Coup de fusil autour d’un testament centenaire à Éguilles

Point de vue depuis la place Gabriel-Payeur, au centre du village d'Eguilles. (Photo JML)

Les vélos des enfants de la famille attendent le retour de leurs propriétaires de l’école. Le petit abri et le jardin alentour sont leur terrain de jeu à quelques pas de la villa Toi et moi, la demeure familiale, qui est en réalité un modeste pavillon au toit plat. Leur père, Nicolas Payeur, est pourtant moins tranquille depuis le début de l’année. Le 9 janvier, il affirme avoir reçu sur le toit de cet abri des plombs. L’erreur d’un des nombreux chasseurs qui se baladent dans ce bout de campagne au pied du bourg de la commune ? C’est naturellement ce qu’il a pensé.

Pourtant, monté sur le talus au bout du jardin, ce n’est pas un amateur de gibier prêt à s’excuser qu’il dit avoir rencontré. Mais un homme particulièrement remonté, lui intimant de venir se frotter à lui, fusil chargé. Il le raconte dans la plainte envoyée directement au procureur de la République d’Aix. “Comme ça, ça ne revient pas directement à la gendarmerie d’Éguilles”, assure-t-il.

“Je me suis dirigé au fond de mon jardin vers l’endroit d’où venait le tir en criant au chasseur, que je n’avais pas encore vu, de faire attention car il tirait en direction de ma maison ; celui-ci m’a répondu qu’il était chez lui et que de toute façon ma maison n’avait rien à faire ici.”

Il a vite reconnu l’homme qui lui fait face, Renaud Dagorne, propriétaire des vignes d’où le coup est parti. À Éguilles, il n’est pas que le fils de Robert, maire depuis 1995. Il en est aussi le sixième adjoint, et pour beaucoup le successeur potentiel. Présent auprès de son ami Nicolas Payeur qu’il était venu aider à couper du bois pour la suite de l’hiver, Lionel Mori l’a lui aussi entendu avoir cette phrase d’apparence énigmatique : “Tu n’as rien à faire ici.” Il se dit prêt à le répéter aux autorités si une enquête est ouverte. Contacté, le procureur d’Aix-en-Provence Achille Kiriakides, n’a pas souhaité faire de commentaire.

“Le bureau de bienfaisance d’Éguilles”

La référence est pourtant claire pour les Payeur. Depuis plus d’une quarantaine d’années, la famille est en conflit avec un satellite de la mairie, le centre communal d’action sociale. La faute à un testament de 1904 qui vient remettre en cause la propriété familiale sur toute une partie du terrain qu’elle occupe. Dans une écriture faite de pleins et de déliés, le propriétaire de l’époque, décédé quatorze ans plus tard en 1916, a en effet consigné cette année-là sa volonté de céder “au bureau de bienfaisance d’Éguilles”, ancêtre du CCAS, une partie de ses biens.

Le testament de 1904.

Le maire Robert Dagorne a longtemps hésité à s’en servir contre cette famille historique du village : la place du château (qui accueille la mairie) au cœur du village porte le nom d’un aïeul, Gabriel Payeur, résistant, fusillé par les Allemands. Transmis par sa prédécesseure, Andrée Chélini qui l’avait elle-même hérité du maire précédent, le dossier est encombrant. Robert Dagorne l’écrivait au notaire de la commune en 1999 : “Je ne vois aucun intérêt à nous trouver dans un tel litige sachant que le testament portant donation à la commune ne comporte aucun numéro cadastral. […] Je souhaiterais le dénouement de cette affaire.”

Dix ans plus tard, il saisit finalement la justice pour obtenir d’elle qu’elle accorde la propriété de la parcelle au CCAS. L’affaire ira jusque devant la Cour de cassation et il obtiendra gain de cause en 2013. Patrick Payeur, le père de Nicolas a son idée sur le revirement de l’édile : “Il aurait voulu qu’on s’arrange, qu’on lui laisse un droit de passage le long de notre propriété pour atteindre son terrain derrière”, celui-là même où était posté Renaud Dagorne le 9 janvier. Alors que dans cette affaire, le maire se trouve à la fois en situation d’élu et de riverain, ses services nous ont signifié qu’il n’y aurait aucune communication au sujet de cette “affaire en cours”.

Depuis la décision de justice, les choses ont peu avancé. La famille Payeur continue à se battre entre recherches hypothécaires et privilège de plus de trente années passées sur ce terrain. La mairie n’a pas traduit en titre de propriété la décision de justice. Alors, quand elle a fait réaliser par un géomètre le bornage de la parcelle, les services de la publicité foncière ont attribué la mesure aux Payeur. La municipalité a ensuite grillagé la parcelle et installé un portail. Quelque temps plus tard, Nicolas Payeur a ôté les grillages et mis un cadenas sur le portail. Le geste pourrait sembler banal. Enième rebondissement de ce feuilleton, il lui vaut une assignation devant le tribunal judiciaire le 16 février prochain.