Procès avant règlement de compte
Procès avant règlement de compte
Depuis des mois, Michel Samson se rend tous les jours au Palais. L’ancien correspondant du Monde, journaliste et écrivain, y enquête sur la justice au quotidien, sur ses réalités multiples et les images qu’elle renvoie. Cette enquête nourrit un ouvrage en cours d’écriture qui traite justement de la justice à Marseille, de la manière dont elle est rendue, vécue, au quotidien. Dans la perspective de cette écriture au long cours sur les rouages de la justice pénale, Michel Samson nous propose une chronique hebdomadaire. Il y parlera des vies qu’on croise à la barre, des mots qu’on y entend. Cette semaine, il revient sur le procès d’assises des frères Laribi, en écho avec le récent règlement de compte qui a endeuillé la cité Bassens.
Sinistre exécution à Bassens, le 2 avril dernier. Dans une petite épicerie télé, trois jeunes gens sont tués, vingt-deux balles ont été tirées par des gens masqués. Le procureur Robin tient le lendemain une conférence de presse et parle “d’une lâcheté ignoble qui interpelle sur l’état d’inhumanité des auteurs (…) D’un Everest de folie criminelle qui nous conduit à maintenir le cap” : celui de la lutte contre les trafics de drogue, immédiatement évoqués comme mobile du crime. Un habitant de la cité, 21 ans, semble être une victime collatérale de ce règlement de compte : un projectile a transpercé son coeur et son poumon. D’après le procureur, les deux trentenaires visés seraient liés aux gérants présumés d’un “plan stups” de Bassens, les frères Laribi. Je ne vais pas jouer les enquêteurs et raconter ce qui s’est vraiment passé à l’aide de quelques indiscrétions policières ou judiciaires. Un silence judiciaire officiel règne sur cette nouvelle affaire qui ne sera jugée, si les soupçonnés tueurs sont arrêtés, que dans deux ou trois ans. Le temps que police et justice travaillent, que l’instruction soit terminée et qu’une ordonnance de mise en accusation (OMA) soit écrite. Et que le tribunal d’assises, qui siège par intermittence, soit réuni.
Cet horrible règlement de compte renvoie à un procès d’assises de décembre 2015, il y a quatre mois, où furent condamnés trois responsables de l’exécution de trois autres, qu’ils brûlèrent dans leur voiture. Deux étaient justement les frères Laribi, réputés tenir le trafic le plus important de la cité… Bassens. Oui, Bassens.
Je reprends les cahiers que j’ai remplis durant ce procès de neuf journées. Invisibles vedettes de cette éprouvante session, les quatre témoins sous x, puisqu’aucune preuve, comme une arme identifiée, une empreinte ADN, ou une vidéo de surveillance n’existait. Leur audition fut étrange : sur des écrans fixés au mur on voyait une toile blanche qui cachait complètement le témoin et le lieu de son audition, sa voix était transformée. Le premier témoin sous x, langue déliée, a certainement été celui qui a persuadé les jurés que les accusés étaient coupables. Ayant juré de dire la vérité de sa voix travestie, il commençait derrière son drap : “J’ai voulu témoigner pour que ces atrocités ne se reproduisent plus parce qu’on a tous été choqués. Dans les quartiers, ça parle beaucoup et ce qui a été fait a semé la terreur, la panique”. Il poursuit sur les raisons des crimes : “Les trois jeunes ont été tués et brûlés pour une histoire de réseau, une guerre entre deux quartiers, en sachant que c’est Sami Ati qui tient le réseau des Micocouliers qui a donné contrat aux frère Laribi, qui tiennent Bassens, de se débarrasser des deux gamins”. Avant de revenir sur le soir des meurtres : “Lamine les a tués au drive à côté de l’école désaffectée. C’est surtout à proximité du commissariat et c’est ce qui a terrorisé les gens. L’arme était tenue par Lamine (…) Quand les bruits de balle ont été entendus, Mehdi a dit c’est rien c’est mon frère qui s’entraîne”. Déterminé, ce témoin anonyme continue : “Et les Laribi ont la réputation d’être des psychopathes. Ils ont déjà le drive de Bassens et des actions, pratiquement dans tous les réseaux de Marseille”. Il conclut, voix toujours masquée : “Ils sont considérés comme les caïds des quartiers nord. Ils ont assis leur réputation sur la mort de ces trois jeunes et d’autres gamins avant”. “C’est mes enfants qu’il est en train d’assassiner !”, s’écrie brusquement le père des frères Laribi présent dans la salle avec des proches. Brouhaha, insultes, bousculades, le président les fait expulser.
Rencontré 22 jours après le procès, le commissaire Moustacakis, qui a témoigné après avoir mené l’enquête, s’en disait “satisfait” : il n’avait aucun doute sur la culpabilité des accusés. La première raison est que les témoins sous X étaient “vraiment crédibles”. Évidemment il était indispensable “d’habiller un peu les circonstances” afin qu’ils ne soient pas démasqués. Mais ils avaient “vraiment vu des choses, je sais où et comment”. Moustacakis ne pouvait pas dire non plus qu’il avait recueilli un aveu décisif d’un des frères Laribi. En fin de garde à vue, Lamine “m’a avoué, en tête à tête, dans son langage mais c’était clair, qu’il avait été obligé de le faire sinon il risquait…”. C’était indicible au procès car cette confidence était “hors PV, c’était pas écrit, donc c’était sa parole contre la mienne…”.
Quant aux mamans des victimes, que j’ai revu quinze jours après le procès, elles pensaient que le verdict de culpabilité et les 22 ans de prison, “ce qui est très connu dans les cités” allaient servir. En particulier “à ce que les mamans, et les autres proches des victimes qui souvent n’osent pas, osent maintenant venir dire la vérité”. Elles insistaient sur leur propre rôle : si la police et la justice ont correctement travaillé, c’est surtout parce que elles ont osé “venir dire devant le tribunal ce qu’elles savaient – et que tout le monde savait”. Ce procès leur sert déjà, expliquait une jeune maman, à montrer aux jeunes, “surtout aux ados” qu’on ne peut pas “suivre cette voie, faire le trafic, des choses comme ça : ça finit mal, ça finit en prison ou même…”.
Je tombe aussi, dans mes notes, sur une formule entendue plusieurs fois, et de tous bords, pendant les suspensions de séance du procès d’assises où les familles des victimes fumaient d’un côté, celle des accusés un peu plus haut et où les avocats des deux parties bavardaient avec les journalistes : “De toutes façons, mieux vaut qu’ils restent en prison, s’ils sortent ils seront tués assez vite”. La formule était prononcée presque à mi-voix. La récente exécution de Bassens la fait retentir fort.
Lundi 11 avril à 17 heures, c’est-à-dire hier, le procureur de la République convoquait une conférence de presse à propos des règlements de compte, en compagnie d’Eric Arella, directeur interrégional de la police judiciaire. Deux équipes soupçonnées d’avoir assassiné Lakhdar Medjou d’un côté, et Karim Tir de l’autre, ont été arrêtées ces derniers jours. Quatorze personnes ont été mises en garde-à-vue, dix mises en examen, quatre écrouées pour assassinat, six pour association de malfaiteurs. Deux règlements de compte ont ainsi été élucidés, et “ils étaient probablement sur le point d’en commettre un autre3. Le premier règlement de compte, celui de Lakhdar Mejou remonte au 28 janvier 2014. Le second, celui de Karim Tir, au 12 juin 2014. La justice et la police tenaient à montrer que les règlements de compte récents “ne freinent pas notre persévérance, notre patience et notre détermination, qui reste offensive”.
Commentaires
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une série intéressante très crédible car documentée. Puis je conseiller à Michel Samson d’aller aussi au tribunal de Prud’hommes où les conditions d’accueil, d’attente et d’ambiants générale sont indignes?
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