[Marseille secret] Les batteries allemandes de Niolon ou le désert des tartares aquatique
Guillaume Origoni, photographe et journaliste raconte des pans de Marseille qui ne se donnent pas à voir au premier regard. Explorateur de l'urbain, il aime se glisser dans les lieux abandonnés, cachés voire oubliés. Dans Marseille secret, il partagera ses excursions les plus marquantes.
(Guillaume Origoni / Agence Hans Lucas)
Ces fortifications creusées aux portes de Marseille, dans le massif de Niolon, me faisaient de l’œil depuis longtemps. D’ailleurs, elles ne sont pas secrètes, au contraire, elles signalent leur présence depuis plus de 70 ans en bordure de la ligne de chemin de fer qui dessert la côte Bleue.
Les cinq bouches béantes destinées à cracher le feu sur la flotte de combat alliée et le blockhaus qui les surplombe sont une partie du fameux mur de la Méditerranée aménagé par les armées du IIIe Reich.
L’œil avisé de mon guide, Bernard Descales président de l’association FMBR (que nous avions déjà croisé dans ces colonnes ici), avait attiré mon attention sur le caractère fortement militarisé de cette calanque temporairement allemande.
“La calanque allemande”, ça sonne un peu comme une comédie française à succès des années 70. Il est d’ailleurs fort probable qu’on se soit très peu battus dans cette portion du mur de la Méditerranée, conférant à l’ensemble une ambiance de désert des tartares aquatique dans lequel se seraient jouées les prolongations de la drôle de guerre.
La roche, le bois, le fer
“Regardez ces alcôves accrochées aux parois rocheuses”, me signale Bernard. Je scrute dans la direction indiquée, mais un béotien comme moi ne voit rien. Seulement du calcaire, des pins, de la garrigue et des caillasses. Avec la patience du maître, il attend que mon regard s’aiguise et que par effet miroir, je maîtrise ma propre impatience. Çà et là, j’aperçois donc ces nids d’hirondelles faits de pierres et de ciment, parfaitement intégrés à ce paysage minéral. “Ce sont des postes d’observations des sentinelles allemandes, il y en a partout. Cela servait à sécuriser les sentiers et les chemins”.
Bernard esquisse un sourire et dit, “j’ai une théorie sur la multiplication de ces postes d’observation. Je pense que s’il y en a autant, c’est parce que les officiers avaient ainsi trouvé le moyen d’occuper ces troupes de jeunes soldats qui devaient royalement s’emmerder. Le décor est certes magnifique, mais il ne se passait pas grand-chose ici”.
Au bout d’une demi-heure, en suivant le sentier qui serpente dans les gorges, nous apercevons la première manifestation des grandes peurs qui sont en nous et nous poussent à domestiquer la nature qui prospère en notre absence : le béton !
Des escaliers conduisent au bord des voies ferrées et à l’entrée de la première cavité creusée directement dans la roche. À partir de celle-ci, on se connecte à l’ensemble du dispositif par un réseau de tunnels, de galeries et de couloirs.
Au début du second conflit mondial, cette cavité abritait un canon qui avait été “volé” sur le front russe. Passé du blizzard au mistral, cette pièce d’artillerie n’a jamais servi et les Allemands avaient pour ce matériel bolchévique un mépris bien plus technique, qu’idéologique. “Du matériel de qualité très relative”, euphémise Bernard Descales. Par la suite, ce sont bien les canons de la marine allemande qui ont équipé chacune des cinq bouches de l’hydre.
La qualité allemande
Certains d’entre nous connaissent cette sensation d’étrangeté lorsque, au seuil d’une grotte ou d’un tunnel, la délimitation entre la puissante lumière et l’obscurité totale, génère une sorte de vertige horizontal. Nous nous sentons aspirés par la pureté du noir.
Mais, depuis la maitrise du feu, nul souterrain ne peut vraiment résister à la curiosité qui habite l’Homo sapiens. Les “maglite” entrent en action et les viscères bétonnées se dévoilent à nos yeux.
En s’enfonçant dans le tunnel principal qui distribue les couloirs secondaires, on comprend alors pourquoi certaines Mercedes comptabilisent 800 000 km au compteur. Ça doit être ça la fameuse qualité de fabrication allemande ? Rien n’est véritablement dégradé. Les murs ne s’effritent pas, les infiltrations d’eau sont rares et les arêtes des embrasures de portes restent vives.
Nous voilà donc en train de déambuler dans les mêmes couloirs que les jeunes soldats des armées hitlériennes. On peut apercevoir les prémices de l’archéologie du futur dans ce territoire qui se fige peu à peu, mais laisse des traces de vie : sacs de ciment en voie de fossilisation, fragments de métaux qui entrent en osmose avec la terre, dates gravées dans le béton…
Entre Giger et Beksinski
La sortie de secours qui débouchait en surface est en partie obstruée. On peut toutefois se glisser au-dessus de ce tas de sable mystérieusement et récemment introduit dans ce boyau mais l’escalier de bois qui permettait de s’extraire du sarcophage de béton est aujourd’hui rongé par le temps.
Au-dessus des batteries, à mi-hauteur du massif rocheux, trône le blockhaus de protection dans lequel étaient postées les mitrailleuses. Son visage est barré par une fente noire. Ce regard sévère semble signifier aux ennemis qu’il ne connaît ni la peur et encore moins la pitié. Sa tête de molosse monte une garde qui ne s’achèvera jamais. Sa forme cubique tranche avec son épiderme constitué de ciment, de béton, de ferraille. Cet agrégat lui confère à la fois des capacités mimétiques et un aspect organique qui n’est pas sans rappeler les sculptures l’artiste suisse Giger ou du peintre polonais Beksinski.
Sur le toit du blockhaus, on est aussi sur le toit de Marseille avec une vue à 180 degrés sur la rade. Markus, Ralf ou Heinrich avaient sûrement tiré les bons numéros en étant affectés dans les batteries de Niolon. Entre L’Estaque et Stalingrad vous auriez choisi quoi vous ?
Commentaires
L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.
Vous avez un compte ?
Mot de passe oublié ?Ajouter un compte Facebook ?
Nouveau sur Marsactu ?
S'inscrire
Intéressant.
Et la dernière photo, avec sa légende, est magique !
Se connecter pour écrire un commentaire.
Oh oui! Dans le même style Désert des Tartares, il y a aussi l’échauguette de l’ile Maïre au dessus des Pharillons.
Se connecter pour écrire un commentaire.
Une seule crainte : que ce reportage donne envie à des inconsidérés d’y aller organiser des soirées « originales »… avec les risques d’accident que cela implique.
Se connecter pour écrire un commentaire.
Je trouve cet article passionnant, bravo au rédacteur, encore, encore….
D.H.
Se connecter pour écrire un commentaire.
Exactement ça, les flancs du blochaus en béton-plâtre trompe l’oeil imitation falaise de calcaire qui se décroûte, et la chaise vigie plantée tout au dessus… Et comme les entrées des grottes tunnels sont bien glauques, la peur des mauvaises rencontres fait qu’on n’ose y pénétrer ! Content d’apprendre qu’il y a un réseau de tunnels bien préservés !
Se connecter pour écrire un commentaire.