Derrière l’enfumage, que rapportent vraiment les croisières à Marseille ?
Dans les discours des responsables politiques et économiques, le croisiériste est soit une vache à lait, soit l'acteur incontournable de la relance du port. Mais les chiffres avancés sur les retombées économiques de cette nouvelle industrie manquent souvent de précision et de nuances.
Derrière l’enfumage, que rapportent vraiment les croisières à Marseille ?
“Le tourisme appuyé sur la culture” : c’est la stratégie de développement économique affirmée la semaine dernière par Jean-Claude Gaudin. Le secteur en plein essor des croisières en constitue la tête de pont, symbolisée par ces immeubles des mers qui défilent au cap Janet – et depuis peu au J4 pour les bateaux plus petits, orientés grand luxe. C’est en partie pour leurs passagers très courtisés que se construit à la Joliette le gigantesque centre commercial des Terrasses du port (450 millions d’euros). Mais l’enthousiasme des responsables locaux gomme souvent les limites de cette activité, pour le port comme pour la ville. Revue de détails en quatre volets.
1 Marseille est devenue la capitale de la croisière
Cette fois-ci c’est la bonne. À la faveur de 2013, année touristique – pardon culturelle – le port de Marseille devrait atteindre la barre symbolique du million de croisiéristes, initialement espéré pour 2010. Ce retard n’entame pas l’ambition des professionnels : le président du club de la croisière Jaques Truau vise 1,5 à 1,8 millions dès 2015.
Mais si la progression de Marseille a été fulgurante (elle n’a accueilli en 1995 que 18 500 passagers, 360 000 en 2005 [1]), elle n’a pas été le seul port méditerranéen à profiter du boom des croisières. Barcelone, qui reste le n°1, a presque doublé ses croisiéristes en six ans, ce qu’ont réussi les deux autres villes sur le podium – Civitavecchia, le “port de Rome”, et Venise. Le top 5 méditerranéen, objectif affiché, n’est pas pour tout de suite…
Sur le plan français, Marseille a toutefois gagné ses galons de capitale. Dans le même temps, Toulon tirait son épingle du jeu à une moindre échelle, mais les ports de la French Riviera connaissaient des hauts et des bas autour de 700 000 passagers. Un signe qu’en cas de tassement du marché, la concurrence pour les escales pourrait devenir rude, à l’instar de celles dont jouent les compagnies low-cost entre les aéroport régionaux.
2 La croisière est devenue plus importante que les ferries
C’est une coïncidence. En plus du très attendu million, le millésime 2013 offre un deuxième symbole, qui n’a pas échappé à la mairie : le nombre de croisiéristes a pour la première fois dépassé celui des passagers des lignes régulières (Corse et Maghreb). Mais les apparences du nombre sont trompeuses en terme de poids économique pour le port. Un passager pour la Corse lui amène en effet davantage de revenus qu’un croisiériste, tout comme un poste à quai occupé par un cargo amène davantage d’activité (manutention…) qu’un paquebot. “La croisière est un trafic plus rentable pour le territoire que pour le port lui-même”, résumait récemment le président du port Jean-Claude Terrier.
Or, le développement de la croisière ne se fait pas sans aménagements. “Le port a déjà investi 40 millions d’euros dans des terminaux et des postes à quai, calculait Jacques Truau sur notre plateau. Mais c’est vrai qu’ils nous faut continuer à investir dans les infrastructures car avec 1 million de passagers, on sera quasiment à saturation.” Autre chantier considérable : l’élargissement de la passe Nord, prévu pour 2016, nécessitera 35 millions d’euros. Le développement de la croisière ouvre toutefois des perspectives pour d’autres activités, comme la réparation navale. La forme 10 pourrait ainsi devenir le garage des paquebots de Méditerranée, moyennant une vingtaine de millions d’euros qu’il reste encore à trouver.
3 La croisière, c’est 110 M€ de retombées économiques
Ces investissements ne sont-ils pas le prix à payer pour attirer à Marseille les fameuses “retombées économiques” ? Le chiffre couramment avancé devrait suffire à mettre tout le monde d’accord : elles se monteraient à 110 millions d’euros pour 2011. Dans le détail, cette étude du Club de la croisière appelle toutefois quelques réserves. Il ne s’agit tout d’abord que d’une extrapolation à l’année 2011 des résultats d’un travail mené sur des chiffres de 2008, qui concluait à 72 millions d’euros d’impact.
Surtout, à regarder le détail (voir ci-dessus), ce montant global est sans commune mesure avec l’image du précieux croisiériste faisant tourner le commerce local avec sa carte bleue. Ces achats (boutiques, restos, excursions…) ne représentent en fait “que” 28 millions d’euros. Le reste est composé des prestations facturées par le port – qui pourrait en théorie gagner davantage avec d’autres activités – et surtout de “l’impact induit”. Aussi connu sous le nom d’“effet de levier”, il consiste ici à multiplier par 1,9 les chiffres précédents pour prendre en compte “les dépenses en cascade des différents fournisseurs” (la boutique achète son huile d’olive à un grossiste qui lui-même etc.). Soit tout de même au final 72 millions d’euros, 65% du montant global des “retombées”.
4 Les croisiéristes dépensent 150 euros à Marseille
S’il n’est pas trompeur de procéder à ce genre de multiplications, il n’est pas non plus interdit de se concentrer sur les dépenses provenant directement du porte-monnaie des croisiéristes. On ne sait pas comment le Club de la croisière a arrêté un chiffre précis tant les estimations sont floues, en tout cas très variables. Exemple : quelle part des passagers en escale descendent de leur bateau ? Difficile de répondre, si ce n’est par une fourchette large entre 70% et 95%, suivant les compagnies, la période, etc.
Poussons plus loin. Disons que trois-quarts mettent pied à terre, avec une dépense, à la louche, de 50 euros. Combien choisissent en fait une visite de la “Provence éternelle” (Aix, les Baux, Arles…) comme le résumait une responsable du port lors d’un congrès en 2012 ? Un tiers, la moitié, davantage… choisissez la réponse qui vous arrange, personne ne pourra vous contredire. C’est toujours ça de gagné pour la métropole grâce à Marseille… Du côté de la mairie, on assure cependant qu’elle attire une part croissante, malgré les difficultés pour rejoindre le centre depuis le Cap Janet. Mais une autre tendance pourrait mettre à mal ce signe positif : comme l’a formulé un dirigeant de MSC, cet été lors d’un salon maritime à Marseille, les bateaux construits sont de plus en plus gros, afin d’offrir à bord le maximum de services. Faut-il vraiment descendre lorsqu’on a, compris dans sa croisière, court de tennis, hammam ou… casino ?
La stratégie est donc de privilégier les “têtes de ligne”, c’est-à-dire les croisières qui démarrent ou se terminent à Marseille, qui représentent aujourd’hui un tiers des passagers. Ces bateaux font davantage travailler les services portuaires et leurs clients effectuent parfois un séjour avant ou après leur croisière, avec dans ce cas une facture bien supérieure à ceux qui ne font qu’une escale (les 150 euros souvent avancés). Banco ? Pas si vite : les trois-quarts se contentent d’embarquer/débarquer sans dépenser un centime à Marseille…
[1] Sauf mention contraire, tous les chiffres sont issus du Club de la croisière ou de Med Cruise, l’association des ports de croisière méditerranéens. Retour à l’article.
Zoom sur le marché de la croisière à Marseille (mars 2010), qui détaille notamment l’étude de retombées économiques :
Commentaires
L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.
Vous avez un compte ?
Mot de passe oublié ?Ajouter un compte Facebook ?
Nouveau sur Marsactu ?
S'inscrire
Je ne sais pas si le but de cet article est de critiquer la réussite de Gaudin en matière de développement touristique.
Pour ma part, j’ai déjà embarqué à Marseille 4 ou 5 fois en 7 ou 8 ans. C’est donc un service qui m’est offert, en tant que résident.
De nombreux amis se déplacent à Marseille pour embarquer avec nous…. ça fait des restaus en ville, du shopping avant vacances, des week end à Marseille.
Il faudrait cependant que la ville contacte COSTA pour qu’ils changent la présentation de Marseille. Dans la borchure quotidienne qui est déposée dans les cabines, COSTA évoque la 1ere ville musulmane de France et ne parle que de mosquées, de violence et de population d’Afrique du nord et des comores… Juste à côté, ils tentent de vendre des excursions hors de prix vers Aix, les baux ou Arles… la ficelle est un peu grosse: n’allez pas à Marseille, ville qui craint, et allez plutôt en Provence. Le personnel de COSTA met en garde les braves touristes contre Marseille…
Se connecter pour écrire un commentaire.
Je suis en partie d’accord avec ce qui est dit dans cet article et mon but et de pointer également les effets collatéraux de ce type de politique à la petite semelle que s’approprie depuis quelques temps déjà la droite républicaine conservatrice. C’est une bonne manière pour elle de promouvoir aussi son attachement à la culture dans une logique de développement économique des territoires par le biais de la culture. Sauf que ce genre de logique économique n’a pour seul objectif que de créer de l’emploi dans un secteur professionnel qui est historiquement attaché à la cause idéologique de la droite républicaine. Elle ne produit que du sous emploi et de la précarité sociale dans les secteurs de l’hotellerie et du petits commerces locaux. Le bilan dans quelques décennies sera pitoyable sur le plan économique et de l’emploi et les marseillais serons devenus en quelques années les loufias au botte des grands capitaux qui investissent à grands coups de millions d’euros dans le but d’accuellir les masses de touristes étrangers.
Se connecter pour écrire un commentaire.
Encore une fois on parle que des retombées mais pas de ce que ça coûte. Les retombées ne veulent strictement rien dire en absolu. C’est comme si on donne un chiffre d’affaires sans donner les coûts nécessaires et à mettre en oeuvre pour y parvenir
110 millions d’euros de retombées annuelles me semblent très maigres si on le rapporte aux coûts de ces croisières pour la collectivité. (Rappelons les nombreux cadeaux et investissements faits pour les faire venir)
la vraie question est de savoir pour 100 euros investis par les collectivités, combien ça rapporte et combien ça rapporterait ailleurs (si par exemple, au hasard, on créait une silicon valley de l’énergie solaire à Marseille)
Et de se demander si ces 100 euros ne devraient pas plutôt être utilisés pour faire venir des entreprises, accompagner des créateurs pour recréer un tissu etc…
Se connecter pour écrire un commentaire.
L’avenir de Marseille fut, reste et sera toujours le port, la façade maritime, les échanges directs ou indirects qui lui sont liés.
Les projets se justifient et se lancent :
– soit parce qu’ils sont économiquement profitables (ROI, retour sur investissement) et là, le calcul et sa précision présente de l’interêt. Lesquels faire ? Lesquels abandonner ?
– soit par qu’ils sont règlementaires (obsolescence, obligation juridique, sécurité) et là, l’investissement se contraint. Comment remplir toutes ses obligations au moindre coût ?
– soit parce qu’ils sont stratégiques et là, le retour sur investissement conforte juste la vision : y être est une question de survie. Ne pas y être, c’est sortir/abandonner à terme un marché concurrentiel (au profit de quel autre ?).
L’interêt de l’article / du sujet est plus dans l’analyse qualitive (quels natures de retours) que dans l’exegese d’un calcul economique par définition et par avance hasardeux et discutable.
La vraie question à discuter est : existe-t-il un meilleur emploi, pour Marseille et son développement, de ces investissements en grande partie publics ? Quel équilibre croisiéristes / frets ? Lesquels sont plus stratégiques pource que veut devenir Marseille ?
Se connecter pour écrire un commentaire.
Ce n’est pas ce que dépensent les croisiéristes qui est important, c’est le business de la réparation navale des navires de croisières, qui n’est absolumment pas mentionné dans l’article et qui pourtant constitue le futur pilier de l’activité économique du port pour les prochaines années. Renseignez-vous au sujet du Chantier Naval de Marseille et des projets autour de la forme 10 des bassins Est du GPMM, destinés à positionner marseille comme leader sur le marché de la réparation des plus grands navires en méditerranée. Voir article suivant
http://www.laprovence.com/article/actualites/1057405/marseille-la-reparation-navale-fait-son-grand-retour.html
Se connecter pour écrire un commentaire.
Il y a 3 ans, mon fils travaillait sur un bateau de croisière américain qui s’est arrêté à Marseille pour maintenance au port à sec.
Dès l’arrivée du bateau, 150 artisans italiens attendaient sur le quai pour la remise en peinture et décoration du bateau.
Evidemment, leur hébergement et nourriture étaient prévus à bord …
Se connecter pour écrire un commentaire.