Un urbaniste en randonneur, une avant-première sur le GR2013
Un urbaniste en randonneur, une avant-première sur le GR2013
Je ne connaissais de Marseille que son centre-ville et sa basilique. En août 2012, j’entends parler du GR2013 à la radio dans une émission culturelle. Je consulte le site web du projet et me dirige rapidement vers ce qui m’apparaît comme le plus important : l’itinéraire. Je l’observe, je zoome, je dézoome. Ce tracé me parle, puis me séduit tout à fait.
Dans ce grand huit qui serpente joyeusement entre Salon-de-Provence, Martigues, Aix ou encore Aubagne, j’isole mentalement une petite boucle autour de Marseille et me renseigne déjà sur les horaires de train ainsi que sur les possibilités d’hébergement. Quelques semaines plus tard, je suis sur place, bien décidé à profiter des dernières miettes d’un été qu’on a déjà enterré depuis longtemps là-haut dans le Nord.
Ma présence sur ce morceau de GR est plus encore qu’une avant-première, puisque le tracé n’existe que sur papier ou écran (le balisage fut achevé en février 2013). J’ai donc dessiné le parcours au feutre sur ma carte IGN. Le périple est long, plus de 70 kilomètres, entre ville et campagne.
J’imagine qu’à une époque ancienne, on devait trouver des auberges destinées aux voyageurs à pied un peu partout. Aujourd’hui, à échelle de piéton, on a un choix limité mais l’hébergement est quand même possible, grâce aux hôtels de chaîne installés dans les zones d’activité ou zones commerciales. C’est leur localisation d’ailleurs qui a décidé de mes étapes.
Jeudi 4 octobre 2012. Du Vieux-Port à l’Estaque. – D’abord trempé par une averse matinale à Bruxelles, et séché par cinq heures de Thalys climatisé, me voici arrivé à Marseille, gare Saint-Charles, sous un beau soleil.
Je prends le chemin du Vieux-Port, puis traverse le quartier du Panier pour rejoindre le quai de la Joliette qui est le départ de mon périple. Avant de partir, je dois manger quelque chose. Je m’arrête dans un snack, rue Jean-François-Lecas, où je mange pour pas cher. Je vois se croiser des gens en costard et des ouvriers de la SNCM. La dame qui tient le snack me dit : « Ah là là, mon fils, à Marseille… y a trop de travaux ! » C’est vrai qu’on entend des machines tout près. Le quartier est en train d’être « refait », et l’on sent qu’on se prépare à quelque chose.
Après un petit café, je décolle et prends le chemin du quai de Joliette, que je longe jusqu’à la place du même nom, et j’emprunte la rue des Docks. J’ai presque peur d’en salir le trottoir tout neuf avec mes grosses chaussures de rando.
Après les Docks, le chantier s’étend et on est baladé à droite à gauche sur des passages piétons en peinture jaune, assourdi par les camions-bennes. À cet endroit, l’autoroute A55 est en viaduc et ses gros piliers de béton usés contrastent avec les trottoirs et pistes cyclables tout neufs. Je passe devant le Silo, qui est un bâtiment assez intrigant, et continue jusqu’à la tour de la CMA-CGM.
Le piéton est rare, en fait je suis le seul. Ce que je longe se nomme la rue Saint-Cassien, mais j’hésite avant de l’emprunter plus loin car elle ressemble vraiment à une bretelle autoroutière. Il y a un trottoir, mais utilisé entièrement comme parking. Je dois donc marcher sur la route dès qu’il n’y a plus de véhicule en vue. À ma droite, il y a les voies ferrées et, au-dessus, l’autoroute.
À gauche, je vois le port avec ses conteneurs, ses bateaux et ses barbelés. Un cycliste se rapproche. Au milieu du tumulte, sa présence me rassure. En haut de la rue Saint-Cassien, je regarde à ma gauche et le Vieux-Port m’apparaît déjà lointain. Je vois la Bonne-Mère qui brille au soleil. Je viendrai à ses pieds après-demain. En bas de la rue Saint-Cassien, j’emprunte la passerelle piétonne qui enjambe les voies ferrées et passe sous l’autoroute en viaduc. Je remarque la présence d’un homme qui regarde également le port. Je ne suis donc pas seul. Au bout de la passerelle, je rejoins la D5 (ou rue de la Madrague-Ville), que je longe. On y trouve des garagistes, des carrossiers et des maisons murées. Apparaissent alors les excréments et les déchets. Plus loin, je tombe brutalement sur ce qui ressemble à un campement de sans-abris. Il y a des gosses qui jouent au ballon et traversent la route alors que les voitures filent. Je vois aussi des tas de couvertures, de tapis et d’autres textiles, ainsi des tentes Quechua alignées de part et d’autre de la route. Des gens transportent des objets dans des voitures utilitaires (un vieux chauffe-eau, une gouttière…). Il y a aussi un vieux Noir en plein soleil, la jambe gonflée et qui parle à Dieu sait qui. Derrière, un homme ferme une grande grille sur laquelle on peut lire « Unité d’hébergement d’urgence ». Je vois plus loin sur un mur des affiches pour un mouvement contre les camps de rétention. C’est un moment assez étrange et j’ai hâte de retrouver un cadre un peu plus soft.
Assez rapidement, je retrouve des quartiers résidentiels plutôt calmes. Des petites ruelles, des maisons mitoyennes anciennes. De temps en temps aussi, des culs-de-sac avec grand mur et portail électrique, mais j’ai régulièrement droit à des vues sur la mer. Suivant toujours l’itinéraire sur ma précieuse carte, je descends un grand escalier en bas duquel des voitures attenantes à un garage voisin attendent d’être vendues ou réparées. Je me faufile et retrouve le chemin du Littoral, une voie assez passante qui est en fait la D5 que j’avais quittée plus tôt. Je la suis quelques centaines de mètres.
Devant moi se dressent à présent trois grandes tours de logement, juchées en haut d’une colline, face à la mer. Je les rejoins par un petit sentier-escalier. En bas de ces tours, on ne trouve que des parkings. Je me glisse derrière une vieille Mercedes garée là depuis longtemps, vu les herbes folles, et à travers le grillage, je profite à nouveau d’une belle vue sur la mer et sur le port. Je vois toujours la Bonne-Mère à ma gauche, et j’aperçois l’Estaque à ma droite. Je suis saisi par le contraste entre ce qui m’entoure directement et qui rassemble toutes les caractéristiques de la ZUP que l’on n’aime pas habituellement (grandes tours de logement, parkings usés, supermarché Ed) et la vue splendide, surtout sous ce soleil.
Je tourne le dos à ces trois tours et j’emprunte une petite rue jusqu’à une plaine de jeux pour enfants, et où la vue est aussi superbe. Tout est désert, seul un chat que je surprends à se rouler par terre et qui s’enfuit rapidement. Puis des enfants m’interpellent : « Oh monsieur ! ça va bien ? » Je leur fais signe et ils partent en riant. La suite de l’itinéraire me mène à eux. « Il arrive ! Il arrive !! » Je souris. « Oh monsieur, vous venez d’où ? », « Vous faites quoi ici ? », « Du Vieux-Port ? À pied ? Vous êtes fou monsieur, vous êtes fou, faut prendre le bus la prochaine fois ! » Puis une voiture approche et les enfants disparaissent brusquement derrière un mur, dans une sorte de jardin. « Au revoir les enfants, moi j’ai encore de la route. »
Je récupère le « chemin du littoral » et emprunte une promenade qui longe l’A55. Je traverse une zone d’activité jusqu’à ce qu’un escalier biscornu m’invite à prendre de l’altitude. En haut, une maman et son fils discutent face au soleil. Je traverse ensuite un quartier résidentiel avec des maisons imbriquées les unes aux autres. On entend chez les gens des bruits de cuisine, une radio, tout ça résonne avec douceur. Je croise plus tard une dame qui donne à manger aux chats du quartier, puis trois petites vieilles sur leurs tabourets qui discutent hardiment. Je descends cette étroite ruelle en pente jusqu’à la rue principale. Les trois vieilles me regardent encore et rigolent. J’ai l’impression d’être dans la chanson de Nino Ferrer.
J’ai mal aux pieds et m’arrête dans un bar où je rencontre un Marocain aux cheveux longs. Comme j’ai un problème avec mon téléphone, il me prête gentiment le sien. Son téléphone est configuré en langue suédoise, ce qui ne facilite pas la tâche, mais ça permet d’engager la conversation. Il a vécu quelques années en Suède et loge désormais dans un squat pas loin d’ici. La discussion se poursuit, je l’interroge sur l’instrument de musique qu’il transporte (et qui s’avère être un luth), et il m’invite chez lui.
On traverse pour cela le souterrain de la halte ferroviaire, où l’on croise des mecs chelous, des ados qui fument des joints. Finalement, on arrive au squat. Il y a des Italiens en pleine répétition, je suis impressionné par le matos : iMac, table de mixage, amplis à gogo… « Voilà, moi je suis un peu saoul donc, je vais aller dormir, mais tu es ici chez toi, alors fais comme chez toi. » Il y a une fille qui sert des cafés, un mec qui dort vautré sur le canapé près des amplis. Tout le monde a l’air bien occupé, alors je file sur le toit pour m’étirer. Après une vingtaine de kilomètres sur du sol dur, cela fait un bien fou. Sur le toit du bâtiment qui devait être une école ou quelque chose comme ça, j’admire la Méditerranée, infinie. Je vois les bateaux passer lentement. Là, j’ai du mal à réaliser que je me suis réveillé à Bruxelles ce matin.
Paul-Hervé Lavessière, né en 1987, est géographe-urbaniste. Auteur de La Révolution de Paris (Wildproject, 2014, Prix Haussmann du meilleur livre sur Paris), il est le cofondateur de Sentiers Métropolitains (www.metropolitantrails.org).
Ce texte sera publié aux éditions Wildproject sous le titre Dix-neuf excursions de Paul Ruat sur le GR®2013 au 19e siècle et une incursion de Paul-Hervé Lavessière au 21e siècle.
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« Du Vieux-Port ? À pied ? Vous êtes fou monsieur, vous êtes fou, faut prendre le bus la prochaine fois ! » La crainte de pérégriner en tenue de randonneur sur certains itinéraires, comme le chemin de la Madrague Ville par exemple… J’avais eu les mêmes réflexions avec un ami faisant le Tour de France à pied par les GR, je lui avais “interdit” ce morceau de randonnée en l’emmenant tôt le matin au départ d’un sentier chemin du Resquiadou entre l’Estaque et le Rove.
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