Contrats de l’eau : MPM entre connivence et amateurisme
Trois milliards d’euros, le magot de la gestion de l’eau à la communauté urbaine a de quoi exciter les multinationales. Les trois mastodontes made in France du domaine, Veolia, Suez, et la Saur se sont intéressés à tout ou partie des quatre contrats, un de distribution, trois d’assainissement, proposés pour une durée de quinze ans. Face à ce secteur où la concurrence est déjà limitée par le faible nombre d’acteurs, Marseille Provence métropole a-t-elle tout fait pour obtenir le meilleur service pour les usagers au meilleur prix ? C’est en somme la question posée à la chambre régionale des comptes (CRC) par le préfet de région en décembre dernier. La demande est assez peu commune : quatre procédures simultanées (une par contrat), c’est plus que les trois dossiers instruits par l’ensemble des chambres régionales en 2013.
La réponse de la CRC a été rendue ce lundi et elle est accablante pour la communauté urbaine. Malgré la satisfaction affichée par le président PS de l’époque, Eugène Caselli, le résultat des négociations est ainsi jugé “très favorable aux intérêts du délégataire” pour le contrat de l’eau attribué comme le précédent à la Société des eaux de Marseille. Le même qualificatif est utilisé pour deux des trois contrats d’assainissement eux aussi remportés par la SEM ; le contrat couvrant Marseille attribué à la sortante Seram est lui jugé simplement “favorable” pour l’entreprise. “Le délégant [la communauté urbaine, ndlr] aurait pu obtenir davantage, explique Louis Vallernaud, le président de la CRC. Soit par un prix plus bas, soit pour effectuer plus de travaux, soit en obtenant une durée moins longue du contrat.”
L’ancien président de MPM, Eugène Caselli défend son résultat : “Qu’on ne nous dise pas qu’on a mal négocié, s’emporte-t-il. Le prix de l’eau a baissé et sur l’assainissement, d’importants travaux vont être réalisés pour gérer l’eau qui s’écoule aujourd’hui sur les plages.” Mais les prix baissent à quasiment chaque reconduction de contrat et les travaux massifs ne concernent que le centre. Pour les magistrats de la chambre, compte tenu de la diversité des contrats, “le bout de la logique aurait été d’avoir des durées diversifiées”. MPM a souhaité tout aligner. Résultat : au bout de huit ans et demi de contrat d’assainissement ouest, la SEM aura récupéré la mise de départ demandée de 1,8 millions d’euros et pourra donc sereinement profiter des six ans et demi restants.
Proximité politiques-entreprises
Tout est à l’avenant et semble bien aider les entreprises. Des bénéfices inattendus ? Rien pour MPM. Un service rendu insuffisant ? Les pénalités sont plafonnées à 5% du chiffre d’affaires. Et ça continue. Les magistrats estiment par exemple que les volumes de consommation d’eau – et donc le chiffre d’affaires – sur lesquels se base l’équilibre économique sont sous-estimés. De même, les “frais de siège”, la part prélevés par Veolia (dont la SEM est une antenne), comme Suez (qui possède la Seram) pour des services rendus à leur filiale sont jugés excessifs. MPM a même réussi l’exploit d’accepter leur inflation durant leur négociation contre son intérêt évident.
Pour justifier ce bon traitement, la chambre semble hésiter entre connivence et amateurisme. On ne se débarrasse pas si facilement de deux délégataires, la SEM et la Seram, qui gèrent l’eau marseillaise depuis plus d’un demi-siècle. Plusieurs modalités de la mise en concurrence semblent en effet avantager ces deux sociétés qui in fine ont toutes deux gardé leur part d’or bleu. Ainsi, MPM s’est montrée incapable de produire aux éventuels concurrents de la SEM un inventaire des équipements du service de distribution qui aurait pu leur permettre d’affiner leurs offres. Et quand elle l’a fait avec les compteurs d’eau, elle a estimé qu’ils appartenaient au privé quand la CRC estime qu’ils sont propriété publique, dans la lignée des élus écologistes qui ont attaqué le contrat en justice.
Tant d’approximation pose question. Une interrogation renforcée par l’historique proximité entre les politiques marseillais et les dirigeants des différentes firmes. La situation autour de la SEM illustre parfaitement ce mélange des genres. Longtemps, son président a été nommé directement par le maire. L’actuel, Loïc Fauchon doit d’ailleurs sa place à Jean-Claude Gaudin. Au conseil mondial de l’eau, une association pompeusement nommée regroupant acteurs privés et publics de l’eau dont il est aujourd’hui président d’honneur, le siège a été installé à Marseille et un forum mondial organisé.
Conflit d’intérêts pour Vassal ?
Ce mélange des genres a aujourd’hui une incarnation pointée par la chambre, Martine Vassal. La deuxième adjointe au maire est en effet par ailleurs trésorière du Conseil mondial de l’eau. Pour la chambre, cela la place potentiellement en situation de “conseiller intéressé à l’affaire”, une situation qui lui interdirait de s’impliquer sur le dossier en vertu du code général des collectivités territoriales. En d’autres termes, elle est en situation de conflit d’intérêts. Cela ne l’a pas empêchée d’être au cœur du processus de désignation des entreprises. Martine Vassal est épinglée pour “sa participation au comité chargé d’assister le président dans les négociations avec les candidats […] Du fait de ces liens, la prudence aurait dû conduire cette élue à s’abstenir de prendre part au processus”, commente la CRC, pour qui les délibérations pour lesquelles elle a voté pourraient être annulées. L’ancien président Caselli, pourtant d’un autre bord politique, trouve “inacceptable qu’on remette en cause l’honnêteté de madame Vassal”. À la sortie du conseil municipal, l’intéressée assurait n’avoir défendu que l’intérêt des usagers :
La chambre fait sur cet aspect état d’une coïncidence troublante : “L’élue a eu accès à toutes les informations qui lui permettaient de suivre l’évolution du contenu des offres, processus qui s’est terminé par la présentation par la SEM d’une offre finale proposant une baisse de prix significative par rapport à son offre initiale, ce qui lui a permis d’emporter le contrat.”
Un élu de l’ancienne majorité confirme l’extrême présence des élus dans le choix des entreprises admises à négocier. L’ex président de la commission de DSP, François-Noël Bernardi, affirme que “pour l’assainissement, le vrai débat portait sur le fait de négocier avec ou sans la Saur. Un certain nombre de conseillers suggérait avec insistance que l’on ne discute qu’avec deux entreprises [les sortants SEM et Seram]. Moi, j’ai défendu la Saur pour que la concurrence soit complète parce qu’un candidat, même évincé finalement, pèse par ses offres.”
La Saur volontairement écartée ?
Ce troisième larron du secteur de l’eau français, connu pour sa politique des prix bas, a donc fait face à une résistance au sein de MPM. La chambre évoque un épisode lors du classement des reçues pour le contrat d’assainissement Marseille centre : “Le critère de la valeur technique de l’offre, par nature assez subjectif, […] a été le plus discriminant puisque la Saur a été classée quatrième [soit dernière] alors que c’est elle qui proposait l’offre financièrement la plus avantageuse.” À l’arrivée, c’est bien la Seram, pourtant la plus chère des candidates qui a remporté le gros lot.
Une fois le classement effectué, il était difficile de le contredire en conseil communautaire, les élus n’ayant pas accès au détail des critères de notation. Ils ont donc voté “sans disposer d’explications lui permettant d’apprécier le classement qui lui était soumis, résultant pourtant d’écarts très faibles entre les notes. La chambre estime donc que le choix du délégataire n’a pas été soumis à l’assemblée délibérante dans des conditions de transparence suffisantes.” Et dans un consensus entre l’UMP et le PS, les DSP ont été validées.
L’ensemble des remarques de la chambre amène désormais Eugène Caselli à évoquer “un rapport à charge”. Mais ce n’est plus entre ses mains que se joue le dossier. Les acteurs actuels sont bien moins loquaces. Formellement, c’est au préfet de région de définir s’il y a lieu ou non de saisir le tribunal administratif de ces potentielles irrégularités. “Il est en train d’étudier le dossier et il a jusqu’à fin mai pour le faire”, commente-t-on à la préfecture. D’ores et déjà, il a écrit au nouveau président de MPM, Guy Teissier, en sélectionnant les remarques les plus saillantes de la Chambre. Teissier a ensuite chargé de la réponse de l’institution, Philippe Blanquefort, l’inspecteur général des services qui a activement participé au processus de mise en concurrence. En parallèle, il a tout de même assuré que “les éléments de corrections contractuels nécessaires seront engagés sans délai”. Les remarques de la chambre vont donc permettre d’ouvrir une nouvelle phase de négociation entre MPM et son délégataire.
Si ces réponses devaient suffire à rassurer le préfet, les élus écologistes pourraient tout de même enrichir leur recours au tribunal administratif des remarques de la chambre. Il y aura donc bien un procès des contrats de l’eau.
Julien Vinzent et Jean-Marie Leforestier
Commentaires
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On n a pas le choix sur notre territoire d avoir une gestion publique de l eau.
Mpm ne possède pas dans ses rangs de personnels capables de memer à bien le dossier et le transfert prive/public.
Et avec l eau on ne peut pas faire de la politique le critère no 1 car il en va de la santé.
Il nous restait donc 3 vrais opérateurs,dont 1, la Saur bien malade et victime de lutte de participation et de stratégie,la Saur était incapable de prendre le marché.
A Suez l assainissement avec la Seram et à Veolia la distribution de l eau avec la Sem,le tout pas trop mal négocié et avec un bon service pour les usagers / consommateurs.
Ne nous attardons pas trop longtemps sur le sujet,il y a bien d autres scandales sous le tapis à Mpm que celui là.
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Un scandale portant sur 3 Milliards c’est quand même pas mal! Et puis c’est l’ensemble des habitants qui va payer plus cher le mètre cube d’eau, avec les revenus moyens des marseillais , je pense qu’une facture moins élevée leur ferait plaisir. Quand au personnel qualifié capable d’assurer une régie , il existe , il est salarié de la SEM , et il est repris dans son intégralité sauf le directeur et le trésorier, cela s’est passé dans toutes les villes qui sont revenues en régie comme Paris. Sur la santé , la prévision d’une eau radioactive dans les années qui viennent devrait inquiéter tout le monde , comme les chlorations excessives pratiquées par la SEM pour une eau naturelle venant des ALpes et qui mérite peu de traitement . Oui , on avait le choix pour une eau moins chère et de meilleure qualité mais le marché de l’eau ça s’arrose …
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Sans vouloir offenser les ingénieurs et les juristes territoriaux de la CUM, aucun organisme public peut aujourd’hui apporter une expertise technico-administratives suffisante, pour analyser en profondeur les offres des candidats délégataires et en dresser les préconisations correctives ou l’argumentaire juridique pour rejeter purement leurs propositions. Les compétences ont disparu avec l’abandon de la maîtrise d’œuvre au privé. Ainsi, les villes et les EPCI subissent depuis belle lurette les affres juridiques induites par l’opacité des dossiers et des prix imposés par les véritables techniciens de l’eau et l’assainissement. Il faudrait débaucher les meilleurs ingénieurs de la gestion de l’eau dans le privé pour espérer approcher la vérité!
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Après la gouvernance, la connivence partagée.
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Mais ,nos élus ne sont pas corrompus , la preuve…
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