David Bertin, accusé de louer des combles inhabitables : “je fais ce que je veux”

Reportage
le 16 Mai 2024
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Multi-propriétaire mis en cause dans plusieurs affaires, David Bertin comparaissait pour la première fois pour une affaire de logement indigne. Boulevard de la Libération, il louait un appartement sous les combles de moins de neuf mètres carrés habitables. Il risque six mois de prison ferme.

Une vue de la pièce principale, au 70 rue de la Libération. (Photo : D.R.)
Une vue de la pièce principale, au 70 rue de la Libération. (Photo : D.R.)

Une vue de la pièce principale, au 70 rue de la Libération. (Photo : D.R.)

Il trépigne, fait non de la tête, s’exclame et maugrée. David Bertin a été patient toute la journée, au fil d’une audience de la sixième chambre correctionnelle qui s’est étirée entre l’affaire d’un secrétaire de mairie adepte des piqûres de botox au black et une montagne de déchets sur la route d’Allauch. Lui comparaît pour soumission de personne vulnérable à des conditions d’hébergement contraires à la dignité. Comme l’a révélé La Marseillaise, en janvier 2022, ce multi-propriétaire louait à des femmes isolées, des appartements aménagés dans les combles d’un “immeuble bourgeois” comme il le définit lui-même, au 70, boulevard de la Libération.

L’une d’elle, madame B, a fini par faire un signalement à la mairie qui a diligenté son service d’hygiène. Cette visite a débouché sur un arrêté d’insalubrité. Le texte fait état d’une absence de ventilation, de système chauffage ou de différentiel sur le boîtier électrique. Mais surtout, il pointe la surface et le volume du logis qui ne dispose pas, comme le demande la loi, d’une pièce principale d’une surface supérieure à 9 mètres carrés sous un plafond supérieur à 1,80 mètre.

Marchand de sommeil et Airbnb

Si David Bertin s’énerve sur le banc des prévenus, c’est qu’il ne supporte pas d’entendre l’avocat de la Ville de Marseille, le qualifier à plusieurs reprises “de marchand de sommeil“. Son énervement est tel que la présidente, Stéphanie Donjon, est obligée de le reprendre sévèrement. “Mais, c’est pas vrai ce qu’il dit“, peste le prévenu. À la fin du procès, pour ses derniers mots, il revient sur cet incident : “être un marchand de sommeil, c’est quoi, la définition ? C’est louer des appartements entièrement meublés, refaits à neuf, en Airbnb ? Vous croyez que les touristes, ils entrent dans des taudis ? Marchand de rêve, oui…

La mention des meublés touristiques n’est pas anodine. Car David Bertin n’est pas un inconnu des lecteurs de Marsactu. En 2019, il a été écroué en détention provisoire pour avoir loué un appartement frappé d’arrêté de péril à des touristes. Il a récidivé en décembre 2020. Par ailleurs, l’un des immeubles qu’il destinait à la location touristique, rue du Musée, à Noailles, a bénéficié d’importantes subventions de l’agence nationale d’amélioration de l’habitat. Un financement qui lui imposait de louer à des conditions sociales et aucunement d’en faire des meublés touristiques. Ces affaires lui valent plusieurs mises en examen dans des instructions toujours en cours.

“On va se revoir”

Le procureur Guillaume Bricier se plaît à le rappeler dans son réquisitoire, comme il cite sa récente condamnation pour des infractions à l’urbanisme. “Mais j’ai fait appel“, intervient David Bertin. Puis laisse planer un “on va se revoir“, un rien menaçant à l’intention du magistrat, quand il évoque une autre audience à venir, à propos d’une construction sans permis. Une maisonnette construite à la place d’un poulailler, toujours au 70, de la Libération.

Cet amoncèlement de dossiers ne semble pas déranger le professionnel de l’immobilier, très à l’aise à la barre, au point qu’il tutoie par ricochet la présidente quand il évoque les relations exécrables avec sa locataire. “On peut rien lui dire, elle t’insulte“, décrit-il, nature peinture. “Je suis propriétaire, je fais ce que je veux“, ose-t-il encore, avant d’être recadré par la présidente.

C’est que sur les 20 appartements, j’ai des logements sociaux où les loyers sont à 200, 300 euros. D’autres sont à 600. Et puis j’ai des impayés, des charges, des remboursements de crédit.

David Bertin

Il est comme ça, David Bertin, toujours à peu près. La magistrate l’interroge sur les revenus qu’il tire de la profession de gestionnaire de société, en l’occurrence 20 appartements mis en location, il cite un salaire de 4500 euros. Mais quand le tribunal l’interroge sur le décompte en loyers de ses revenus, il se perd dans l’addition : “C’est que sur les 20 appartements, j’ai des logements sociaux où les loyers sont à 200, 300 euros. D’autres sont à 600. Et puis j’ai des impayés, des charges, des remboursements de crédit“.

Locations à la découpe

Au 70, boulevard de la Libération, il avait l’intention de proposer des baux sociaux, mais l’agence nationale de l’habitant (Anah), échaudée, n’avait pas suivi. Il avait ensuite tenté de louer en Airbnb, mais les autres copropriétaires s’y étaient opposés. En revanche, comme d’autres marchands de sommeil ailleurs dans la ville, David Bertin a fait de la division, en découpant les 1er, 3e et 5e étages du même immeuble en 12 appartements au total. Au dernier, il y en a quatre dans les sous-pentes du toit. “Celui de madame B, en surface, il fait 28 mètres, mais, au titre de la loi Carrez, il fait 9 mètres 10. Donc, je me suis dit que c’était bon. Et c’est ce que m’a dit mon diagnostiqueur“, argue le propriétaire à la barre.

Dans sa plaidoirie, son avocate, Laure Saint-Denis, met en avant un “volume de plus de 26 mètres cubes mesuré par un géomètre” et compatible avec la loi, qui compense, selon elle, l’exiguïté de la pièce à vivre. L’avocat de la Ville, partie civile, insiste : “Qui a divisé les combles ?“. “Ce n’est pas moi“, pirouette David Bertin, avant de reconnaître que la division a été réalisée à sa demande. Le professionnel de l’immobilier qu’il revendique être a donc loué en toute connaissance de cause un appartement impropre à l’habitation.

Un jugement civil a d’ailleurs confirmé cet élément en novembre 2022, l’obligeant à rembourser les quelque 5400 euros de loyers perçus. “Alors, là, je ne sais pas où ils sont allés les chercher, balance-t-il. Elle n’a payé qu’au début et ensuite, c’était la Caisse d’allocations familiales qui payait.

Noircir le tableau

Il se fait fort disert quand il s’agit de noircir le portrait de sa locataire. “Agressive, insultante, plus personne ne la supportait dans l’immeuble“, énumère-t-il en soulignant qu’une pétition circulait pour demander son départ. Il rappelle avoir écrit plusieurs fois à la CAF pour lui demander de cesser de verser ses allocations. “L’appartement était petit, je lui avais dit qu’il ne pouvait être loué qu’à une personne et ils étaient trois“, pointe-t-il.

Mais surtout, il rappelle sur tous les tons que madame B a refusé toutes ses propositions de relogement, transmise via un médiateur, choisi par ses soins. L’avocat de la Ville souligne que ledit médiateur était associé du propriétaire dans une autre société. “Mais je l’ai associé que le temps de la liquidation“, avance David Bertin, passant vite sur la présence du même médiateur lors de la signature du bail. Ce refus des solutions de relogement est le coin que la défense entend enfoncer pour contester la vulnérabilité de la locataire qui s’est maintenue dans les lieux jusqu’à l’obtention d’un logement social décent.

Arrêté d’insalubrité toujours en vigueur

Quant à l’appartement en question, “il n’est pas loué parce que squatté“, assure aujourd’hui le propriétaire. “Mais surtout, il n’est pas louable car l’arrêté du préfet est toujours valable. Les travaux n’ont pas été faits“, contre l’avocat de la mairie, partie civile qui réclame quelque 832 euros pour compenser les frais des services municipaux et 5000 euros au titre du préjudice moral de l’atteinte à la réputation de la Ville. David Bertin secoue la tête, sourire aux lèvres.

Pour le procureur, si le logis ne présente pas les habituels stigmates de l’insalubrité, “il n’est pas sale ou invivable, il n’en demeure pas moins inhabitable, souligne-t-il. Qui a envie de vivre courbé ? La réalité du dossier est que madame B, est une personne étrangère, isolée, sans soutien et David Bertin, une personne avisée“. Il demande 12 mois d’emprisonnement dont six avec sursis et 50 000 euros d’amende. Le jugement est attendu pour le 12 juin prochain.

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Commentaires

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  1. Richard Mouren Richard Mouren

    Nous touchons là les limites pernicieuses des modifications des caractéristiques de “l’appartement décent” (juillet 2023) qui permet dérogation de la hauteur minimale de 2,20 m si le VOLUME est supérieur à 20 m3 sans a priori donner de hauteur minimale. En 2020, la taille moyenne des Français était de 1,77 m, comment est-il possible de vivre sous un plafond de 1,80?

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    • Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

      Les pauvres et les précaires sont habitués à courber l’échine pour simplement tenter de survivre. Et les ordures comme ce bailleur au grand coeur le savent.

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    • Patafanari Patafanari

      Oui, c’est discriminatoire envers les grands.

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  2. julijo julijo

    ce n’est pas possible légalement, le législateur ne l’a pas prévu, la loi du talion a disparu depuis longtemps !
    mais je les condamnerais des deux mains à vivre 6 mois dans leurs locaux que ces marchands de sommeil louent à des personnes fragiles.

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    • Laurent Malfettes_ Laurent Malfettes_

      Une cellule aux Baumettes, combien de mètres carrés ?

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  3. Regard Neutre Regard Neutre

    Les décrets et les règlements sanitaires qui permettent des aménagements sous toiture pour un logement de 9m² et 20m³ d’air peut être considérée comme adaptés pour certains cas extrême, mais ils posent de réels problèmes de bien-être, notamment en termes de confort et d’espace habitable.
    Même pour une personne seule, un tel espace peut être très limité, voire claustrophobique, surtout si la hauteur sous plafond est basse sur un côté. De plus, la circulation de l’air peut être restreinte, ce qui peut poser des problèmes de ventilation et de qualité de l’air, notamment dans une sous pente d’un immeuble.
    A l’heure où l’on impose des logements traversants c’est un comble…
    Comment peut-on laisser un tel décret en application au 21 siècle ?
    Un petit régal pour les bailleurs opportunistes voir peu scrupuleux…

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    • Richard Mouren Richard Mouren

      Ce décret date de Juillet 2023……….. Tout chaud, tout neuf

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    • julijo julijo

      et ça ne va pas forcément s’arranger avec le ministre actuel du logement !!
      il semble qu’il ne soit pas très hostile aux propriétaires qui déclarent : “je fais ce que je veux” !!!

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