ne pas supprimer les cloisons sans renforcer les poutres. L’usage des persiennes comme des carreaux de terres cuites sous la toiture en tuiles permettent de réguler la chaleur en période de canicule, “en tout cas mieux qu’un volet roulant“.
Un travail collectif avant tout
Une fois ces qualités mises en avant, elles ne suffisent pas pour autant à assurer la pérennité du trois-fenêtres. Le nombre d’immeubles barrés de chaînes ou bardés de fer suffit à le démontrer. C’est là que le protocole mis sur pied par les anciennes copines d’école exploite une piste intéressante. “Le premier principe est celui du collectif, poursuit Elsa Glénat. Dans un immeuble, les parties communes qui appartiennent à la copropriété sont clairement majoritaires. Les caves, le toit, les façades, l’escalier, les combles et même les planchers relèvent de décisions collectives“.
Leur protocole propose de partir de ce “collectif habitant” pour repenser dans le temps l’immeuble et ses évolutions. “Nous proposons de réfléchir l’évolution de l’immeuble sur une échelle de 100 ans en hiérarchisant les actions à entreprendre“, raconte Aude Tissot. Sa collègue Elsa qui intervient fréquemment en appui à des projets privés, déborde d’anecdotes sur des copropriétés en crise faute de priorités posées dans le bon ordre.
Elle prend pour exemple ce bâtiment de Belsunce dont elle suit le ravalement de façade. “Le ravalement doit être accompagné d’un diagnostic des structures de l’immeuble, raconte-t-elle. Celui-ci a révélé un fléchissement des poutres d’un des planchers. Le propriétaire a dit qu’il avait fait les travaux et ça s’est arrêté là. En revanche, le dossier bute sur le local commercial, car l’architecte des Bâtiments de France a des prescriptions précises sur la devanture“. C’est en effet une des règles adossées au périmètre labellisé site patrimonial remarquable, qui impose une devanture en bois et proscrit les enseignes en plastique et néon. Résultat, la façade n’est toujours pas finalisée et le désordre structurel reste dans le flou…
Réparer les structures avant de ravaler les façades
Si elle ne s’oppose pas à cette volonté d’embellissement, l’architecte y voit le symptôme de priorités prises à l’envers. “C’est le cas d’une autre copropriété de Belsunce qui tenait plus que tout à ravaler la façade de l’immeuble et avec qui il a fallu batailler pour les convaincre d’entreprendre d’abord des travaux de mise en sécurité de leur bâti“, décrit-elle.
Pour remettre dans le bon ordre ces priorités, les deux consœurs proposent de démarrer par l’intervention d’un architecte, en appui du syndic. Elles prêchent ainsi pour leur propre profession et ne s’en cachent pas. “C’est pour nous, une manière de réaffirmer l’utilité publique de l’architecte, reprend Elsa Glénat. En intervenant très en amont, il doit permettre de guider le syndic et les copropriétaires en établissant un diagnostic complet de la construction en faisant intervenir des bureaux d’études. À partir de là, il s’agit de se projeter sur une échelle de temps longue : sur cinq ans, résoudre les urgences structurelles et sanitaires, sur dix ans, réaliser les travaux d’entretien comme le ravalement de façade et sur 100 ans les travaux de transformation ou de confort“.
Le duo recommande d’étaler les priorités sur des périodes de cinq à cent ans.
Ce diagnostic partagé – y compris avec les institutions locales – doit permettre de dépasser les grandes opérations qui ravalent des quartiers entiers sans se soucier du bâti derrière les façades. Cela permet également de lisser, sur un temps long, les travaux et, en prenant à temps les plus lourds d’entre eux, de faire de la prévention plutôt que de la réparation. Pour cela, il faut que la relation entre syndic et copropriétaires ne soit pas placée sous le signe de la défiance, une gageure à Marseille.
Faire évoluer le bâtiment en fonction des usages
Il doit aussi permettre de réfléchir autrement les parties collectives en s’adaptant aux formes d’occupation. “Le travail avec les copropriétaires sur leur façon d’habiter peut permettre de faire évoluer le local du rez-de-chaussée vers un autre usage que le commercial, poursuit Aude Tissot. Cela peut être une salle de jeux partagée, une buanderie commune comme cela se fait beaucoup en Hollande par exemple ou un bureau partagé pour le télétravail“.
Pour l’heure, elle cherche encore un immeuble où la copropriété serait prête à jouer le jeu de ce protocole. Le soutien de la métropole n’a pas encore débouché sur une forme concrète. “Cela peut être à Marseille, mais la problématique de l’habitat ancien et ce que propose notre protocole peut être mise en œuvre à Lille comme ici“, note Aude Tissot.
En attendant, ensemble, elles répondent à des appels d’offre de la société publique locale chargée de rénover un vaste secteur de la ville (SPLA-IN) ou à ceux du bailleur social Marseille habitat qui possède encore dans son patrimoine quelques trois-fenêtres marseillais bien abimés.
Récemment, le duo a déposé un dossier pour un petit immeuble de la place de Lenche qui a longtemps accueilli une pharmacie en rez-de-chaussée. Dans l’opposition, Benoît Payan en avait le symbole des dérives de l’ère Gaudin. À peine élu maire, il en faisait le théâtre d’une nouvelle gestion du patrimoine municipale. Entre les mains des architectes, l’objet politique redeviendrait un lieu de vie.
Commentaires
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Cher Benoît Gilles. Article intéressant dans l’esprit mais peu technique et concret.Avez vous un lien où il est possible d’avoir des données qui puissent alimenter ma curiosité et mon intérêt ?.
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Bonjour, vous trouverez des éléments plus techniques dans cet article de nos confrères du Moniteur. https://www.lemoniteur.fr/article/aix-marseille-provence-le-logement-innovant-cherche-a-maitriser-les-couts.2212052
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Pour avoir abordé ces questions il y a bien longtemps, j’ai gardé le souvenir de deux handicaps majeurs de nos vieux immeubles du centre: de très nombreux appartements non traversants, par suite de constructions remplissant les cours arrières d’ou un inconfort structurel.Par ailleurs les surfaces des appartements ( effet de la trame) sont tres semblales les unes aux autres et ne permettent pas d accueillir des foyers de taille très diversifiée. Si mon diagnostic est pertinent: une seule solution s impose: travailler au niveau de l ilot , du groupe d immeubles, cureter les arrières pour faire entrer de la lumière,coupler des 3fenêtres mitoyens pour varier les tailles et expositions des appartements en leur donnant le confort indispensable pour une vie résidente.C’est un lourd travail de puissance publique ( planification, expropriation des points durs…) associant autant que possible les copropriétaires, mais me semble-t-il le seul moyen de redonner vie de qualité au vieux centre de Marseille.Tous les replatrages cosmétiques des facades sont de l argent jeté par les fenêtres, quelles soient deux ou trois
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+++ je plussoie
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Vous avez tout dit !
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Merci Benoît.
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Enfin du bon sens voire de l’évidence: refaire la structure avant de refaire l’enduit de façade …. mais on aime tant le cache misère et le paraître à Marseille.
Merci Mesdames les architectes de le dire et démontrer que c’est faisable.
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