O comme OR, une visite subjective et dessinée au MuCEM
Michéa Jacobi poursuit son exploration en abécédaire de Marseille. Au gré de ses balades, il construit un regard singulier sur la ville, lettre par lettre. La lettre O comme l'or du papier à dessin.
O comme OR, une visite subjective et dessinée au MuCEM
Le MuCEM propose actuellement trois événements. L’Amour de A à Z, une sélection d’objets choisis dans les réserves du musée et présentés dans l’ordre qu’indique son titre, des œuvres de scénographe et de costumier de Picasso regroupés sous l’assez long libellé de “Picasso et les Ballets russes, entre Italie et Espagne“, et une vaste et ambitieuse exposition thématique portant au contraire un titre laconique : OR.
C’est celle-ci que nous avons visitée à notre manière, pinceau et papier à offrande (on en trouve à bas prix dans tous les magasins chinois), non pour essayer de vous en montrer les splendeurs (je ne dessine pas assez bien et la feuille d’or collé sur les josspapers est bien trop fine), mais pour vous donner envie d’y aller, tout simplement.
Amulette : Si un objet doit nous préserver du malheur, c’est en or qu’il doit être. Et si c’est notre corps qui doit être épargné, c’est notre corps qu’il doit représenter. Ou le corps d’une femme simplement repoussé dans une fine plaque du précieux métal.
Bœuf : Ce qui est chic, c’est de mettre de l’or dans l’objet le plus inattendu, le plus utilitaire. Ici c’est une toute petite pièce de harnais qui, prenant la forme d’une tête de bœuf, s’est paré d’or.
Costume : Pour la corrida, les taureaux s’habillent usuellement de noir et les toreros d’or. Le traje de luces, le costume de lumière qu’on dit. Mais la bête à cornes se pare quelquefois d’un pelage rouge feu (colorado encendiado) où l’on devine des reflets d’or et l’homme, surtout s’il est gitan, aime revêtir un costume brodé de noir.
Dior : L’argent n’a pas d’odeur. Et l’or ? Faudrait le fréquenter de près et souvent pour savoir. La fine résille dorée qui orne ici le col du flacon semble en tout cas rendre le parfum qu’il contient plus précieux encore. C’est Dior qui a conçu le truc. Ça m’est égal, je ne me fournis que chez Guerlain !
Ex-Voto : Ce cœur (c’est le Sacré-Cœur de Jésus qu’il représente) est creux. Il est fait pour contenir une lettre d’intention adressée à Marie, une sainte ou un saint. Quelques mots, entre épée et flamme, une enveloppe d’or, la missive arrivera sûrement.
Four : Le rêve des alchimistes fut de fabriquer de l’or. C’était compliqué, il fallait un bon four. Celui-là est franchement anthropomorphe : on dirait la tête d’un type tirant la langue devant quelque délice. Il paraît d’ailleurs que son concepteur, lassé de ses échecs, a fini par y faire cuire des pizzas.
Geislingen an der Steige (Masque de) reproduit par Émile Gilliéron & fils : Ce masque serait celui d’Agamemnon. Rien n’est moins sûr. Il est certain au contraire que cette face d’or était fixée au linceul du mort. Qui avant de disparaître avait sûrement fredonné la fameuse chanson de Boris Vian : Et quand je serai mort – J’veux un suaire de chez Dior !
Huit perles : L’or n’a pas besoin de grand-chose pour triompher. Huit perles suffisent.
Immanence : Une fine couronne posée sur un coussin rouge à glands dorés. Cela s’appelle immanence. Pourquoi pas ? L’immanence, nous dit le Trésor de la langue française est “une présence par mode d’infériorité”.
Jarres : L’exposition commence par une grande installation de Franck Scurti intitulée Empty world. Ce sont des jarres de toutes formes, brutes à l’extérieur et émaillées d’or à l’intérieur. Chacune est étranglée d’une ceinture. Je crois bien que l’ensemble est accompagné d’un cartel qui nous dit brièvement ce qu’il y a à comprendre. Mais je ne vous dirai rien : La parole est d’argent mais le silence est d’or.
Klein (Yves), triptyque de Krefeld : Ce Krefeld n’est pas, comme je le crus d’abord – quel imbécile je fais – un scientifique qui aurait mis au point une savante combinaison de couleur. C’est seulement la petite ville de Rhénanie où fut, l’an 1961, la plus grande exposition que l’artiste connut de son vivant. Bon. Passons.
Lingot : Peu de personnes possèdent un lingot mais l’école en invite beaucoup, bien jeunes encore, à réfléchir sur cet objet. C’est ainsi qu’en 2012, les élèves de Saint-Martin en Guadeloupe étaient invités à résoudre le problème suivant : Un lingot d’or ayant la forme d’un parallélépipède rectangle et a les dimensions suivantes : Longueur L = 7,5 cm ; largeur l = 3 cm ; hauteur h = 2,3 cm. On sait que la masse volumique de l’or est 19,3 g/cm3 – 1. Calcule le volume de ce lingot d’or. – 2. Calcule la masse de ce lingot d’or. – 3. On décide de reproduire ce lingot en l’agrandissant à l’échelle 3. Quel sera alors le volume de la maquette obtenue ? Justifier la réponse. Tout ça pour 3 points. De quoi vous dégoûter de devenir riche!
Map of goods memories : Tout le monde ne roule pas sur l’or, mais chacun, dans l’exposition du MuCEM pourrait marcher dessus. L’œuvre de Stéphanie Saadé est une œuvre au sol, une carte du Liban 24 carats parcourue des itinéraires préférés de l’artiste. Tout le monde ne roule pas sur l’or mais chacun peut circuler dans l’or de ses souvenirs.
Nature study : Le titre de cette sculpture suggère que l’auteur, Louise Bourgeois, aurait fait poser cette sphinge d’or étêtée pour mieux la modeler. Il est pourtant certain que cette créature à quatre mamelles n’a jamais existé. La nature, c’est peut-être ici l’imaginaire de l’artiste, c’est l’or de son imagination.
OR : Dans le tableau périodique des éléments de Mendeleïev, l’OR s’écrit OR, comme dans la langue française. Deux lettres suffisent pour désigner le plus précieux des métaux, même si ce ne sont comme ici que deux pauvres ballons gonflables dorés.
Pouce (de César) : On sait que Jean Chrysostome fut surnommé Saint Jean Bouche d’Or, on a lu dans les Lettres de mon moulin le conte de Daudet intitulé L’homme à la cervelle d’or. Avec le sculpteur marseillais naît un autre mythe, celui de « César Pouce d’Or » !
Quatre amulettes : Voici quatre autres amulettes. Une jambe pour me donner le courage de continuer ma visite, des yeux pour que je regarde bien, une tête pour que je pense et un coq pour que la prétention de dire quelque chose ne me quitte pas.
Reliquaire : la vitrine des reliquaires (particulièrement déconseillée aux disciples de Jean Calvin) célèbre l’or comme contenant. Moins on est sûr du trésor, plus on soigne l’écrin.
Soulier d’Or : Ne jouez jamais au football et, si jamais cela vous arrive, évitez à tout prix de devenir champion. En récompense de vos efforts, vous risqueriez de recevoir une affreuse godasse dorée souillée des trois bandes d’un fabricant de chaussures qui ne sait pas faire la différence entre le mécénat et la publicité.
Tirelire : Tirelire est un mot onomatopéique. Il évoquerait le son de la pièce lorsqu’elle tombe dans le pot destiné à la recueillir. Peu importe alors qu’on mette de l’or ou un autre métal dans la fente, l’essentiel est que l’animal économique se mette à chanter. Que le cochon grogne comme un rouge-gorge, que la grenouille coasse comme un roitelet, que le bélier bêle comme un rossignol.
Ustensile : Le tamis est l’ustensile usuel du chercheur d’or. Celui qui possédait la bassine ici présentée devait travailler sur les bords d’une rivière aux pépites énormes. Ou bien il était optimiste, très optimiste.
Veau d’or : Dans le texte biblique, Aaron dit à son peuple : « Retirez les anneaux d’or qui pendent aux oreilles de vos femmes, de vos fils et de vos filles et apportez-les-moi. » C’est ainsi que naît le veau d’or. Si cette histoire est vraie et si l’on se fie aux dimensions du veau représenté par Nicolas Poussin, une chose est sûre : les Hébreux étaient couverts de bijoux !
Why does strange fruits always look so sweet : C’est la statue d’un type au corps couvert de ganglions dorés. L’auteur s’appelle John Creten. Passons encore.
X : Revenons aux reliquaires. Regardons-les de travers. Ça y est, nous tenons notre X.
Y : Des bijoux un peu partout dans l’exposition. Tiens, le présentoir de ces deux bagues forme un Y.
Zadkine : Cette visite se termine sur une des pépites (sens figuré) de l’exposition. C’est un grand oiseau d’Ossip Zadkine qui montre avec une grâce et une majesté sans pareilles l’or de son plumage. Un oiseau au garde-à-vous, le véritable dieu tutélaire de cette profusion de métal précieux.
Écrivain, dessinateur et linograveur, Michéa Jacobi a fait de l’alphabet le bâton de marche d’une quête littéraire. Celle de lire le monde à travers les 26 lettres de l’alphabet. Aux éditions la Bibliothèque, il a entrepris un grand œuvre baptisé humanitas elementi réunissant 26 ensembles de vies humaines réunies par leur obsession commune. Chacune de ces classes comprenant 26 biographies, cela porte à 676 les vies ainsi rassemblées. En parallèle, pour Marsactu, il a croisé cette obsession alphabétique du monde avec sa passion de piéton arpentant sa ville. Il le fait souvent avec son complice, le photographe Luc Barras. Vous pouvez trouvez ci-dessous les inventaires déjà parus.
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