Commerçants et propriétaire du marché aux puces ferraillent au tribunal
Cinq détaillants et l'association des commerçants attaquent le propriétaire du marché aux puces pour des charges locatives abusives et un manque d'entretien. Ce dernier, en retour, poursuit deux des commerçants locataires pour défaut de paiement des loyers. Chronique des tensions avant un grand déménagement.
Une experte dit avoir été "horrifiée par la saleté" dans les allées du marché aux puces. (Photo d'archives : VA)
Des commerçants assignent le propriétaire. Le propriétaire assigne des commerçants. Mercredi 17 février, au tribunal judiciaire de Marseille, une audience en référé devait démêler l’écheveau d’une affaire dense et complexe. Aussi tortueuse, au fond, que le dédale de ruelles et de recoins dans lequel se répartissent quelque 200 échoppes sur les 21 000 m² du marché aux puces, institution commerciale et véritable ventre du 15e arrondissement, niché à la Madrague-Ville.
Commençons par les boutiquiers. Cinq d’entre eux et l’association des commerçants du marché aux puces ont saisi la justice à l’encontre de la Provençale de la Madrague, la société bailleresse, que dirige le propriétaire des puces André Coudert. “Leur action est double, synthétise Justine Laugier, leur avocate. Elle vise d’abord la demande de remboursement de charges locatives qui nous paraissent indues. Et, par ailleurs, la reconnaissance du fait que le manque d’entretien du marché depuis des années conduit à un trouble de jouissance manifeste.”
En 2019, une experte se déclare “horrifiée par l’état de saleté des allées”.
À la barre l’avocate expose les griefs des commerçants. Certains, installés là depuis plusieurs décennies, payent chaque mois entre 12 et 19% de leur loyer en charges locatives. Or, estime Justine Laugier, l’utilisation de ces sommes (environ un million d’euros annuel) qui devraient être dévolues au nettoyage, à la sécurisation et au gardiennage du site, n’est jamais justifiée. Elle en veut pour preuve l’état “d’incurie” constaté par Gisèle Laure, consultante en droit de l’immobilier et experte près la cour d’appel d’Aix qui, dans un rapport d’expertise du 27 mai 2019, se dit “horrifiée par l’état de saleté des allées” et l’absence de sanitaires. En clair, les commerçants estiment que la Provençale de la Madrague manque à son obligation essentielle d’entretien des parties communes.
Cette zone qui s’appréhende comme “un centre commercial à ciel ouvert“, aux yeux de l’avocate, devrait également bénéficier d’un gardiennage adéquat. Un rapport d’huissier du 2 février, revient sur l’insalubrité des lieux (un mardi à midi, censé être le jour de nettoyage du site, selon le bailleur), mais dénonce aussi la présence de “nombreux vendeurs de cigarette dits « à la sauvette »“ et de “personnes qui réclament de l’argent à tout conducteur qui souhaite stationner son véhicule”.
Factures au “caractère coquin”
En réponse, le bailleur produit bien des factures pour certifier de l’entretien qu’il assure réaliser. Mais, remarquent les commerçants et leurs conseils, les sommes engagées vont pour bonne part (221 000 euros en 2019, 319 602 euros en 2018, soit respectivement 22% et 29% des charges annuelles alléguées par le bailleur) à la société Alva Investissements. Entreprise qui, curieusement, dispose du même siège social et de la même direction que la Provençale de la Madrague. Son gérant, Jean-Marc Coudert, est le fils d’André Coudert, propriétaire du marché. Pour les avocats, cela ne fait pas l’ombre d’un doute, ces factures de charges ont au mieux “un caractère coquin”, au pire, elles sont franchement “factices“.
C’est un marché aux puces, les charges sont en rapport avec la prestation. On n’est pas aux Terrasses du port !
Benjamin Lafon, avocat du propriétaire
Benjamin Lafon ne l’entend pas de cette oreille. L’avocat de la Provençale de la Madrague joue autant en défense qu’en attaque dans ce dossier. En défense, il renvoie les lieux à leur vocation première : “C’est un marché aux puces, les charges sont en rapport avec la prestation. On n’est pas aux Terrasses du port !” Rien à voir avec un centre commercial dont il faudrait entretenir les parties communes, donc. Impossible aussi, dit-il, de mettre “un vigile armé” à chaque entrée du site à moins de voir s’envoler les charges locatives. Quant au nettoyage des allées, l’avocat assure que les produits périmés issus du marché alimentaire sont ramassés chaque mardi à midi. Tapantes.
Avenir des puces
De toute façon, l’avocat juge globalement irrecevable la démarche des boutiquiers rassemblés au sein de l’association des commerçants. “Elle n’est pas apte à les représenter car certains de ses membres ne sont même pas commerçants au marché aux puces. Ils sont architecte ou bien écrivain. Je ne sais même pas qui c’est…”, balaye-t-il.
Vient alors le moment où l’avocat passe à l’attaque. “Toutes les contestations soulevées sont peut-être sérieuses, argue le conseil du bailleur. Mais elles ne justifient pas qu’on ne paye pas son loyer”. Raison pour laquelle il assigne, en retour, deux locataires en résiliation de bail pour non-paiement et réclame le règlement des loyers dus.
Ce qui se joue dans ce duel à fleurets mouchetés (et dont la décision sera rendue le 21 avril), c’est finalement moins une confuse, mais banale, tension entre un bailleur et ses locataires, que l’avenir même du site, temple du produit à bas prix. Le projet de réaménagement urbain d’Euroméditerranée 2 se profile à l’immédiat horizon. Et avec lui, la crainte de voir le propriétaire des lieux pousser dehors certains de ces petits détaillants, et changer à jamais le visage de ce marché populaire.
Des travaux à l’orée 2022Un chantier, dans un chantier. Le réaménagement du marché aux puces s’inscrira lui-même dans la vaste opération urbaine que mène entre la Madrague-Ville, la Cabucelle et les Crottes, l’établissement public d’aménagement Euroméditerranée. Avec, notamment, l’éclosion des Fabriques promises par Euromed comme “un éco-quartier méditerranéen” de 14 hectares. Sollicité, Euromed rappelle que “la rénovation du marché est une opération privée portée par son propriétaire” qui a signé une convention avec la banque des territoires et s’appuiera sur le promoteur Constructa pour mener à bien le projet. Si le calendrier n’est pas encore connu, précise-t-on, “les travaux ne devraient pas débuter avant 2022” sur le site même des puces: “le propriétaire travaille à une réalisation des travaux par tranches pour permettre à l’activité de se poursuivre.”
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Le marché aux “puces” c’est aussi le lieu où vous retrouverez vos affaires volées chez vous, souvent la veille le lundi soir… mises en vente pas cher. Il faudrait que les acheteurs réalisent ce qu’ils font quand ils achètent là-bas sur des stands à la sauvette
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