Michel Samson vous présente
Arts et essais

Lubin, Zoé, Jean René et Amor Fati

Chronique
le 17 Avr 2018
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Après avoir chroniqué la justice et plus récemment la campagne électorale pour Marsactu, le journaliste et écrivain Michel Samson revient dans nos colonnes pour reprendre, à sa façon, l'analyse de la vie artistique locale. Et suivre par la même occasion une saison culturelle marquée par les grandes ambitions de MP2018. Cette semaine, il est allé au J1 voir l'exposition de JR, en bonne compagnie.

Image MP2018
Image MP2018

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Quand Lubin, 6 ans et demi, et sa cousine Zoé qui en a presque 8, m’ont demandé ce qu’on allait voir ensemble au J1, j’étais bien embarrassé. Je connais JR – Jean René pour l’état civil- ses lunettes, ses photos sur la façade du cinéma Le Gyptis ; son beau film avec Agnès Varda, Visages, villages, si émouvant. Je connais l’immense hangar J1, où j’ai vu en 2013, l’exposition sur Le Corbusier appelée La question du brutalisme ! Et où, enfant, j’avais vu débarquer des paquebots arrivant d’Algérie. Je sais que JR y a fait ” une installation ” intitulée Amor fati, mais j’ai lu aussi qu’il expliquait que ” sa pratique est l’évolution de sa pratique “ ! Bref, j’ai répondu aux gamins que ce qu’on allait visiter était lié à la mer, et qu’il y avait un atelier pour les enfants.

On a monté les escaliers du J1, on a été accueillis par Florence et Salman. Ils nous ont installés autour d’une table couverte d’impressionnantes photos de voitures surchargées de colis et de sacs en plastique ” toutes prises à Marseille “ ; et de photos de grandes villes vues de haut ” qui ne sont pas des photos d’artistes mais prises sur Internet “. Il y avait aussi des ciseaux, des tubes de colle et une autre table était couverte de marqueurs colorés, de pinceaux, de tubes de peinture. Salman a montré des photos prises par JR et d’autres où l’on voyait des ” sacs Tati “ pleins, qui appartenaient à des gens qui voyagent. ” Qui veulent aller vivre ailleurs “, a expliqué Florence, qui a ensuite dit aux enfants qu’ils pouvaient réaliser une sorte de tableau, avec des collages, des découpages, des dessins… pour raconter où ils aimeraient aller.

On est vite allés vers une cabine blanche où chacun posait afin que l’appareil photographie ses yeux. Sur le coté de la boite sortaient deux exemplaires d’une page sur laquelle apparaissaient les yeux du sujet et des lignes pointillées. En en pliant une, soigneusement, on en faisait un petit bateau orné de ses propres yeux… On est revenus dans l’atelier et chacun, silencieux, appliqué, a commencé à dessiner son voyage imaginaire. Zoé a découpé une R11 surchargée de colis qu’elle a cerné de noir. À coté, elle a ajouté des petits toits de tuile : elle a dit qu’elle voulait aller dans le Périgord où elle a une tante. Lubin a choisi une grande ville, l’a un peu décoré de peinture à l’eau. Avant d’y ajouter “des trucs militaires” : c’étaient des barbelés, mais il n’a pas eu envie d’expliquer son collage de vive voix. Puisque les adultes étaient intégrés à l’atelier pour enfants, j’ai écrit au stylo bille un long texte sur une immense photo de Chicago. J’y confiais pourquoi cette ville magnifique, que j’ai récemment traversée deux fois, m’avait presque effrayé.

On a pris nos bateaux en papier et on est allés s’asseoir devant une grande baie vitrée qui donne sur les bassins du port où attendait le Paglia Orba qui rallie la Corse. Florence a alors raconté qu’un gabian donnait quelques conseils pour aller au Frioul chercher un trésor. Juste avant qu’on entre dans l’exposition, elle a distribué des petites ampoules électriques : “C’est des phares”, a dit un gamin, on les a installés sur nos bateaux en papier. On est entrés, on était au quatrième étage, il faisait nuit : on s’est retrouvé devant un immense lac d’eau calme et noire au-dessus duquel se croisaient des passerelles métalliques grises. Étrange impression. Salman a montré aux gosses qu’ils pouvaient poser leur petit bateau en papier sur l’eau, ils les y ont délicatement déposés : un courant les emportait, lentement, vers le centre de la mer noire, à moins qu’ils n’aillent s’égarer ailleurs.

Lubin a dit qu’il aimerait bien plonger, il a demandé si c’était profond, lui et Zoé ont trempé leur main dans cette eau mystérieuse. Ensuite, on est allé marcher sur les passerelles au-dessus de ce lac artificiel, on a monté un petit escalier vers la droite, marché sur une autre passerelle en cul de sac. “On flotte dans l’air”, a dit Zoé, c’était bien trouvé. Et puis on est arrivés devant une baie donnant sur le grand large, on était éblouis par le soleil. Mais on voyait le Frioul, le château d’If et, navigant sur la mer bleue, la vraie, quelques voiliers du dimanche après-midi. Au-dessous de nous, sur l’eau noire, on voyait des dizaines de bateaux de papier qui semblaient avoir accosté. On a encore longé cette eau sombre, on se demandait un peu où on était…et on est sortis. On s’est assis à nouveau face aux bassins du port de la Joliette. Un gamin volontiers bavard a dit qu’il allait “voyager plus loin parce qu’il n’y a pas de trésor au Frioul”.

On est revenus dans l’atelier, on a regardé nos images collées au mur, puis chacun est reparti chez lui avec son bateau de papier où figurent ses yeux, son regard… Dans le tram’, on se demandait ce qu’on avait vu, compris, entendu. Imaginé. C’était bien, on avait voyagé…

Les enfants ont aimé. Moi aussi.

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