Guillaume Origoni vous présente
L'hôpital et ses fantômes

[Les fantômes de l’hôpital] Le mystère de la chambre 18

Chronique
le 8 Mar 2025
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Après "Marseille secret", le photographe et journaliste Guillaume Origoni lance une nouvelle chronique dans les hôpitaux de la ville. Il y traque les histoires de revenants. Ce coup-ci, il est question des mystérieux appels de la chambre 18, à la Timone.

Photo : Guillaume Origoni / Agence Hans Lucas
Photo : Guillaume Origoni / Agence Hans Lucas

Photo : Guillaume Origoni / Agence Hans Lucas

Un jour ou l’autre, tous les Marseillais et plus largement tous les Bucco-Rhodaniens, sont passés dans le léviathan des hôpitaux de la ville. On “passe” par la Timone pour y faire des examens, après une glissade en deux roues ou pour combattre un cancer. Chaque étage abrite un service spécialisé et dans chaque service, le ballet du personnel est réglé comme une chorégraphie de Pina Bausch. 

Le personnel, souvent en sous-effectif, donne l’impression d’être à la fois en mode commando et en représentation d’une opérette marseillaise. La rigueur côtoie la galéjade et c’est très bien comme ça. En tendant l’oreille près des salles de repos de ces femmes et hommes qui s’occupent de nous comme si nous étions les individus les plus importants de la planète, on entend de drôles de récits. Ici, dans ce service dont je ne donnerai ni la spécialité, ni l’étage, il est question d’une chambre hantée. La chambre 18, souvent inoccupée, est l’objet de rumeurs étranges qui se répètent depuis plusieurs années.  

Maryse, la cinquantaine, infirmière dans le service depuis de nombreuses années et à la Timone depuis “presque toujours“, est méfiante et ne parle pas très volontiers de la chambre 18. Elle jette un œil à la jeune Chimène, qui lève les yeux de son écran et amorce la conversation. “Oui, c’est une histoire que l’on connaît et moi-même, j’ai constaté que la 18 est un peu… capricieuse“, dit-elle dans un sourire empreint de douceur. 

Maryse, tout en conservant son masque austère, consent alors à dévoiler le mystère de la chambre 18, “Cette chambre n’est pas comme les autres. Depuis longtemps maintenant, elle appelle dans le vide !” 

“On voit cet appel sur l’écran, mais on sait qu’il n’y a personne.” (Photo : Guillaume Origoni / Agence Hans Lucas)

Je demande des précisions sur la signification de cet “appel dans le vide”

Ce que je veux dire, c’est que régulièrement, l’appel patient de cette chambre se déclenche alors qu’elle est inoccupée ! On voit cet appel sur l’écran, mais on sait qu’il n’y a pas de patient à l’intérieur.” 

Mais, ça arrive souvent ?” 

Souvent non, mais régulièrement. Le plus bizarre, c’est que lorsque nous nous rendons dans la chambre vide pour éteindre l’alarme, elle se déclenche à nouveau quelques minutes après”, précise Chimène.

À ce stade, je pose forcément la question idiote, mais nécessaire : “Peut-être est-ce un dysfonctionnement technique ?

Maryse esquisse très discrètement une moue désapprobatrice, comme pour dire “il nous prend vraiment pour des truffes, lui”, puis poursuit : “On y a pensé, bien sûr, on a fait venir plusieurs fois les services techniques qui n’ont rien trouvé et ça continue… Toujours dans la 18.”

Une question idiote ne doit jamais rester orpheline et je donne donc instantanément naissance à la petite sœur : “Ça vous fait peur ?” La réaction est immédiate et conjointe : “Non, pas du tout, on est habituées aux phénomènes bizarres.” À ce moment-là, Corinne, qui jusqu’ici n’avait pas pris part à la conversation, ajoute : “Vous savez, on est blindées dans nos métiers.” Corinne est médecin et visiblement, elle ne veut pas participer plus avant à notre échange.

“Un fantôme que l’on aperçoit parfois la nuit, entre l’ancien et le nouveau bâtiment.” (Photo : Guillaume Origoni / Agence Hans Lucas)

Le récit de la chambre 18 s’agrège parfois avec d’autres histoires qui émanent d’autres services. Ladite chambre serait effectivement hantée par un seul et même fantôme, que l’on aperçoit parfois la nuit, entre l’ancien et le nouveau bâtiment.

Peut-être que le fantôme est bien ici ? Peut-être aussi que les hôpitaux sont des limbes et que les humains ne le savent pas encore ?”, propose une dame croisée dans l’ascenseur. Elle est habillée “civilement“, mais travaille dans l’hôpital. Elle vient de terminer son service. En sortant, elle ajoute : “Ils laissent d’ailleurs des traces. Vous ne pouvez pas les voir, peu de gens le peuvent. Mais la cartographie de ces limbes apparaît des fois sur les murs de l’hôpital. La plupart pensent qu’il s’agit de taches d’humidité ou de saleté, mais comment expliquer que parfois, on les voit et parfois non ? Venez, je vous montre.”

“Peut-être que les hôpitaux sont des limbes et les humains ne le savent pas encore ?” (Photo : Guillaume Origoni / Agence Hans Lucas)

Je suis cette dame, elle marche d’un pas enjoué devant moi et me conduit dans le sous-sol devant un mur dégradé. Là où, effectivement, je ne vois que de la moisissure, elle m’explique les différents continents des morts que, selon elle, révèle cette mappemonde d’outre-tombe.

Puis, prenant au sérieux son rôle de guide des limbes, elle me plante devant un ensemble de graffitis : “Là, vous voyez ?
Non, je ne vois pas vraiment et reste muet devant cet amas de déclarations sexuelles, parfois racistes, et ces dessins primitifs. “Ce sont aussi eux qui dessinent ces animaux disparus“, dit-elle en désignant une espèce de biche stylisée. Puis, subitement, elle met fin à son assistance, par un retour brutal aux réalités domestiques : “Bon, je vous laisse, je dois dîner, sinon ils vont râler à la maison.”

“Ce sont aussi eux qui dessinent ces animaux disparus.” (Photo : Guillaume Origoni / Agence Hans Lucas)

À vrai dire, les histoires surnaturelles sont tellement nombreuses que je ne sais pas toujours si les un(e)s et les autres parlent des mêmes fantômes et des mêmes chambres vides habitées.

Cher lecteur, comme je l’avais expliqué dans ma première chronique sur “Les fantômes de l’hôpital”, je ne crois pas aux esprits, mais je prends ces récits et ces histoires au sérieux.  

Mes interlocutrices ne sont ni des illuminées, ni des fantaisistes et pour cause, tôt ou tard, nous remettrons nos vies entre leurs mains avec une confiance absolue.

Mais pour y voir plus clair, j’ai fait appel à un homme qui a consacré sa vie à l’étude des mythes. Jean-Loïc Le Quellec est une sommité, doublée d’une personnalité humble et affable. Le chercheur parfait pour enrichir ce récit grâce à une analyse scientifique et bienveillante. Jean-Loïc est anthropologue et directeur de recherche au CNRS, il parcourt le monde tout en s’intéressant également aux mythes qui se sont enracinés au seuil de sa porte.

Son constat de base illustre l’impression qui est la mienne, à la différence près qu’entre mon sentiment et son analyse, il existe un fossé important : la science.

Vous savez, personne n’est pleinement rationnel ou irrationnel par nature, nous, les humains, sommes à la fois l’un et l’autre. Cela explique cette ligne de crête que vous décrivez dans votre récit. Les gens qui relatent ces histoires sont capables d’être totalement rationnels durant les soins et de faire corps avec leurs semblables grâce à la perpétuation de mythes et de récits.”

Dans un environnement à la fois technologique et affectif, la chambre 18 prendrait la réalité d’un récit de compensation : “Il est difficile de rester neutre lorsque vous côtoyez le malheur. Aucun être humain ne peut se « blinder » de façon hermétique. Il a donc besoin des autres, du groupe, pour conjurer ce malheur. En ce sens, les chambres hantées ou les fantômes sont à la fois un élément régulateur du diapason émotionnel et une façon de construire une communauté de valeurs.”

Lors de mes incursions dans les hôpitaux de la région pour l’écriture des présentes chroniques, j’ai souvent entendu que de telles histoires seraient l’apanage des infirmières et des aides soignantes. Jean-Loïc Le Quellec reste dubitatif à ce sujet : “Il faudrait en faire une étude pour être plus précis, mais vous savez, les croyances s’observent dans toutes les strates sociales. Je suppose que les médecins ou les chirurgiens doivent développer leurs propres récits irrationnels, mais dans d’autres cadres et avec une autre grammaire.

La chambre 18 est-elle habitée ? Est-elle l’objet d’un appel à l’aide venu d’on ne sait où ? Rejette-t-elle au travers de ses murs les souffrances dont elle a été témoin ? Ou bien est-elle simplement le reflet d’un inconscient commun au service hospitalier qui vit avec le malheur et la mort ?
Personne ne le sait, mais peut-être pouvons-nous réfléchir à cette réflexion de Jean-Loïc : “Le malheur et la mort sont contagieux, il est normal que nous luttions contre la contagion.”

Commentaires

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  1. julijo julijo

    Brrrr ! un peu froid dans le dos quand même.
    Il y a très certainement des choses pour lesquelles on a pas forcément envie de creuser et encore moins de savoir

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    • Aurédu13 Aurédu13

      Pincez moi, je rêve, est-ce le premier avril ou bien me suis-je perdu sur Voici ?
      Je travaille dans la santé, je suis passé par la Timone, relayer ce genre de ragots ne fait vraiment pas honneur à notre mission, à nos métiers… bien que je ne doute pas qu’il y a du monde pour se complaire dans ce genre de galéjades.

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    • julijo julijo

      meuh non !!! aurédu13, un peu d’humour, voyons !

      ce n’est pas du “voici”, aucun people dans le coup…
      pas non plus des ragots, personne n’est critiqué…

      moi, ça m’a amusé. la pression sur ces personnels de santé est telle que j’apprécie ces “galéjades”, quelque part pour eux c’est très certainement une détente.
      et surtout cela n’obère en rien le respect et l’admiration que j’ai pour ces professions, ça le conforte.

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